Le blocage prolongé du convoi militaire français, au Burkina, met indiscutablement le destin de l’opération BARKHANE en pointillé. Et amorce le déclin de l’influence politique de la France dans l’espace sahélien.
CONTRIBUTION – Aujourd’hui, le casse-tête des planificateurs de l’État-major français est infiniment plus délicat que la neutralisation d’une bande de terroristes ou l’élimination d’un chef djihadiste par l’action combinée du renseignement, du drone et des Forces spéciales.
Au Burkina, l’équation du blocage déterminé et de l’ambiance survoltée contraint les décideurs français et burkinabés à marcher sur des œufs. À cet égard, d’éventuelles et excessives pressions du Président Emmanuel Macron sur le Président Christian Kaboré aboutiraient à des catastrophes en cascade. Les options entièrement musclées étant évidemment les pires. D’ailleurs, sont-elles envisageables et/ou sensées ?
Au plan national et politique, Ouagadougou ne peut pas lancer la police anti-émeute contre des citoyens, au moment où le peuple burkinabé est largement endeuillé par les attaques terroristes. Les forces de l’ordre, elles-mêmes, sont démoralisées par les lourdes pertes (53 gendarmes tués à Inata, 36 autres à Foubé) et les dysfonctionnements notés dans la conduite de la guerre. Dans une telle conjoncture d’explosion latente et larvée, tout faux pas du Président Roch Christian Kaboré creuserait la tombe de son régime, dans un pays où le reliquat du sankarisme (nationalisme vigoureux et politisation prononcée) irrigue encore les esprits.
Dans tous les cas de figure, le successeur de Blaise Compaoré est en sursis dans cette affaire qui prélude aux grandes secousses sur l’échiquier burkinabé et aux réels bouleversements à l’échelle du Sahel. Du côté français, que peut faire le Président Macron ? La palette des options est manifestement restreinte : passage en force, demi-tour du convoi, patience prolongée en rapport avec des négociations traînantes.
La première option (le passage en force) étant chargée de risques voire de périls pour tous. En effet, la centaine de soldats français du convoi – dotés d’engins blindés et appuyés par des hélicoptères de Barkhane arrivés de la « zone des trois frontières » – peuvent hacher les manifestants à la mitrailleuse et poursuivre la route jusqu’au Niger. Militairement, le passage en force sera simple et sanglant. Politiquement, l’opération musclée sera épineuse. Sans oublier qu’une action aussi tragique mettra en danger la vie du Français qui ira au restaurant à Ouagadougou ou de la Française qui fera ses emplettes à la superette de Bobo-Dioulasso.
Du reste, comment la France qui temporise en Guadeloupe et en Martinique, malgré les destructions des biens, les obstructions de routes et les coups de feu tirés en direction des gendarmes, pourrait-elle justifier une audace ou une folie aussi meurtrière dans un pays souverain, plus de soixante ans après les indépendances africaines ? Les Antillais hors-la-loi dans des départements français et les « gilets jaunes » hors-la-loi en métropole, sont-ils plus dignes de traitements doux que les Burkinabés qui font la loi de façon, certes discutable, au Burkina ? Au demeurant, le parallèle est forcément convoqué entre l’obstruction du passage routier au Burkina et la décision de l’Algérie d’interdire le survol de son territoire par les avions mobilisés par BARKHANE.
Sans préavis, Alger a annoncé la fermeture de son ciel. Ce qui a obligé les pilotes militaires français à faire demi-tour au-dessus de la Méditerranée. Macron s’est incliné ; sans faire des pressions sur son homologue algérien. Il est clair que l’Algérie a les moyens aériens et anti-aériens (missiles sol-air) de défendre son ciel de toute incursion. Bien entendu, au Burkina, ce n’est pas le gouvernement qui stoppe le convoi militaire français. Ce sont des segments de la population au nom de laquelle on gouverne le pays. De nombreux citoyens, des opposants et même des soldats qui s’interrogent et questionnent.
Bref, c’est tout un peuple qui est troublé de constater qu’en dépit de la présence médiatisée de BARKHANE, des troupes venues d’Estonie, des patrouilles du contingent britannique de la MINUSMA et des moyens satellitaires performants de la base américaine d’Agadès (Niger), la fameuse « zone des trois frontières » grouille de terroristes bien équipés et toujours offensifs. Accuser la France de complicité, avec une catégorie de terroristes, est un pas vite sauté. En écho aux propos du Premier ministre malien : Choguel Maïga Quel que soit l’épilogue du blocus du convoi, on est en face de signes avant-coureurs d’un redimensionnement inévitablement crépusculaire de BARKHANE. Sans logistique terrestre appropriée (l’axe court et rectiligne : Abidjan-Bobo-Ouaga-Kaya), la poursuite de l’opération au Sahel sera de plus en plus problématique et…onéreuse.
Rappelons que le lancement et le succès techniques de l’opération SANGARIS, en Centrafrique, avaient nécessité l’accord du Cameroun pour emprunter le corridor Douala-Yaoundé-Garoua-Boulaï. Aujourd’hui, du fait de la fermeture de l’espace aérien de l’Algérie, les aviateurs français passent près de 9 heures au-dessus de la Méditerranée, du Maroc, de la Mauritanie et du Nord-Mali avant d’atterrir à Gao ou Niamey.
Des vols souvent accompagnés par des avions-ravitailleurs. Coûteux ! Ce qui ne met d’ailleurs pas un terme aux soucis de Paris ; car pour l’acheminement des blindés lourds comme le dernier modèle GRIFFON (plusieurs tonnes), il faudra multiplier les rotations ou alors louer des avions-cargos de type Antonov 225 Mryad ou des modèles US Hercule de gabarits semblables.
Par Babacar Justin Ndiaye
Maderpost
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