A quelque chose malheur est bon, dit le proverbe ; ou derrière chaque malheur se cache un bonheur, encore faut-il savoir le détecter à temps et en tirer profit. Quelles que soient les difficultés auxquelles nous sommes confrontées, nous devons faire en sorte qu’elles soient pour nous une source d’expérience et donc une opportunité, pour nous amener à réfléchir sur les effets positifs que nous pouvons en tirer. La pandémie liée à la COVID-19 devrait s’inscrire dans cette logique, tellement la survenance brusque de cette maladie nous a amené à nous réinventer pour survivre.
TRIBUNE – Cette crise constitue en effet une grosse opportunité pour notre pays, pour revoir son fonctionnement global, celui de la société et des citoyens pris individuellement ou en groupe, si nous voulons bâtir les fondements d’une véritable émergence. Si nous sortons de cette pandémie sans repenser notre société, nous aurons raté le virage d’un véritable déclic pour encore 1 siècle. Si nous ne tirons pas les conséquences positives qui doivent découler de cette crise, alors nous aurons pris des mesures et perdu beaucoup de temps pour rien.
L’un des faits les plus marquants pour un étranger qui débarque chez nous, c’est le niveau élevé de désordre, d’indiscipline et d’insalubrité. Que ce soit dans la circulation, les quartiers, les lieux de commerce, etc. chaque sénégalais fait ce que bon lui semble, le plus souvent l’insulte à la bouche au premier reproche, sans être inquiété le moindre du monde. Il ne se passe pas un jour sans que l’on soit témoin de scènes les unes plus surréalistes que les autres, notamment dans la circulation routière et piétonne.
Le phénomène est tellement cocasse qu’à l’annonce des premières mesures liées au semi-confinement, la plupart d’entre nous a eu cette réaction : « ce n’est pas possible ». Ce qui signifie que nous reconnaissons tous que nous ne sommes pas disciplinés, pour faire comme les autres. La preuve par l’exemple ; au premier jour du couvre-feu, la police a dû user de moyens musclés, pour faire comprendre au plus récalcitrant la nécessité d’observer les mesures prises par l’Etat. Dans d’autres endroits, c’est tout simplement l’autorité de l’Etat qui a été bafouée sans autre forme de procès.
Comme le disait l’écrivain québécois Michel Bouthot, « la discipline est la toile de fond de tous les exploits ». Donc, une chose est sûre, un peuple sans discipline n’avancera jamais ! Un pays sans discipline ne se développera jamais, quel que soit les milliards qu’on peut y injecter.
Eriger la discipline en règle
La pandémie liée à la COVID 19 a pourtant poussé la plupart de nos compatriotes à suivre, tant bien que mal, les mesures prises par les autorités, dans la bonne humeur : port du masque, rang devant les boulangeries ou les supermarchés, distanciation sociale, respect des mesures barrières, non surcharge des véhicules de transport, etc.
Que s’est-il passé entre temps pour que nous observions un semblant de discipline en un laps de temps ? La peur de la mort est certainement passée par là pour qui connait le sénégalais !
Du moment que nous sommes en mesure de le faire, pourquoi ne devrions-nous pas alors continuer dans cette lancée après la pandémie ?
C’est à ce niveau que les pouvoirs publics sont attendus : la conséquence logique de la pandémie liée à la COVID-19 devrait amener l’Etat à sévir désormais contre toute forme d’indiscipline et de manière exemplaire, si nous voulons inscrire notre pays sur les rampes de l’émergence. Le contraire nous ramènerait à un siècle en arrière et ce problème ne pourrait plus être réglé sauf alors dans un autre cas de force majeure exceptionnelle, un vrai big bang qui nous obligerait à la discipline ou à notre perte !
