Malgré des résultats probants, et des statistiques parfois inédites dans l’histoire de la sélection nationale, Aliou Cissé peine à convaincre le grand public et beaucoup d’observateurs. Emedia.sn a donné la parole à des spécialistes du football sénégalais pour disséquer les sources de ce scepticisme ambiant.
FOOTBALL – Sur la route du Mondial Qatar 2022, dans la zone Afrique, les Lions du Sénégal ont été les premiers à atteindre les barrages, 3e et dernier tour de ces qualifications à la prochaine Coupe du monde. Le tirage au sort aura lieu le 18 décembre prochain chez le pays organisateur. Malgré ces résultats et alors que la bande à Sadio Mané fait partie des grands favoris à la prochaine Coupe d’Afrique des Nations (CAN) Cameroun 2021, le jeu du Sénégal ne rassure guère certains. Selon certains observateurs, le sélectionneur national, Aliou Cissé, constitue le maillon faible de l’équipe. Cheikh Tidiane Gomis, journaliste à Walfadjri, a un avis tranché sur la question. “Aliou Cissé ne connait rien”, lâche-t-il direct à l’interpellation de Emedia.sn. Avec le ton qu’on lui connait, il récuse le système de jeu du successeur d’Alain Giresse depuis mars 2015. “Il ne croit pas aux joueurs qui sont tactiques, techniques, au milieu du terrain, précise-t-il. Le jeu du Sénégal est basé sur des balancements de ballons. Alors qu’il y a une liaison attaque-milieu-défense. Si cette liaison n’existe pas dans un projet de jeu, vous n’arriverez jamais à déstabiliser une équipe qui est bien en place. C’est là où le bât blesse. Autre chose, c’est un entraîneur qui a des problèmes, quand l’entraîneur adverse met une équation tactique, à résoudre. C’est ça aujourd’hui, le haut niveau, le football a évolué.”
Selon lui, “l’inquiétude s’est installée (aussi) parce qu’on gagne contre des équipes faibles. Des équipes qui ne boxent pas dans la même catégorie actuellement de l’équipe du Sénégal (1er en Afrique et 20e au rang mondial). Ces équipes arrivent à contrôler (tandis que) nous sommes la meilleure équipe qui joue en rétro-passe.”
Même s’il emprunte un ton plus mesuré, le Rédacteur en chef du groupe Emedia Invest et Responsable des Sports, Babacar Ndaw Faye, concède, toutefois, que “le football a toujours charrié beaucoup de débats et de contradictions. Il y a plusieurs aspects, le premier, c’est que sur le plan du jeu, il y a beaucoup de choses qu’on peut dire par rapport à son style. Il y a des critiques qui se basent sur le fait, naturellement, que l’équipe nationale du Sénégal a des difficultés à dominer ses adversaires, etc. Mais, cet argument, pour moi, est difficile à défendre. Puisque lui, il se cramponne davantage sur les résultats. Après l’autre souci, beaucoup d’observateurs estiment qu’il a atteint un peu son plafond de verre, avec les difficultés qu’il a toujours eues face à une équipe comme l’Algérie, qui je pense, en quatre confrontations, l’a battu trois fois, contre un match nul. Donc ça fait que ça marque, les gens se posent naturellement des questions sur sa capacité à aller au-delà de ce qu’il a fait, en 2019, à la CAN.”
“La communication, son talon d’Achille”
Mais, pour lui, l’une des plus “grosses lacunes” que traîne l’ex-capitaine des Lions, au-delà de tous ces aspects sur le plan du jeu et autres, “c’est la communication.” Il explique : “Aliou Cissé lui-même ne fait pas l’effort de défendre ce qu’il fait de bien. Je suis de ceux qui croient que tout n’est pas mauvais dans ce qu’il fait, beaucoup de choses ont été très bien fait depuis qu’il est là. Mais, il ne fait pas l’effort de défendre ce qu’il fait de bien. Il ne fait pas l’effort d’aller vers les gens. Parce que le football, c’est surtout ça en fait, les gens ils ont des idées sur le rendu que tu leur proposes mais il y a tout un travail qui est fait en amont. Mais, ce travail-là, si en tant que personne morale de cette sélection-là, ne va pas vers les médias, vers la population, s’il ne fait pas cet effort-là de s’expliquer, il y aura beaucoup de spéculations autour de ce qu’il fait. Ça lui porte préjudice mine de rien.”
Le journaliste en veut pour preuve : “Depuis la CAN 2019, je ne me souviens pas d’avoir vu ou lu Aliou Cissé, accorder une interview à un média sénégalais, pendant deux ans, jusqu’au (moment) où on retourne à une autre CAN. Pour moi, c’est un scandale. Au-delà du fait que ça fait partie de ses devoirs, mais ça le dessert même le fait de ne pas parler, de se contenter des quelques minutes des conférences de presse, d’avant-match et d’après-match. Ça fait partie de son travail de s’expliquer. On l’a vu récemment avec Djamel Belmadi. Ce n’est pas pour dire que tout ce que Djamel fait est bon. Mais, on l’a vu, lui, expliquer certains choix, qu’il assume, etc. C’est comme ça, il y a des choix qu’il faudra assumer sur la place publique, que les gens après plusieurs débats, qui peuvent te donner leur avis et puis, c’est de cet échange que naît un peu la lumière. Malheureusement, je pense que c’est surtout le gros point noir de sa gestion.”
