La crise du Covid-19 est grave et il faut se féliciter des mesures annoncées par le Chef de l’Etat lors de son message à la nation du 03 avril 2020 pour une résilience économique et sociale. Maintenant, il nous semble utile de leur fournir une perspective en élargissant le spectre de leur application, pour opérer une véritable rupture TRIBUNE – “Nous le disons dans un précédent papier, la pandémie sanitaire du Covid-19 déroule une onde de choc économique planétaire qui interroge profondément les modèles économiques des pays. Jusqu’à présent, le rouleau compresseur de la mondialisation dans les pays de l’OCDE s’est déployé autour d’une stratégie centrée sur la compétitivité-coût, au détriment d’autres facteurs comme le risque pays, la proximité de la chaine logistique, la résilience locale, etc. La certitude néolibérale de la recherche absolue du moindre coût est fortement ébranlée par le goulot d’étranglement que représente actuellement la Chine “atelier du monde”, car, au-delà de la crise sanitaire, il semble se procéder un emboitement de 03 crises dérivées – pétrolière, économique et sociale – dont les conséquences sont encore peu appréhendées, à l’échelle du monde. De même, au plan macroéconomique, le sacro-saint du totem d’une maitrise du déficit public, et in fine de l’endettement, est maintenant vigoureusement chahuté par les défenseurs les plus rigides d’une discipline budgétaire, tant bien que même l’Allemagne, principale gardienne de l’orthodoxie budgétaire européenne via les critères de Maastricht, a décidé, dès le 23 mars 2020, de “suspendre ses restrictions aux déficits publics inscrites dans la Constitution”, pour lutter contre le Covid-19. Au plan macroéconomique, les principales banques centrales (Réserve Fédérale et BCE) du monde ont sorti, dès le début de la pandémie, l’arsenal de mesures dites non conventionnelles, en mettant respectivement, 2 000 milliards de USD et 750 milliards d’EUR, pour sauver l’économie d’un arrêt brutal, “whatever it takes”, quel qu’en soit le prix. En effet, les chiffres alarmants de l’Organisation Mondiale du Tourisme d’une baisse de 400 milliards USD subie principalement par les compagnies aériennes, suffisent largement pour envisager des mesures fortes. Dans ce sillage, en zone UEMOA, la BCEAO a pris un ensemble de mesures pour aider les Etats membres à faire face, dont les plus en vue sont notamment le relèvement du montant d’injections de liquidités hebdomadaires à 4 750 milliards FCFA, et surtout un taux de soumission fixe appliqué de 2,5%. De même, l’élargissement du dispositif des Accords de classement à 1 700 entreprises de la zone dont les crédits commerciaux seront admissibles au refinancement de la BCEAO est une bonne mesure. Maintenant, il faut aller loin, et surtout user des armes non conventionnelles appropriées. La monétisation de la dette souveraine doit être envisagée. Comment ? D’abord, la survenance de la pandémie du Covid-19 dans la période de dénonciation du nouvel Accord monétaire, signé le 21 décembre 2019 entre la France et la zone UEMOA est “une chance”, car le délai de 06 mois prévu par le texte est encore en vigueur. C’est le moment d’envisager d’y introduire une clause permettant à la BCEAO de faire directement une avance directe aux Trésors Nationaux de l’ordre de 20% des recettes fiscales attendues au cours de l’année. Concrètement, ce serait un montant de 535 milliards de FCFA disponible pour le Sénégal, sachant que la LFI 2020 projetait des recettes de l’ordre de 2 675 milliards de FCFA. En situation de guerre, les efforts de guerre sont nécessaires ! Ensuite, deuxième piste sérieuse à envisager : l’émission d’un Eurobond à l’échelle de la zone UEMOA pour financer les nécessaires dépenses de résilience contre la pandémie du Covid-19. La somme totale des avoirs en Droits de Tirage Spéciaux (DTS) des 08 pays de la zone auprès des institutions multilatérales