Avec le coup d’Etat militaire survenu en Guinée le 5 septembre 2021, la CEDEAO est à nouveau confrontée aux problèmes de l’exercice de la démocratie dans les pays membres.
TRIBUNE – Ce nouveau coup d’Etat, après celui intervenu en août 2020 au Mali, interpelle la CEDEAO qui doit procéder à une introspection sérieuse en matière de pratique de démocratie et de gouvernance dans les pays membres. Cette succession de coups d’Etat révèle que les facteurs qui en sont à l’origine ne sont pas spécifiques à un pays, et sont communs à plusieurs pays, notamment ceux anciennement colonies françaises, qui sont toujours sous influence de la France.
Coups d’Etat électoraux, constitutionnels et militaires
La CEDEAO, l’Union africaine et l’Organisation des Nations-Unies (ONU) ont condamné fermement le coup d’Etat, et exigé un retour rapide de civils au pouvoir après l’organisation rapide d’élections dans un délai irréaliste de six mois.
Après les coups d’Etat perpétrés au Mali et en Guinée, les dirigeants de ces organisations ne semblent pas réaliser que dans ces deux pays comme dans d’autres, ce sont des civils qui conduisent leurs pays au chaos. Ils ne semblent pas comprendre que ce sont les systèmes politiques et institutionnels existant dans nombre de pays membres qui posent problème. L’attitude de ces organisations revient à demander à ces pays d’organiser rapidement des élections pour remettre le pouvoir aux civils, pour que ceux-ci les conduisent à nouveau au chaos. C’est ce qui s’est passé au Mali en 1991, où après le coup d’Etat militaire et une transition portée sur l’organisation d’élections et le retour des civils au pouvoir, le pays se retrouve aujourd’hui à nouveau avec un coup d’Etat militaire.
La communauté internationale avait largement soutenu le vent de démocratisation en Afrique dans les années 90. Elle s’est malheureusement laissée aller par la suite à soutenir des coups d’Etat électoraux (Gabon, Côte d’Ivoire, Togo, Sénégal, Mali, Cameroun, RDC), puis des coups d’Etat constitutionnels (Congo, Togo, Guinée, Côte d’Ivoire). Les coups d’Etat militaires perpétrés au Mali et en Guinée ne sont qu’une suite logique des coups d’Etat électoraux et des coups d’Etat constitutionnels survenus au cours de ces deux dernières décennies et légitimés par la communauté internationale.
Les puissances occidentales s’accommodent des coups d’Etat électoraux et des coups d’Etat constitutionnels qui leur permettent de mettre au pouvoir ou de maintenir au pouvoir des dirigeants qui leur sont compatibles. Ces puissances, qui soutiennent ces coups d’Etat électoraux et constitutionnels pour contrôler les pays africains, se trouvent prises au piège. Elles ont donné des arguments aux militaires et aux populations pour légitimer les coups d’Etat militaires. Leur complaisance à l’égard des coups d’Etat électoraux et constitutionnels ont crée le terreau de la légitimation des coups d’Etat militaires. Et les populations ne voient plus les coups d’Etat militaires d’un mauvais œil, comparativement aux coups d’Etat électoraux et constitutionnels qui leur sont servis. Les organisations régionales et internationales et les puissances occidentales ont, par leurs comportements et leurs actes, ressuscité les coups d’Etat militaires.
Des coups d’Etat militaires pour sauver la démocratie
La CEDEAO et la communauté internationale ne condamnent pas et ne dénoncent pas les modifications de constitution par les gouvernants pour conserver le pouvoir. Or, les coups d’Etat constitutionnels opérés en Guinée et en Côte d’Ivoire, avec les troisièmes mandats, ont fait plus de victimes que les coups d’Etat militaires survenus au Mali et en Guinée. Ce n’est pas un principe démocratique qu’un président de la république modifie la constitution à des fins politiques et pour un intérêt personnel, lui permettant de se maintenir au pouvoir.
