ENTRETIEN – Dans cet entretien exclusif avec Financial Afrik, Adrien Diouf, Directeur Général de l’Agence UMOA-Titres, revient sur la mobilisation record de 200 milliards de Franc CFA sur le Marché des Titres Publics (MTP).
Cet engouement s’explique principalement par deux séries de raisons. Une première série de raisons de type structurel, liées au travail effectué depuis 2014 par l’AUT mais aussi par l’ensemble des autorités de notre UNION afin de bâtir un climat propice à l’investissement dans les titres publics. Ce travail a eu pour conséquence un élargissement de la base des investisseurs, ce qui approfondit le MTP.
Et une seconde série de raisons contextuelles ou spécifiques à cette opération qui ont trait à l’appétit des investisseurs pour la signature du Sénégal. En effet, une absence du pays sur le marché local de la dette lors des 24 derniers mois a favorisé cette appétence pour ses titres. Ceci combinée, bien entendu, à un contexte de liquidité très favorable aux investisseurs bancaires.
Il faut noter qu’il s’agit d’une première pour le Marché des Titres Publics qui démontre ainsi, s’il en était nécessaire, sa performance quand il s’agit de mobiliser des petits comme des gros montants sur de courtes ou longues maturités et tout cela à des coûts maîtrisés et dans des conditions de totale transparence.
Le montant global des soumissions est de plus de 385 milliards de Franc CFA mais le Sénégal s’est limité à son objectif initial. Est-ce à dire que le marché est demandeur de telles opérations ?
En effet, dans un souci de maîtrise du coût de sa dette, de discipline budgétaire et à cause de l’objectif visé lors de cette opération, les autorités Sénégalaises ont décidé comme recommandé par les services de la Direction Générale du Trésor et par l’Agence UMOA-Titres, de se cantonner strictement au montant annoncé, renonçant ainsi aux 185 milliards supplémentaires offerts par les investisseurs. Il s’agit là d’un signal fort envoyé par les acteurs du marché.
Il est clair que le contexte actuel de notre marché est porteur pour des opérations de grandes envergures avec un objectif clair et spécifique. Il est bon d’en effectuer sur une base régulière pour satisfaire les besoins des Etats et des Investisseurs. Cependant, la nature profonde du MTP reste la fréquence, la régularité et le contrôle des montants afin d’offrir à tout moment une solution d’investissement aux investisseurs et de permettre un contrôle du service de la dette et de la trésorerie par les Etats.
Avant cette opération, les bruits du marché disaient que le Sénégal semble avoir opté pour le marché international car moins cher. Est-ce à dire que les taux servis dans cette opération s’approchent des benchmarks internationaux?
Il faut dire que chaque fois qu’un besoin de financement se présente, l’Etat se doit d’évaluer toutes les options qui lui sont offertes. Il va donc sans dire que nos offres de financement sont toujours en concurrence avec d’autres solutions locales ou internationales, en devise ou en monnaie locale, issue des marchés financiers ou d’un processus de négociation bilatérale. Chacune des solutions évaluées présente ses avantages et ses contraintes.
Soucieux de rallonger la durée de vie moyenne de son portefeuille de dette tout en améliorant son coût, l’Etat du Sénégal a fait le choix de retenir 129 milliards FCFA sur l’OAT 3 ans, 21 milliards FCFA sur l’OAT 5 ans et environ 45 milliards FCFA sur l’OAT 7 ans.
De plus, les taux de sortie de 5,81% ; 6,03% et 6,14% sur les maturités respectives de 3, 5 et 7 ans s’inscrivent dans les meilleures performances de l’année et sont en parfaite cohérence avec ses niveaux de taux cibles sur notre marché. Il semble donc que ces conditions sont les meilleures et les plus stratégiques dont l’Etat disposaient au moment du lancement de cette intervention.
Ce montant aussi élevé va-t-il, à votre avis, contribuer à faire évoluer durablement le Marché des Titres Publics par adjudication jusqu’ici vu comme le marché des petits montants?
Cette émission marque un tournant pour le Marché des Titres Publics en imposant dans un premier temps la structure in fine comme un standard auprès des investisseurs, mais surtout en prouvant sa profondeur en termes de capacité de mobilisation.
Aussi, de par sa taille, de par sa structuration et de par ses résultats au regard de notre contexte de marché, cette émission nous a fait évoluer vers des standards internationaux et corriger une vision erronée qui est celle de classer le Marché des Titres Publics comme un marché ne permettant de lever que des montants modestes sur de courtes maturités.
Cela a mis au grand jour ce que les observateurs avertis savaient déjà quant aux capacités du MTP et on l’espère finira de convaincre les Etats quant à leur partenariat avec le MTP et l’AUT; d’autant plus que grâce au processus de mise en concurrence de l’adjudication, il leur garantit les meilleurs coûts et une totale transparence.
L’année 2019 touche à sa fin. Quel bilan peut-on en tirer pour l’Agence UMOA-Titres ?
A date, l’Agence UMOA-Titres a mobilisé pour les Etats de la zone UEMOA, plus de 3 420 milliards FCFA dont 1 645 en Bons Assimilables du Trésor et 1 775 en Obligations Assimilables du Trésor atteignant ainsi un nouveau record en termes de montant mobilisé sur une année.
La structure des titres émis a également été particulièrement satisfaisante ; de plus en plus d’émetteurs optant pour le in fine sur leurs émissions allant jusqu’à 5 ans et permettant ainsi de poursuivre la standardisation des instruments de dette et de rallonger la durée du stock de dette.
L’Agence UMOA Titres a également organisé plusieurs opérations d’envergure dont celle du Sénégal du 06 décembre dernier et les opérations d’échanges de titres de la Côte d’Ivoire en mai et octobre 2019. Lors de ces opérations, la Côte d’Ivoire a pu échanger près de 282 mds de titres arrivant à échéance en 2019 et en 2020 contre des nouveaux titres arrivant eux à échéance en 2022 et 2024, assortis de conditions financières en ligne avec les conditions actuelles du marché.
Cette année est donc une année où l’AUT s’est illustré sur son cœur de métier qui reste la levée de fonds mais aussi sur une expertise plus pointue qu’est la gestion active de la dette, gage de valeur ajoutée pour nos Etats.