La disparition, il y a un an, d’Aly BA, « l’Avocat de la Banlieue », avait suscité une émotion considérable. Ses amis se souviennent et tiennent à exprimer leur admiration, leur reconnaissance et leur fidèle souvenir.
Pourvu de tant de dons, gourmand de tant de rôles, Aly nous semblait l’homme du monde le moins propre à jouer celui du mort. Si la sidérante nouvelle de sa disparition claqua comme un tsunami pour nous, c’est qu’il était éminemment, intrinsèquement présent.
Et si la preuve de saint Anselme avait quelque validité, on aurait pu dire que tant de présence excluait la possibilité pour lui de disparaître. Comment cet être survolté, virevoltant et vibrionnant qui paraissait inaltérable tel un roc d’intangibilité, a-t- il été fauché dans la force de l’âge ?
C’est pourquoi sa mort nous a démunis et laissés dans le désarroi. Un abîme de douleurs, l’expérience d’un gouffre, la sensation d’un vertige sans nom; et depuis, pour chacun d’entre nous, tissé, enroulé à l’intérieur du corps et au creux de la gorge, cette tristesse sans fin.
Une personnalité en 3D
Par sa force de vie joyeuse et sa puissance d’exister, il avait pu s’inventer et se réinventer sans cesse dans le lien avec les autres, dans l’énergie même qui vibre avec les autres et lui, dans la chaleur vivante de l’intersubjectivité.
Ce goût de la vie, de la réalité vivante, ce goût d’agir et d’entreprendre, exprimé dans une forme d’entreprise qui échappe cependant au lucre, au marché (pour lequel Aly avait moins que personne de sympathies sociales et politiques), il avait pu les satisfaire dans trois domaines bien différents et pour lui similaires : la carrière de manager, la vie associative et l’activité citoyenne.
Il mettait la même ardeur, le même enthousiasme, au service de la Cité, depuis qu’il avait rejoint la petite équipe des fondateurs de Fekkee ma ci boolee.
Vif, direct, droit au but, efficace, enjoué et percutant, il aimait lancer des idées et débattre ardemment sur tous les sujets. Il jouait le rôle d’agitateur de neurones et de principe actif par son enthousiasme incisif et chaleureux. Il était, au sens plein et fort du terme, un acteur de premier plan de la Cité : peut-être cette expression lui rend-il l’hommage qu’il aurait le plus apprécié.
Cet être à part, être-ange, prompt à vanner ses interlocuteurs et qui souriait sur toutes les photos, avec le même regard heureux souligné par une dentition parfaite, est parti avec le secret de sa gaieté. Et c’est seulement alors que nous réalisons, médusés, qu’Aly, notre Aly, était une de ces grandeurs qu’on côtoie, mais dont on ne prend la pleine mesure qu’après coup.
Et sa disparition, qui a irrévocablement césuré nos existences en un avant et un après, ouvre une brèche qui nous pousse à nous lancer à la recherche d’un sens, et nous pourvoie en raisons de vivre. Car cette vie courte mais follement dense, toute en fulgurances, au cours de laquelle il a multiplié œuvres et initiatives, nous offre en partage des expériences, de nature à ouvrir en chacun de nous des axes de résonance. Les traces sont nombreuses et les empreintes multiples.
Inlassable avocat de la banlieue, icône du mouvement associatif, leader de la société civile, Aly était tout cela, et en réalité, bien plus que tout cela. Il était en fait un de ces êtres rares que le destin met en circulation pour embellir, enchanter et magnifier la vie des autres.
Personnalité magnétique dont la seule présence semblait déplacer le centre de gravité d’une assemblée et faire de lui le point de convergence de toutes les attentions, Aly a su rendre sa vie aussi excitante et passionnante que celle d’un héros romanesque. Une vie de passion, d’engagement, de création vouée à œuvrer à la réussite de principes et de causes qui dépassent notre simple personne. Car si la mort est inéluctable, notre valeur, elle, ne mourra jamais. Et Aly qui a intégralement coïncidé avec son étoile singulière, a réussi à faire vivre jusqu’au bout les valeurs qui ont été les siennes.
Coach d’existence
Cette trajectoire de vie, la plus lumineuse dont on puisse rêver, exemplifie à suffisance, que réussir sa vie, ce n’est pas seulement réussir dans la vie, mais c’est peut-être saisir toutes les occasions pour se réaliser et rendre les autres heureux. Faire lien, traverser les milieux sociaux et relier des personnes de conditions différentes, bref être un trait d’union, telle semblait être sa vocation.
Rien pour lui n’était plus précieux que la mutualisation de nos
émotions. Avec toujours une longueur d’avance sur les autres, et cet ADN de fédérateur, il savait transformer positivement tout ce qu’il embrassait.