Gageons que nous n’en arriverons pas là et que l’autorité aura déjà fait une réflexion prospective dans ce sens comme dans d’autres d’ailleurs, pour faire avancer le pays dans la bonne direction. En effet, une pareille crise devrait amener l’Etat, si ce n’est déjà fait, à mettre en place une task force qui, dans une démarche prospective, va réfléchir, étudier, évaluer les impacts positifs comme négatifs et donner des orientations pour la relance de la machine, dans tous les domaines – culturel, social, juridique, économique, institutionnel, politique, etc. –
Cette task force pourrait être dévolue à nos éminents universitaires et spécialistes pluridisciplinaires, qui ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine avec la production des études “Sénégal 2015” et “Sénégal 2035” pour nous éviter de politiser le débat et les conclusions. Une telle démarche nous permettra de définir, de manière cohérente, le “TYPE DE SENEGALAIS” qu’il nous faut pour faire du Sénégal un pays émergent apte, à intégrer le cercle des pays développés.
La nécessité de repenser notre système de santé
L’autre dysfonctionnement révélé par la COVID-19, c’est la vétusté dans laquelle se retrouve notre système de santé, malgré la qualité exceptionnelle des ressources humaines que nous avons. Fort heureusement que nous n’avons pas connu (pas pour l’instant) une contamination massive comme en Europe ou aux Etats-Unis. C’aurait été alors l’hécatombe comme le prédisaient les occidentaux. L’ingéniosité et l’abnégation du personnel soignant nous ont épargné certainement une telle situation, corrélée avec les mesures prises assez tôt par les pouvoirs publics.
Au sortir de cette pandémie, nous ne devrions plus évacuer certains de nos malades à l’étranger si le nécessaire est fait, pour que notre système de santé puisse désormais faire face à n’importe quelle situation.
Il faut rééquilibrer le système sanitaire en investissant notamment dans les régions périphériques avec des plateaux médicaux relevés, pour pouvoir endiguer très rapidement des épidémies de ce genre. L’existence d’un tel système aurait minimisé les cas importés, qui sont notamment passés par les frontières terrestres. Cette pandémie doit nous ouvrir les yeux, pour bâtir un système de santé résilient, capable de soigner tout malade, sans distinction de rang social.
Formaliser l’informel et accroître les moyens
Quid de l’économie ? A l’évocation du confinement, tout le monde a été unanime à dire que ce n’est pas possible, comme cela a été fait en Europe, tellement notre économie repose sur l’informel, qui emploie la plupart de nos concitoyens. Les impacts économiques liés à la pandémie ont poussé beaucoup de structures à demander l’appui de l’Etat, pour s’en sortir. Mais qui a accès à cette aide ? Seules les entreprises normées, structurées, connues par les services de l’Etat et s’acquittant de leurs obligations y sont éligibles. Normal, dirait l’autre ; parce que ce sont elles qui paient l’impôt, qui assurent la sécurité sociale à leurs employés, etc.
La pandémie liée à la COVID-19 devrait pousser l’Etat justement à réorganiser le système en formalisant l’informel. Une telle stratégie pourra aider à :
• avoir une cartographie plus fiable des acteurs de notre économie ;
• lever plus d’impôt grâce à une digitalisation de tous les acteurs ;
• satisfaire davantage les citoyens en investissant dans des projets utiles à la communauté ;
• être beaucoup plus proactif à l’avenir pour venir en aide aux acteurs économiques en cas de résurgence d’une crise ;
• endiguer la pauvreté ;
• etc.
Cela permettrait également de mettre aux normes l’ensemble de l’économie en termes de standards, de visibilité, d’hygiène, de sécurité, de couverture sociale et médicale, de prise en charge des retraités, etc.
L’informel doit être un atout pour la relance économique et non une contrainte. Pour se faire, il faudra la formaliser, la structurer, l’aider à intégrer de manière souple le tissu industriel, sans perdre son âme. C’est de cette manière que nous pourrons bâtir une économie résiliente, qui prend en compte l’ensemble des acteurs avec qui l’Etat pourra avoir des relations mutuellement bénéfiques.
