Spécialiste en économie et enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Souleymane Keita a été, ce samedi, l’invité du Grand Oral. Sur les ondes de la 97.5 Rewmi FM, il est longuement revenu sur la question de l’économie sénégalaise.
Dès son accession à la magistrature suprême, le président Macky Sall avait promis une gestion sobre et vertueuse. Pensez-vous qu’il s’est conformé à cette promesse ?
Nous en économie, on juge l’acte dans le long terme et pas dans le court terme. Et que l’ensemble des promesses qui ont été tenues par le Président Macky Sall, lorsque vous constatez dans le long terme, vous remarquez qu’aujourd’hui, le niveau de la dette publique a augmenté.
Et que l’ensemble des mesures qui vont aller dans le sens de la réduction de la dette publique ne sont pas encore pour le moment envisagées. Les mesures que nous voyons au-delà de la réduction des factures téléphoniques, la concentration d’un certain nombre d’agences, entre autres mesures que nous entendons du Chef de l’Etat et qui ne sont pas encore à l’ordre du jour. Globalement, des mesures ont été prises mais beaucoup de choses restent à faire pour résorber la question de la dette.
Quelles sont les mesures que vous préconisez au Président Macky Sall ?
En économie tout est structuré. L’économie sénégalaise est structurée et elle n’est pas conjoncturelle. Donc, les mesures prises par le Président de la République sont des mesures conjoncturelles. Il faut des mesures structurelles pour faire ce qu’on appelle un dégraissage des finances publiques. Il y a trop de dépenses pour des fonctions inutiles.
Il y a beaucoup de structures qui sont des structures d’accompagnement et qui n’ont pas une mainmise sur les finances publiques. Donc, on pouvait faire fi de ces structures. L’autre mesure qu’on ne dit pas, vous savez quand on parle de dépenses, on parle de recettes. Il faut aussi améliorer le niveau de recettes. Vous savez, le taux de mobilisation de recettes, aujourd’hui, n’est pas suffisant. Au niveau des domaines par exemple, ce n’est pas suffisant. Il faut augmenter le niveau de recettes et voir comment nous pouvons mobiliser des ressources pour pouvoir faire face à un certain nombre de choses au niveau des mobilisations de recettes qui posent un problème crucial.
Qu’est-ce qui explique le fait que la montée de la croissance que nous annoncent nos dirigeants ne se fait pas sentir dans le panier de la ménagère ?
Le plus souvent, les gens ne comprennent pas la notion de croissance économique. C’est un indicateur politique mis à la disposition des hommes politiques pour faire les politiques économiques. Je pense qu’aujourd’hui, même si nous avons la croissance économique de 10 à 11%, ça ne règle pas la question (…).
La croissance n’est qu’un indicateur quantitatif qui mesure le volume de production à un moment donné. Elle ne règle pas la question de santé, elle ne règle pas la question des infrastructures. C’est seulement un indicateur quantitatif qui vous dit voilà le volume de production entre les périodes A et B. Je vais vous dire une chose : en Afrique, nous avons un indicateur improvisant.
Notre croissance ne se ressent pas au niveau du panier de la ménagère parce que c’est aussi une question structurelle. La composition de cette croissance, c’est les secteurs des services avec un niveau beaucoup plus élevé. Aujourd’hui, si vous regardez le niveau des services les banques, elles sont à 90% occupées par les banques étrangères qui font des bénéfices ici et les rapatrient chez eux. Il faut revoir la structure de notre économie. Il faut faire la promotion de nos
banques et de nos structures. Il faut faire le patriotisme économique.
On passe au fameux débat sur le franc Cfa et la monnaie unique. Qu’est-ce qu’il faut faire ?
Ça dépend encore de l’incohérence de nos Chefs d’Etat. Je ne comprends pas la précipitation avec laquelle nos Chefs d’Etat veulent nous amener vers la monnaie unique. Déjà nous avons une monnaie unique qui s’appelle le franc Cfa, qui a beaucoup de contradictions qui font qu’aujourd’hui, on ne peut pas créer de l’emploi en Afrique, en tout cas dans la zone Uemoa. Ceci fait aujourd’hui que la vie est devenue dure.
C’est ce qui fait également aujourd’hui que le niveau de la pauvreté est très élevé. Vous savez nous avons une zone monétaire qu’on appelle Uemoa. Nous avons, une monnaie qui est arrimée à l’euro. L’euro est arrimé à une politique monétaire qu’on appelle dans la zone européenne et nous, en tant que pays pauvres, nous nous alignons à cette politique-là. C’est-à-dire la maîtrise de l’inflation et quand nous allons vers ça, ça veut dire qu’on ne veut pas faire du crédit à l’économie.
Ce qui fait que le taux de bancarisation, ce qui fait que le crédit est très faible. Ce qui fait que les productivités de nos entreprises sont très faibles. L’autre problème, c’est que nous avons une monnaie forte. Une monnaie directement arrimée à l’euro et du coup, ça veut dire que la monnaie que nous avons, constitue pour nous une sorte de subvention à l’importation. Ça veut dire que ça augmente le pouvoir d’achat de la population et ça constitue une surtaxe sur l’exportation de nos produits. Pour aller vers une monnaie unique, il faut régler cette question de contradiction interne et quand on aura trouvé des réponses à cette contradiction interne, on pourra maintenant aller vers la monnaie unique.
Cheikh Moussa Sarr/Xibaaru