Par quelle entrée accéder à la caverne d’Amath Dansokho ? Par le canal du politicien fougueux faisant feu de tout bois ? Celui de l’aventurier intrépide qui se risqua, sur les chemins de l’exil sans savoir ce qu’il allait advenir de lui ? L’homme sensible qui n’hésite pas à révéler son émotion par le mouchoir au moment où on s’y attend le moins ? Le leader charismatique qui, à coups de finesse, tenue et retenue, sut fédérer des forces politiques hostiles entre elles ?
HOMMAGE – Peut-être par tous ces bouts à la fois. Amath Dansokho est au confluent de plusieurs torrents en même temps qu’il est le reflet de leur impétuosité. Tempête et zéphyr ; calme et explosif ; froid et sensible ; loyal et libre ; doux et terrible ; chinchilla et lion, “l’enfant de Kédougou’’ est tout cela.
Comment comprendre cette ambivalence ? S’agit-il d’ailleurs d’ambivalence ? En vérité, Amath Dansokho fut la synthèse vivante et intelligente de pulsions contradictoires. Il pouvait être terrible, presque suicidaire dans l’action, lorsqu’arrive le moment du combat.
Mieux vaut alors être de son camp. Mais lorsque la voix Colombe tonne en lui, parce que le clairon annonce des lendemains meilleurs pour le peuple, le “lion’’ savait radicalement se transformer, comme il l’a largement prouvé, pour dépasser les contradictions politiques et créer un nouvel ordre.
Mais, à notre humble avis, son vrai trait de charisme est son coeur. Sa lumière est dans la poitrine et elle ne pouvait aucunement être contenue lorsqu’elle irradie. Le véritable fil d’Ariane pour connaître Amath Dansokho, c’est son coeur. Visitons le donc ! Ce petit appareil irradie tout son cerveau. C’est pourquoi, même briefé par la Direction de son parti (le Pit est, à mon avis, le parti le plus démocratique du Sénégal), Dansokho y allait de son grain de passion. Mais toujours l’axe central reste la bienveillance.
Plusieurs fois, je l’ai vu distribuer de l’amour comme rarement savent le faire les politiques. De la bonne humeur partout, même quand le pays est sur le point de brûler. Autour de sa table à manger, de son salon modeste, dans la rue et même dans les restaurants de Dakar, Amath était le même.
Il administrait la même bise chaleureuse à la serveuse dégoulinant de sueur qu’au patron de la maison. J’ai vu ça de mes propres yeux. Je n’ai jamais pu percer le mystère de ce talent qui l’habitait, presque à fleur de peau, qui faisait qu’il pouvait adapter son niveau de discours en fonction de son vis-à-vis. Il savait, en effet, baisser le niveau du curseur jusqu’à se hisser à la hauteur de son interlocuteur et lui parler le langage qu’il pouvait entendre.
J’ai vu des visages tendus arriver chez lui, alors qu’il habitait à Imofrom à Mermoz, dans le fameux appartement d’où se sont tenues les réunions de l’opposition de 2001 à 2012, repartir illuminés par le simple bonheur d’avoir été bien accueillis, servis et bien accompagnés jusqu’à la porte. Il recevait le paysan de Kédougou avec la même chaleur qu’il recevrait un Moustapha Niasse. Ecce Homo !
On aurait facilement pu inscrire au fronton de son appartement : “Que nul n’entre ici s’il n’est pas généreux.’’ Pas seulement les politiques, tout le monde défilait : intellectuels, artistes, anarchistes, religieux, journalistes, paysans, ouvriers etc., personne ne s’empressait de quitter, lorsqu’on pénètre dans son territoire.
Il y est souverain parce que c’est son coeur qui gouverne les lieux. Chacun s’y croit roi. Personnellement, c’est ce qui m’a fait aimer l’homme que j’ai connu grâce à Sémou Pathé Guèye, alors que j’étais étudiant en première année de Philosophie à l’Ucad, avec Souleymane Jules Diop, Birane Thiam, Marie Louise, etc. Bref !