Chaque franc compte, du vendeur d’arachide (« guerte thiaf ») du quartier à l’industriel, en passant par les métiers intermédiaires souvent délaissés, comme les mécaniciens, les menuisiers, les boutiquiers du quartier, les tailleurs, etc. que notre système n’a pas l’habitude de comptabiliser. L’économie, c’est l’activité de tous les jours, qui rapporte de l’argent à celui qui la pratique, même la plus petite. Chaque citoyen actif, doit participer à l’effort global de la collectivité, à travers l’impôt, pour donner à l’Etat les moyens de sa politique.
Des niches incroyables d’impôt existent dans ce pays ; encore faudrait-il travailler à disposer des données nécessaires, à avoir toutes les statistiques pour connaître qui est qui et qui fait quoi. Si tout le monde paie l’impôt, l’impôt deviendra moins cher pour tout le monde. Nous pourrions alors mettre sur place un système de sécurité sociale pour tous, une sorte de filet qui prendrait en compte tout le monde, y compris les plus démunis.
Repenser l’école avec la digitalisation
L’école a été l’un des secteurs les plus touchés par la COVID avec l’arrêt des cours dans tout le territoire national. Au-delà de l’aspect économique, qui frappe la plupart des secteurs, l’enjeu majeur à ce niveau est de voir comment faire pour sauver l’année. Une problématique difficile, complexe et qui peut avoir des conséquences néfastes sur l’avenir de plusieurs générations. A part les grèves cycliques, nous n’avons jamais imaginé qu’un cas de force majeure de ce genre pouvait advenir et compromettre ainsi nos certitudes.
C’est l’occasion de s’asseoir autour d’une table, pour repenser l’école autrement, pour qu’elle soit davantage flexible, moderne et imaginative pour pouvoir faire face, à l’avenir, à n’importe quelle situation pouvant la perturber dans sa forme actuelle voire entraver son développement.
La digitalisation de l’apprentissage et de l’enseignement est devenue une nécessité absolue tout comme l’urgence d’avoir un système souple, ou chaque élève, chaque étudiant, pourra adapter son apprentissage aux contraintes qui s’imposent à lui.
La troisième révolution industrielle sera, ou est déjà numérique, digitale ; nous ne devons en aucun cas rater le train de l’histoire. Pour cela, toutes les entreprises évoluant dans le domaine numérique devraient être mises à profit pour gagner ce pari et offrir à notre école les moyens de sa politique.
De même, il serait heureux que les principaux acteurs du système, notamment l’Etat et les syndicats d’enseignants, trouvent un accord pour éviter toute forme de grève pendant au moins deux (2) ans, pour rattraper le temps perdu, renforcer les acquis, consolider le système et donner à nos enfants leurs chances de réussite. Cette génération COVID-19 devra être protégée à tout prix.
Conclusion
Nous devons profiter de cette crise pour réorganiser notre société, ériger la discipline et la rigueur au cœur de nos actions et de notre vie de tous les jours ; en d’autres termes, mettre l’humain au cœur de toutes nos politiques. Nous devons nous adapter à l’évolution du monde moderne ; la manière actuelle dont nous fonctionnons ne développera jamais notre pays, au contraire ! Les riches deviendront plus riches, les pauvres plus pauvres et, en fin de compte, il y aura une confrontation, qui ramènera tout le système à plat.
Si nous savons saisir les opportunités qui se présentent à nous pour repenser nos interactions, nous pourrons alors éviter un tel cas de figure.
Vivement que l’esprit de la réflexion prospective soit au cœur de nos démarches, que la discipline soit érigée en règle dans ce pays et que le bavardage inutile cesse !
Nous le pouvons, car nous en avons les capacités. Il suffit juste que nous voulions changer de mentalité et de comportement et accepter de travailler ensemble pour l’intérêt collectif. La COVID 19 a tracé douloureusement les sillons. A nous de savoir semer pour récolter agréablement !
Bartélémy Sène
Géographe, Communicant
geejseen@gmail.com]]>
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