Avec une puissance d’aimantation et un talent rare de rassembleur , il s’est comporté dans la vie de tous les jours comme un leader naturel et naturellement éclairé, un compagnon avisé aux conseils précieux comme du rubis et un fervent ami sur qui on pouvait toujours compter, un ami véritable qui ne laissait jamais un allié en dessous de lui-même. « un bon ami est un ami qui vous élève »(Aristote).
Aly, c’était une main sans cesse tendue à l’autre pour le pousser à s’élever et l’orienter vers un dépassement de lui-même, une intimation à tracer sa voie propre, à gagner sa notoriété, et à prendre à bras le corps son existence. Une invite à vivre pleinement sa vie contre les « passions tristes » telles l’envie, le mépris, le ressentiment, le rabaissement. Nulle acrimonie chez lui, ni aigreur.
C’est pourquoi la convivialité avait pour nous un visage, c’était celui d’Aly. Et sa conduite de tous les instants confirmait invariablement que la gentillesse est le privilège étymologique des nobles.
Ce pari sur l’autre et cet idéal d’absolu ont été les marqueurs de cette personnalité solaire, qui a fait de l’empathie, c’est à dire de la perspective du cœur, du souci d’accompagner, de comprendre, d’aider, de prendre soin de ses proches, la base de sa vie morale. La bienveillance et le souci de l’autre ont tenu lieu de moteur d’une vie intense et exigeante dans laquelle l’estime de soi s’est conjuguée avec l’estime d’autrui.
Une référence pour l’histoire
En cette époque mouvante et changeante caractérisée par une pénurie de rêves, une pénurie d’espoirs, une pénurie d’énergie, cette vie exemplaire et ses repères éthiques apparaissent comme une invitation à l’action, à l’audace, à la prise de risques, à devenir, à exister, c’est-à-dire étymologiquement, sortir de soi, rencontrer les autres, le monde réel, embrasser tout le présent, actualiser sa puissance.
L’essentiel est que nous nous saisissions de toutes les occasions que la vie nous donne, pour nous ouvrir davantage aux autres, au monde, de faire corps avec ce besoin d’entrer en résonance avec autrui, avec le monde, avec notre travail, avec un univers qui fasse positivement sens. “ L’essentiel n’est pas de vivre longtemps, mais pleinement “(Sénèque)
Cette farouche énergie de vivre qui était la sienne constitue pour nous un antidote puissant au renoncement, un non résolu et massif à tout ce qui aliène, enlise, encage, résigne, une injonction permanente à trouver dans toute épreuve, un chemin qui va vers l’augmentation de la vie.
En un mot, l’art de ne pas se laisser amoindrir. Il avait une aversion toute germanique, comme dirait son ami Manar, contre le laxisme, la couardise, l’apathie, l’inertie et l’attentisme qui poussent à ne rien faire, en espérant que les difficultés disparaitraient d’elles-mêmes.
La clé du salut est dans l’action. D’où cette éthique du rebond qui a régi toute sa vie, une sorte d’admonestation silencieuse à s’engager, défendre, informer, alerter, surmonter. C’est ainsi que rien de ce qui touchait la Cité n’a été étranger à ce Croisé de la citoyenneté, ce Saint du civisme. Ses formules étaient devenues cultes : « Il n’y a pas de délit d’adresse », « les meilleurs experts de la banlieue, ce sont les ressortissants de la banlieue eux-mêmes ».
Croiser sa route, c’était se mettre à l’école d’un compagnon émancipateur, d’un éclaireur, d’un coach d’existence. Chaque rencontre avec lui était un feu d’artifice.
Depuis que l’irréversible s’est produit, mission nous est impartie désormais de faire cercle pour faire vivre et transmettre son legs afin d’empêcher cet héritage de disparaître sous les sables de l’oubli. Il a su impliquer sa vie, si profondément, en celle de chacune d’entre nous, comme une écharde en plein cœur, au point que sa haute figure ne nous quitte plus et nous habite comme un spectre bienveillant.
Aly est déjà entré dans le panthéon personnel de chacun d’entre nous comme une instance suprême de référence que chacun abrite en lui- même et dont les faits et gestes, les mimiques, les mots drôles, le débit vif, les interpellations, les éclats de rire, le timbre inimitable et chaleureux de la voix résonneront longtemps dans la chambre d’échos de notre mémoire affective.
Le nom d’ALY doit être inscrit au fronton de notre histoire collective. Une infrastructure publique d’envergure doit immortaliser ce nom. Maintenant que cet exceptionnel parcours de vie s’est interrompu, charge à nous, ses innombrables amis, de mener le combat.
A nous donc, il échoit prioritairement, le devoir de créer une association pour, dans le sillage de son œuvre, inventer de nouvelles formes de dignité et de solidarité, susciter des réflexions innovantes et stimulantes, faire émerger une communauté d’intelligence collective, afin de mieux comprendre et appréhender les enjeux de demain et donner corps à des projets ancrés dans le concret.
En un mot, se saisir des possibles pour forger des futurs alternatifs.
Nous t’avons tant aimé, Aly.
LES AMIS DE ALY BA
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