pourrait servir de collatéral à cet emprunt et d’après nos calculs, l’Union peut mobiliser un budget de guerre de 3 000 milliards de F CFA. Le Chef de l’Etat a pris au niveau microéconomique, pour le Sénégal, un plan de relance doté d’un package de mesures très fortes. Il faut saluer sa pertinence en ciblant les ménages défavorisés – paiement des factures d’eau et d’électricité pendant 02 mois, distribution gratuite de vivres pour 69 milliards de F CFA – d’une part ; et d’autre un soutien massif aux entreprises via un report des charges fiscales de 200 milliards de F CFA, 300 milliards de F CFA de dette fournisseurs payés, 100 milliards de F CFA pour les entreprises des secteurs les plus touchés, et enfin, un mécanisme de financement allégé doté d’une ligne de 200 milliards pour les entreprises en difficulté sous réserve d’un maintien, même partiel, des salaires à hauteur de 70%. Justement, une synergie urgente est à construire autour des différentes institutions mises en place pour financer l’économie – ADEPME, BMN, FONSIS, FONGIP, BNDE -, un Big 5 gagnant qui témoigne de la vision éclairée du Président de la République. En ces temps de crise, le pragmatisme doit servir de seul aiguillon pour matérialiser les décisions. Pour injecter en effet les fonds disponibles au niveau macro et micro dans l’économie nationale, imaginons l’ADEPME qui travaille sur une base de données des PME et PMI fortement contributrices au PIB du Sénégal et percutées par les effets de la crise ; le Bureau de Mise Niveau (BMN) qui apporte toute son expertise en termes de capacitation managériale et de coaching ; le FONSIS qui intervient en entrant, au besoin, dans le capital en apportant des fonds propres ; le FONGIP qui octroie des garanties auxdites PME et PMI qui se font financer ainsi par la BNDE, qui est une banque commerciale ayant accès justement aux ressources de la BCEAO ! Cette stratégie donnerait une clarté d’ensemble de ces institutions et matérialisera très concrètement les jalons posés par le Chef de l’Etat pour accroitre le financement de l’économie réelle par les banques et institutions financières. La tentation serait de créer un comité avec ces différentes structures impliquées, avec le risque qu’il accouche d’un chameau alors que notre pays a besoin de cheval de course. Je propose en revanche de créer une véritable taskforce agile, indépendante et dédiée, sous le pilotage direct du Président de la République, pour mettre en œuvre les décisions nécessaires et urgentes requises par la situation. Le génie sénégalais est là, encore faut-il savoir l’utiliser sans se lier les mains. En définitive, un renouveau du modèle économique actuel s’impose. Certes le diagnostic du PSE est bon et il faut tenir son cap via le PAP 2, malgré les turbulences. En revanche, il nous semble utile d’interroger, dans le contexte actuel, les deux mamelles d’attractivité de l’économie sénégalaise que sont 1) la concession à des multinationales étrangères d’infrastructures vitales (eau, téléphonie, autoroutes, mines et carrières, etc.), 2) l’absence d’un marché fort de plus de 50 milliards de F CFA octroyé à une entreprise du secteur privé national. Car, en tant de crise, seuls les patriotes viennent à la rescousse de l’Etat, en témoigne la modicité des contributions de certaines multinationales (exemple SONATEL 1,2 milliards de F CFA pour un chiffre d’affaires en 2019 de 1 080 milliards, ICS donnant 150 millions pour un CA de 200 milliards de F CFA, etc.) Le penseur italien Antonio GRAMSCI définissait une crise par le temps s’écoulant entre une agonie lente d’un ancien monde et la naissance d’un nouveau. Je formule un vœu d’un après-crise sous le signe de l’an 0 d’un nouveau modèle économique pour le Sénégal, un modèle pragmatique, résilient et efficace. Seydina Alioune NDIAYE, Economiste, Membre du Club Sénégal Emergent]]>
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