Il adore les virus, connaît leur utilité comme leurs travers. Pour stopper ceux qui causent les pandémies et sauver l’humanité, il faudra bien plus qu’un vaccin, estime le biologiste et océanographe Boucar Diouf. Il faudra de l’humilité, à hautes doses, pour revoir le rapport de l’homme à la nature. CORONAVIRUS – Ce n’est pas pour vous faire peur, mais le scientifique à la voix de sage et au verbe comique a pour son dire qu’on n’en a pas fini avec les microbes tapis dans les chauves-souris et autres bestioles à poils brassées dans les chaudrons de l’humanité. Car, outre l’hostile SRAS-CoV-2, dit-il, la muse de Batman abriterait 384 virus différents, selon une recherche en profondeur menée sur les chauves-souris. Et 300 000 à 400 000 autres petits-cousins du nouveau coronavirus susceptibles de sauter la barrière des espèces n’attendraient que le moment propice pour amorcer une nouvelle carrière chez homo sapiens, affirme Boucar Diouf. « C’est un peu prétentieux de dire qu’un vaccin est la solution à la crise actuelle. Les virus sont là pour rester et c’est une leçon d’humilité que nous, prédateurs, recevons de ces êtres minuscules qui sont à la base de tout sur Terre. Comme prédateurs, nous devons changer notre regard sur la nature et repenser la place de l’humanité sur la planète pour trouver une solution durable à cette cohabitation », affirme l’océanographe, qui souligne que, dans la mer, les virus jouent aussi le rôle de régulateurs des espèces et des bactéries, quand un écosystème est menacé. Préparer la paix, pas la guerre « Le vaccin, c’est l’arme de la rédemption, mais j’espère qu’on va lâcher le discours victorieux, et que ce ne sera pas une raison pour faire fi de la nature et ne pas se préparer à la prochaine épidémie », met en garde le scientifique. Diouf a un rapport double avec les virus. Curieux, à titre de scientifique, et intime, en tant qu’immigrant africain, frappé enfant par le virus de la poliomyélite, puis celui de la malaria, qui a attaqué ses jambes en s’insinuant par le nerf sciatique. “Les virus ont changé ma vie. L’humain se croit tout-puissant, mais les microbes étaient là et ont construit la vie bien avant nous. Ce sont les bactéries qui nous possèdent et pas le contraire. Elles ont le contrôle sur notre corps, notre système digestif, notre système reproducteur et même notre cerveau ”, dit-il. Celui qui vient de publier Le brunissement des baleines blanches et Jo Groenland et la route du Nord persiste à dire que la crise actuelle n’est pas sanitaire, mais d’abord environnementale. Totalement héritée de la surexploitation des ressources animales par l’homme et de son non-respect des autres espèces. « Si on veut éviter de devenir l’hôte de ces virus destructeurs pour l’humain, ajoute Boucar, il faut préserver les habitats des autres espèces. S’ils nous embêtent, c’est qu’en détruisant la biodiversité, on a fait disparaître leurs hôtes naturels et qu’ils [les virus] ont maintenant grandement besoin de nous pour se reproduire. » Son grand-père ne dirait plus… Plus qu’un douloureux rappel à l’ordre environnemental, la crise actuelle révèle aussi une immense blessure sociale, estime le Sénégalais d’origine, dévasté par l’impact immense de la pandémie sur les personnes âgées. Toute une tranche de la population, entassée par convenance dans des milieux de vie transformés en tombeaux, en prisons mortifères. Diouf, dont le mantra comique « Mon grand-père disait toujours… » salue la sagesse héritée du passage du temps, imagine que son aïeul serait, cette fois, sans mots devant pareille catastrophe humaine. « Que ces défricheurs, ces gens qui ont bâti ce pays, meurent aujourd’hui seuls en raison de nos choix de société, c’est dramatique. On peut bien fustiger le gouvernement, les transferts fédéraux, ou d’autre chose, mais en fait, on est tous un peu responsables socialement de cette situation. On a décidé de laisser les vieux à l’abri des regards », estime le conteur. En Afrique, les anciens sont vénérés. Ici, Boucar Diouf se désole que les décès de gens en CHSLD soient souvent présentés par le gouvernement comme un simple dommage collatéral, inévitable rançon d’un virus qui a pour défaut de s’en prendre aux plus âgés d’entre nous. « Est-ce qu’on vaut moins parce qu’on vit en CHLSD ? C’est une cassure sociale qu’il faut réparer, un autre drapeau rouge qui est levé. C’est l’aboutissement d’une société où celui qui ne produit plus n’a plus de valeur. Plus tu t’éloignes de la production, moins ta place dans la société est noble. Collectivement, on gagnerait à changer notre regard sur les vieux. Tout ce qu’on voit dans la vieillesse, c’est le miroir de ce qui nous attend. Et on détourne le regard », déplore Diouf. Intarissable sur les virus, Boucar le scientifique est rapidement éclipsé par Boucar le philosophe quand la conversation arrive à son point d’orgue. Car, au-delà du virus, croit-il, l’humanité devra s’affairer à se prémunir contre ses propres dérives si elle veut continuer, pour un moment encore, à faire un bout de chemin sur ce caillou aux côtés de ces ancêtres parfois malcommodes, mais ô combien efficaces : les microbes. Maderpost / Le Devoir / Isabelle PARE]]>
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