Par principe, la CEDEAO, l’Union africaine et l’ONU condamnent toute prise de pouvoir ou tentative de prise de pouvoir par la force. Or, les dirigeants se servent des coups d’Etat électoraux et constitutionnels pour se maintenir au pouvoir, en usant de la force et des armes. Même les rébellions armées ayant porté gravement atteinte à l’ordre constitutionnel dans certains pays n’ont pas toujours fait l’objet de condamnations aussi fermes que celles infligées aux coups d’Etat militaires mettant fin à des dérives démocratiques.
Il y a un manque de volonté de la communauté internationale à soutenir le combat des populations contre les pouvoirs absolus, existant dans la plupart des pays africains. Les militaires apparaissent alors comme une issue à l’aspiration des populations pour mettre fin aux gouvernances désastreuses des dirigeants, comme ça été le cas, par le passé, au Ghana sous Rawling et au Nigéria sous Obasanjo. Les refontes des systèmes politiques et institutionnels, que ceux-ci ont opérées, ont permis de poser les bases de l’enracinement de la démocratie et de la stabilité dans ces pays. C’est ce qui a été fait également au Libéria et en Sierra Leone, à la suite des crises que ces pays ont connues.
Aussi paradoxal qu’il paraisse, ce sont ces nouveaux coups d’Etat militaires qui pourraient sauver la démocratie, et mettre fin aux coups d’Etat électoraux et constitutionnels qui prospèrent en Afrique. Dans un passé lointain, les coups d’Etat militaires avaient pour seul but la prise de pouvoir par leurs auteurs. Aujourd’hui, les coups d’Etat militaires, notamment ceux survenus au Mali et en Guinée, ont la prétention de rétablir ou de rectifier l’exercice de la démocratie. D’où le soutien populaire qui les accompagne généralement. Ces nouveaux coups d’Etat finiront par pousser la communauté internationale à se rendre à l’évidence que les populations n’acceptent plus les disfonctionnements de la démocratie dans leurs pays, et les manipulations opérées avec leur bienveillance.
La question des valeurs et des principes démocratiques
Au Mali et en Guinée, la CEDEAO et la communauté internationale condamnent et imposent des sanctions aux nouveaux dirigeants, pour non-respect de l’ordre constitutionnel et des principes démocratiques. Que cet ordre constitutionnel soit traversé par de multiples disfonctionnements et violations, ou que les élections soient entachées de fraudes et qu’elles se déroulent dans le sang, cela les préoccupe peu. Ce qui les préoccupe le plus, c’est le maintien d’un ordre qui conduit ces nations au chaos.
La répétition des coups d’Etat dans les pays sous influence de la France pose, au-delà de la question du troisième mandat, la problématique de l’instauration d’une vraie démocratie, avec une réelle séparation des pouvoirs, de véritables contre-pouvoirs et une bonne gouvernance.
La CEDEAO, l’Union africaine et l’ONU restent dans leur logique de traiter les conséquences des coups d’Etat militaires plutôt que de s’attaquer aux causes de ceux-ci. Elles devraient s’atteler à traiter les problèmes à la racine et promouvoir de vrais systèmes démocratiques, et non des systèmes sous le contrôle total du président de la république, qui peut modifier les règles comme bon lui semble. A défaut d’une refonte totale des systèmes politiques et institutionnels, il ne faudrait pas être surpris que plusieurs autres pays soient aussi touchés par des coups d’Etat militaires.
Certains proposent l’instauration d’une convergence démocratique, à l’image de la convergence économique en vigueur au sein de la CEDEAO. Mais, il convient de rappeler qu’une convergence démocratique existe au sein de la CEDEAO. Elle est matérialisée par le pacte additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, et est malheureusement définie autour de valeurs et de principes démocratiques contestables.
A titre d’exemple, sur la modification de la constitution, les éléments de convergence en vigueur au sein de la CEDEAO proscrivent toute modification moins de six mois avant des élections présidentielles. La CEDEAO est contre une modification de constitution six mois avant les élections, mais autorise des modifications de constitution par un Chef d’Etat plus de six mois avant des élections, pour faire un troisième mandat que la constitution lui interdisait. On peut s’interroger sur l’ambition de la CEDEAO et de l’Union africaine en matière de démocratie.
