Alors que la crise franco-algérienne, à coups de déclarations et de rappels d’ambassadeur, prend de l’ampleur, le quotidien francophone Le Soir d’Algérie tente d’analyser les raisons politiques qui tiennent lieu de soubassement à ces tensions croissantes. DIPLOMATIE – La campagne présidentielle française de 2022 commence à s’inscrire dans un contexte sombre où s’expriment, déjà, les sentiments les moins louables. Jeudi 30 septembre 2021, au palais de l’Élysée, le maître des lieux pose une singulière question en présence de jeunes concernés par l’enjeu mémoriel : “Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ?” Poser la question de cette façon, c’est y répondre. De son côté, mais plus direct, le polémiste et presque candidat Éric Zemmour ne cesse de dire, depuis des années, que l’Algérie est une création française. Et voilà que le candidat à sa propre succession fait la course derrière un plus que probable candidat. Faut-il rappeler que le candidat Macron, en février 2017, devant des caméras algériennes, avait déclaré que la colonisation est un crime contre l’humanité ? Que s’est-il passé depuis ? Beaucoup de choses. Un originaire d’Algérie est crédité de 15 % d’intentions de vote. Éric Zemmour place sa marotte, le négationnisme [dans le contexte algérien, le refus de considérer les crimes du colonialisme], dans le débat politique. Le président de la République lui emboîte le pas. Vérité au-delà de la Méditerranée, mensonge en deçà L’extrême gauche n’est pas oubliée non plus, puisqu’il évoque un système militaro-politique, une expression en vogue chez les trotskistes durant la décennie noire et qui renvoie dos à dos le pouvoir et les islamistes. Stupeur ? Non, il nous avait avertis : “Je ne suis ni de gauche ni de droite.” Il fallait bien décrypter. Aussi, durant les mêmes échanges, Emmanuel Macron précise que les cercles dirigeants seront touchés par la suppression des visas. De quels cercles dirigeants parle-t-il ? Ceux qui avaient invité le candidat Macron à déjeuner à l’hôtel El-Aurassi en février 2017 ? Une bonne partie de ses voisins de table, ce jour-là, est actuellement jugée et emprisonnée. Depuis, le défenseur du “monde nouveau” semble ignorer qu’une Algérie nouvelle avait émergé. Les cercles dirigeants des affaires ne sont plus les mêmes, et ils n’ont jamais figuré parmi les fréquentations d’Emmanuel Macron. Quant aux ministres, hauts responsables politiques et diplomates évidemment, ils détiennent un passeport diplomatique exonéré de visa depuis l’accord signé, à Alger, le 15 juillet 2007. Autant d’imprécisions, voire d’oublis, mais qui éclairent une stratégie politicienne. Au nom de la question mémorielle, le président français demande pardon aux harkis, dont les représentants sont reçus à l’Élysée. Éric Zemmour applaudit. Le sujet est essentiellement franco-français. Il faut souligner que, sans la colonisation et une féroce guerre contre les Algériens, il n’y aurait pas eu de supplétifs indigènes de l’armée française. Peu de jours plus tard, le porte-parole du gouvernement annonce la réduction du nombre de visas de moitié. Pendant presque deux années, à cause de la pandémie, aucun visa n’a été délivré aux ressortissants maghrébins. Alors, calculons : zéro divisé par deux. Plus sérieusement, avant l’apparition du coronavirus, le nombre de visas octroyés aux Algériens ne dépassait pas 70 000. En ce qui concerne la cause officielle de la colère des autorités françaises, c’est le refus de rapatriement des expulsés algériens par les autorités d’Alger qui doivent délivrer des laissez-passer par le biais du dispositif consulaire. La fermeture de l’espace aérien de notre pays est la principale raison de ce retard d’admission des expulsés sur notre territoire. L’an dernier, le ministre de l’Intérieur français s’est rendu à Alger porteur d’une liste prioritaire d’expulsés, elle a été prise en considération, mais le deuxième confinement a stoppé net la procédure. Jusqu’au 1er octobre, le nombre de vols reliant la France à l’Algérie ne dépassait pas la demi-douzaine. La France avait mis les pays du Maghreb en zone rouge. Il en a résulté un moratoire. Soudain, les autorités françaises font l’annonce de la réduction des visas. Il est clair qu’il s’agit d’un faux prétexte. La France en perte de vitesse ? Alors pourquoi cette escalade voulue par l’Élysée ? La réponse se situe dans un des propos du président Macron, qui semble outré par la colonisation ottomane, antérieure à la française. Son animosité à l’égard du président turc est connue mais l’interprétation de cette saillie mérite d’être contextualisée dans un environnement géopolitique régional. L’ennemi est Recep Tayyip Erdogan. Son allié tunisien, le parti islamiste majoritaire Ennahda, est neutralisé par le gel des activités du Parlement tunisien jusqu’à nouvel ordre par une décision du président tunisien. Est-ce vraiment un hasard ? S’agit-il de la seule décision du locataire du palais de Carthage ? Se pose aussi la question de savoir si la France ne souhaite pas une rupture diplomatique avec l’Algérie. Le but serait d’isoler Alger à la suite de la rupture avec Rabat, la forte connivence entre Paris et le makhzen [le gouvernement central marocain] est trop connue pour être détaillée. Ensuite vient la situation au Mali. Le Premier ministre malien, du haut de la tribune de l’ONU, déclare que la France avait abandonné son pays en plein vol, en plus il envisage de se tourner vers Moscou. Trop c’est trop, déjà que la Russie est présente en Centrafrique, ancien pré carré français. La France perd pied en Afrique en général et au Sahel en particulier, région qui constitue la profondeur géopolitique de l’Algérie. La mort du président tchadien Idriss Déby est un revers pour la France, dont le président est accouru à N’Djamena pour adouber le fils du défunt, Mahamat Idriss Déby, autoproclamé successeur de son père. Aujourd’hui, Mahamat Idriss Déby est contesté par des éléments de son état-major, mais peu importe, il dispose du soutien de Paris. Ne vient-il pas de désigner “démocratiquement” un Parlement ? Dans ce contexte régional tumultueux et une présidentielle française atypique, une question se pose : jusqu’où peut aller l’escalade de la crise entre Paris et Alger ? Dans la capitale algérienne, des représailles commerciales sont sur la table. L’Algérie dispose d’un grand nombre de fournisseurs alors que les marchés français sont plus limités. Le revers subi par Paris avec le contrat des sous-marins pour l’Australie est masqué par un nouveau contrat de moindre envergure avec la marine grecque, pour trois sous-marins. La France a combien de Grèce sous la main ? Un passé qui ne passe pas Le péché originel de cette crise est le mélange entre la politique et l’histoire. Quand Macron s’attaque à la rente mémorielle du pouvoir algérien, il vise surtout la légitimité révolutionnaire, socle des tenants de l’Algérie depuis plus de cinquante ans. Du coup, il rejette d’un revers de main l’émergence d’une Algérie nouvelle apparue avec le Hirak béni. Et le président Macron parle évidemment du Hirak qui a “fatigué le système”. A-t-il oublié qu’il avait soutenu un quatrième mandat bis, quand feu Bouteflika avait reporté les élections ? En effet, sachant bien que le report des élections était une décision anticonstitutionnelle, le président français s’était limité à souhaiter que la durée de la période de transition soit “raisonnable”. Le départ de Bouteflika augure d’un nouveau monde où Emmanuel Macron perd pied. Comme en Afrique.
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