Ce tempérament quasi unique est la base de son charisme. Ce qui fait d’ailleurs qu’il n’a jamais eu besoin d’un cabinet de com’ pour faire la Une de journaux.
On pourrait penser que c’est un “don’’ du Ciel. Mais à bien l’écouter, on sent bien que son âme a été sculptée dans les épreuves de la vie. Sa personnalité a été fortement travaillée, que dis-je, forgée par l’exil.
Il faut savoir que Dansokho a quitté très tôt la terre sénégalaise, pour d’abord s’exiler à Bamako au début des années 60. Il aura, avant cela, fait son baptême du feu à Saint-Louis, aux côtés de Majmouth Diop qui avait une grande affection pour le jeune Amath, selon les confidences du défunt.
Puis Alger où il put rencontrer – très peu de personnes le savent – Che Guevara. Des combattants – de vrais – Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Frantz Fanon, Mandela, pour ne citer que ceux-là, Dansokho en a vu au fil de sa longue traversée de désert qui le mènera à Alger, ensuite à Prague.
Prague où il rencontrera d’ailleurs sa femme, “Babette’’, Elisabeth Feller de son vrai nom dont le père, Marcel Feller fut un responsable très actif et charismatique du Parti communiste français (Pcf). Ce dernier aidera d’ailleurs très activement le Pit qu’il couva jusqu’à la mort.
Forgé donc dans le feu et l’acier de l’exil, Amath Dansokho s’évertue à rendre le pays meilleur, dès son retour en “terre promise’’ en 1977. De longues périodes de lutte, entrecoupées par des trêves qui se nomment Gouvernement de majorité présidentielle élargie en 1991 ou en 2000 alors que Me Abdoulaye Wade prenait les rênes du pouvoir.
Et chaque fois le PIT, Amath Dansokho avec, quittait le gouvernement pour avoir dénoncé la “mal gouvernance’’ ou des “dérives naissantes’’. En vérité, ils n’ont jamais profité des fruits de leurs luttes. Leçons !
Que retenir donc de Dansokho ? L’homme ne voulait point être idolâtré. C’est pourquoi il ne cachait point ses zones de faiblesses. Et bien souvent des mots sont sortis de sa bouche qui étaient de trop, mais pour excessifs qu’ils fussent, ils n’ont jamais été haineux.
Je jure qu’Amath ne connaît pas la haine. Sans doute ne suis-je pas le Ciel pour sonder la profondeur des âmes, mais je ne l’ai jamais vu détester quelqu’un. Et, détail important, c’est un des rares marxistes à ne point incommoder les religieux, de quelque bord qu’ils soient.
Sa vie, me semble-t-il, est une leçon de conduite, surtout pour les politiques. Leçons : pour avoir le coeur des hommes, il faut d’abord “nettoyer’’ le sien.
Adversité politique ne signifie point détestation politique. Son affection pour Me Abdoulaye Wade était réelle. Il aimait l’homme. Mais il n’a jamais compris pourquoi le “Pape du Sopi’’ ne pouvait pas discriminer entre les relations personnelles et les différends politiques.
La singularité d’Amath réside indiscutablement dans cette capacité qu’il a de ne pas confondre intérêts stratégiques du pays – du continent ou des damnés de la terre, pour parler comme Fanon – et les sentiments qu’ils pouvaient avoir pour les uns et les autres. Cela peut se nommer : grandeur !
Post scriptum :
J’ai été témoin, ces dernières années, de l’affection et de l’amour dont Babette, son épouse depuis plus de 50 ans, sans extravagance aucune, a su faire montre dans l’épreuve. Impressionné aussi par la fidélité de son camarade Pape Mbaye, par la présence continue et émouvante de son frère Alseyni et de ses enfants. De l’omniprésence intellectuelle de feu Sémou Pathé Guèye, Maguette Thiam et Samba Diouldé Thiam. De l’aile protectrice du Commissaire Tall. Mais surtout
celle, bienveillante et très touchante, de celui qui fut, à mon avis, son meilleur ami : Babacar Touré, Pdg de Sud-Communication.
MAHMOUDOU WANE
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