Dans les pays de référence démocratique, le président de la république n’a pas de pouvoir d’initiative de modification de constitution, pour éviter toute manipulation à des fins politiques et pour son propre intérêt. C’est généralement par une initiative du parlement ou par une initiative populaire qu’une modification de la constitution peut être engagée. C’est le cas également au Kenya, où la tentative du président de la république en exercice de modifier la constitution a été jugée illégale en première instance et par une cour d’appel. Cette dernière a même souligné que le président de la république pouvait être poursuivi pour avoir voulu violer la constitution et lancé de façon illégale un processus de sa révision.
L’exemple de la modification de la constitution montre que les éléments autour desquels la CEDEAO définit sa politique et ses actions sont loin d’incarner des valeurs d’une vraie démocratie à laquelle les populations aspirent. Il faut donc opérer une refonte des éléments et des valeurs autour desquels la CEDEAO pourrait assurer la convergence démocratique des pays membres.
Le ridicule de la CEDEAO
La CEDEAO donne dans le ridicule avec l’exigence d’une transition de six mois et la décision de gel des avoirs des dirigeants à l’étranger. En imposant une transition de six mois, la CEDEAO veut-elle se substituer au peuple de Guinée ? Prétend-elle dénier tout droit au peuple guinéen de déterminer le temps de transition qu’il juge nécessaire pour une refonte complète du système politique et institutionnel avec la participation de l’ensemble des forces vives de la nation ? Au Ghana sous Rawling et au Nigéria sous Obasanjo, c’est au terme d’une transition d’au moins trois ans qu’a été mis en place ce qui constitue aujourd’hui le socle des systèmes démocratiques de ces pays.
S’agissant de la décision de gel des avoirs des auteurs du coup d’Etat et de leurs familles, il va sans dire que cela vise les avoirs à l’étranger et non en Guinée. Avec cette décision la CEDEAO montre qu’elle est aux antipodes de la gouvernance souhaitée par les populations, puisqu’elle admet et cautionne implicitement que les dirigeants des pays membres détiennent des avoirs à l’étranger. En matière de bonne gouvernance, on ne peut concevoir que les gouvernants détiennent leurs avoirs à l’étranger, ce qui serait l’expression de leur manque de confiance dans le pays qu’ils dirigent, préférant détenir leurs avoirs à l’abri à l’étranger. C’est cette philosophie qui explique que dans les pays développés, la révélation de la détention d’avoirs à l’étranger par des dirigeants emporte systématiquement la démission de leurs auteurs.
Ce que les populations africaines attendent ce n’est pas le gel d’avoirs à l’étranger de dirigeants. Elles attendent que leurs dirigeants détiennent leurs avoirs dans leurs pays plutôt qu’à l’étranger, qu’ils se soignent dans les hôpitaux de leurs pays plutôt qu’à l’étranger, et qu’ils passent leurs vacances dans leurs pays plutôt qu’à l’étranger. Au total, les populations africaines attendent de leurs dirigeants une gouvernance exemplaire.
Ce sont là quelques éléments des nombreuses valeurs que les populations voudraient voir guider la politique et les actions de la CEDEAO et de l’Union africaine en matière de démocratie et de gouvernance. Il y a manifestement un fossé entre la conception de démocratie et de gouvernance de la CEDEAO et celle à laquelle les populations aspirent.
Il faut se réjouir que certains dirigeants de la CEDEAO expriment de plus en plus un besoin de révision de certaines dispositions pour adresser les problèmes de fond à l’origine de la mauvaise gouvernance et des coups d’Etat dans les pays membres. Il est clair que les pays africains ont besoin d’une deuxième génération de réformes démocratiques, après celles des années 90 qui n’avaient porté que sur l’introduction du multipartisme et l’organisation d’élections plurielles.
Par KOUASSI Kouamé, Ingénieur Statisticien Économiste,
Ancien Directeur et Ancien Administrateur de la BCEAO, Ancien Directeur Général du Budget et des Finances