Lassitude
Au-delà de cet aspect, Babacar Ndaw Faye pointe “un véritable souci de stabilité” dans l’équipe avec un sélectionneur qui a utilisé pratiquement près de 120 joueurs, en six ans. “C’est abusé comme chiffres, analyse-t-il. Moi, ça me choque, en termes de nombre de joueurs qui sont appelés. On en a plusieurs dizaines qui sont juste venus pour de petits flashs, des gens comme Amara Babi, des Santi Ngom, etc. On se demande même au nom de quoi ils ont été là pendant tout ce temps-là.
Dernier problème que décèle Babacar Ndaw Faye, la longévité de Cissé à la tête des “Lions” : “On n’a pas l’habitude d’avoir un entraineur qui dure autant. Quand lui, il fait six ans, il y a peut-être une forme de lassitude. C’est un peu le cas concernant la Fédération sénégalaise de football (FSF), avec Me Augustin Senghor. Souvent, quand tu dures à un poste, il y a une forme de lassitude, qui fait que naturellement, les gens se demandent est-ce qu’il n’est pas temps de voir autre chose.”
Des reproches, il n’en manque, également, pas chez le président de l’Association nationale de la presse sportive du Sénégal (ANPS), Abdoulaye Thiam. Mais, relativise ce dernier, “sur le plan des résultats, il n’y a rien à lui reprocher. Il a été le premier sélectionneur, parmi les 50 en lice, à composter son ticket (pour les barrages), quatre matchs, quatre victoires. Lors des dernières CAN aussi : la première, il a réalisé un grand chelem : six matchs, six victoires. Dans l’histoire footballistique de notre pays, on n’a jamais vu ça. Sa deuxième CAN, il a fait six matchs, cinq victoires et un match nul, il s’est toujours qualifié avant terme.”
Comme ses confrères, le Rédacteur en Chef de Sud Quotidien émet des doutes sur le plan de jeu proposé par le technicien sénégalais : “Je pense que c’est à ce niveau-là, qu’il y a plus de critiques. Des critiques aussi acceptables. Parce que vous ne pouvez pas, aujourd’hui, avec un effectif pareil, peiner pendant six ans à convaincre les Sénégalais : Sadio Mané, le ballon d’or africain en titre, Kalidou Koulibaly, considéré comme l’un des plus grands défenseurs du monde, Édouard Mendy, le roi des clean-sheet, et désigné meilleur gardien de la Ligue des champions, potentiel ballon d’or africain, Idrissa Gana Gueye, avec tout ce qu’il fait, avec le Paris Saint-Germain (PSG), à côté de Neymar, Messi et Mbappé.”
Points positifs
Pourtant nos observateurs décèlent certaines réussites non négligeables dans le parcours d’Aliou Cissé à la tête des lions. Aujourd’hui, le sélectionneur file vers sa 3e CAN, ce qui est déjà en soi une réussite. “Avant son arrivée, entre 2006 et 2017, on n’a pas dépassé le premier tour, rembobine Babacar Ndaw Faye. On ne se qualifiait même pas régulièrement. On a raté l’édition de 2010. En 2008, on a été éliminé au 1er tour. Puis, on a raté l’édition de 2013. En 2012, on a été éliminé au 1er tour. En 2015, également. Ça faisait presque dix ans. Après, il y a eu beaucoup de soucis de discipline. On a eu l’épisode de Tamalé, en 2008, avec les El Hadji Diouf et autres qui avaient quitté le regroupement pour aller en boîte de nuit. Il y avait beaucoup de détails comme ça qui étaient dénoncés dans la tanière. Il y a eu certains joueurs qui étaient accusés de fumer de la chicha en regroupement, de créer une ambiance un peu trop festive au goût de certains, etc. Quand il (Aliou Cissé) est venu, il a su imposer une certaine discipline de groupe.”
Enfin, “il a su capitaliser le groupe très jeune avec lequel il avait déjà commencé à travailler depuis les petites catégories, avec les JO de Londres. Donc, il avait cette poigne qui lui permettait de tenir son groupe, de mettre un peu plus de discipline, d’écarter beaucoup d’anciens, Papis Demba Cissé, Demba BA, Dame Ndoye, etc. Il a joué sur la carte de la discipline-là. Après, les résultats ont commencé à porter leurs fruits. Le Sénégal s’est qualifié en quarts de finale dès la première édition avec Aliou Cissé, en 2017, au Cameroun. Le Sénégal a retrouvé quand même la Coupe du monde en 2018, en Russie. Ça fait des résultats positifs sur le plan purement comptable. En plus, on est retourné en finale de la CAN, en 2019. L’effectif a été également rajeuni. En six ans, à la tête de l’équipe nationale, il a lancé beaucoup de jeunes joueurs, il faut le lui reconnaître”.
Toutefois, pour relever le défi de ses précédentes participations, Aliou Cissé doit procéder à des correctifs, prévient Abdoulaye Thiam. “Il y a eu des matchs où personnellement il m’a séduit, observe-t-il. Par exemple, le match entre le Sénégal et le Brésil, qui est l’épouvantail au niveau mondial. Le Sénégal lui a tenu la dragée. On a fait un match extraordinaire. En revanche, il y a eu des matchs (où) il m’a laissé sur ma faim, notamment le match contre le Congo, face à la Namibie, à Dakar, et en Afrique du Sud, la défaite aussi contre le Maroc. (…) Il n’a plus d’excuses valables pour convaincre les Sénégalais surtout par rapport au potentiel”.
Maderpost / Emedia