En politique, Ousmane Sonko a adopté une stratégie payante. Une confrontation directe avec le régime de Macky Sall, dont il a réussi à faire du chef son alter ego, soulevant l’ire des hauts responsables du parti présidentiel. Renforçant du coup, son aura de jeune loup politique aux dents longues et acérées.
CHALENGE – Dans le cyclisme, c’est ce qu’on appelle avoir de la laine sous les ongles. Tenter de gagner en s’accrochant au maillot de son adversaire, se servant de cet appui pour se propulser en avant. Ousmane Sonko n’est pas Lance Armstrong, mais le leader des Patriotes, a fait de cette philosophie des champions, une stratégie de bataille politique contre le régime de Macky Sall qu’il ne lâche pas d’une semelle.
Troisième lors de la course présidentielle de 2019, le boss de Pasteef tient à avoir les clés du Palais pour 2024. Un objectif qui passera forcément par une adhésion massive des Sénégalais à sa cause. Une tâche ardue que le régime en place depuis 2012 est pourtant en train de lui faciliter. Par sa volonté farouche de le snober, de l’humilier, le pouvoir de Macky Sall pose des actes qui se retournent toujours contre lui, en la faveur du chantre de l’antisystème. De Ousmane Sonko, l’empêcheur de tourner en rond.
Une forme de publicité
Le dernier acte en date a eu lieu le dimanche 30 juin 2019. L’Assemblée nationale convoque une plénière pour le vote du projet de Loi de finances rectificative (Lfr) 2019. Le tour de parole de Ousmane Sonko est annoncé par le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Sans perdre de temps, le député s’extirpe de sa chaise et se dirige, le pas mesuré, vers le présidium niché devant le Perchoir.
L’instant d’après, main dans la main, tous les députés de la majorité présidentielle quittent l’Hémicycle. En conformité au mot d’ordre décidé quelques minutes plus tôt : «Ne pas assister au temps de parole de Sonko.»
Pendant ce temps, le chef de file de Pastef/les Patriotes affiche un sourire narquois. Et lance ses piques aux boudeurs. «On me facilite la tâche, car je ne suis pas venu à l’Assemblée pour m’adresser à une majorité mécanique transparente, qui ne connaît pas les enjeux».
Qu’à cela ne tienne ! Ousmane Sonko devra revivre le même scénario à l’Hémicycle. Puisque la majorité parlementaire a pris l’option de ne plus assister au temps de parole du député. La raison est toute simple. Aymérou Gningue, président du Groupe parlementaire Benno bokk yakaar (Bby) : «Cette attitude va continuer, tant que Sonko ne change pas de comportement.»
Seulement, dans sa tentative «d’humilier» le leader des Patriotes, en boudant son discours, les députés de Benno participent implicitement à lui donner plus de crédit et de visibilité. Ousmane le sait, d’ailleurs et «exploite cette attitude du pouvoir à fond», analyse le politologue Moussa Diaw. C’est pourquoi, l’homme entretient davantage sa posture de tireur attitré du «Macky».
«Par rapport aux autres leaders de l’opposition, Sonko apparaît comme un incisif, qui interroge la majorité sur les questions qui fâchent. De cela, il constitue leur cible. Et la réaction de la majorité contribue à renforcer sa position dans l’espace politique et à lui faire une forme de publicité», explique l’enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Ugb.
Pr. Diaw croit fermement que le pouvoir a tort de répondre, coup par coup, aux attaques de Sonko. Contribuant involontairement à renforcer son image et sa position dans la sphère politique sénégalaise.
«Le pouvoir devrait se calmer, sinon…»
Dépeint comme un chantre de l’antisystème, Ousmane Sonko s’attaque à tout ce qui touche le régime. Mais pas aveuglément. Ses sorties au vitriol contre le Président Sall répondent à une tactique de guerre contre un régime qui réplique du tic au tac. Sans en mesurer les conséquences. Ibou Sané, enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Ugb : «Le pouvoir montre à Sonko que plus, il le dénonce et le méprise, plus il lui fait la guerre et le méprise aussi. Alors que le pouvoir devrait se calmer et laisser l’opinion en juger. Sinon, il risque de fabriquer un opposant.»
L’ex-inspecteur des impôts et domaines a gagné en aura et est devenu, au fil du temps, l’un des politiciens les plus populaires du pays. Par la force du… Macky.
Il truste même le haut classement des leaders de l’opposition. Lors de la dernière Présidentielle, le candidat antisystème est arrivé en troisième position, avec 15,67%, derrière l’ancien Premier ministre et patron du Rewmi, Idrissa Seck (20,51%). Ses résultats ne sont pas fortuits. Et expliquent, en gros, la percée du leader des Patriotes.
Avant et pendant la campagne électorale, le pouvoir a contribué à «vendre» le programme présidentiel du candidat révolutionnaire et antisystème, «Sonko Président». Moussa Diaw : «Lors de la campagne présidentielle, les répliques coup par coup aux attaques de Sonko, ont participé à faire de lui un candidat très médiatisé et présent dans l’espace politique. Son image s’est renforcée au niveau de l’opinion et il a cristallisé toute l’attention des citoyens.»
Et il y a peu, sa radiation de la Fonction publique par Décret N°2016-1239 du Président Macky Sall, pour «manquement au droit de réserve», à la Direction générale des Impôts et Domaines, structure dans laquelle il a occupé le poste de Premier Secrétaire général du syndicat, d’avril 2005 à juin 2012, avait déjà tracé les contours de son avenir politique.
Cet épisode, largement relayé et entretenu par le pouvoir, a permis de révéler l’homme au grand public. De simple «coupable», Sonko est passé à une victime à qui, le Premier des Sénégalais, usant de ses pouvoirs de faire et de refaire des destins, a voulu détruire.
Avant cette page sombre qui marqua la vie de Sonko, deux ans auparavant, Ousmane avait créé le parti Pastef/les Patriotes, en janvier 2014. Sa formation politique ira seule aux Législatives de 2017, en glanant un siège à l’Assemblée nationale. Où depuis son installation, son discours est bu avec délicatesse et ses positions dépréciées par une majorité parlementaire.
Toujours aux aguets. Toujours prompte à vouer aux gémonies les «tromperies» du député non inscrit. Pour autant, Ousmane Sonko n’est ni ébranlé ni embrouillé. Il continue, chiffres à l’appui, à relever les mille anomalies fiscales et budgétaires du régime en place, à l’occasion des plénières.
«La grande contribution de la majorité»
Un des premiers, après Me Wade, à mettre à nu de présumés scandales sur le pétrole et le gaz du Sénégal, il publie le 31 janvier 2018, son livre intitulé : «Pétrole et gaz au Sénégal. Chronique d’une spoliation».
Un ouvrage dans lequel, il accuse, les preuves détaillées, le président de la République, Macky Sall et son entourage de malversations dans la gestion des ressources naturelles du Sénégal.
Outre, il y dénonce une mise en l’encan de l’économie sénégalaise au profit de puissances étrangères et de gens pauvres comme Job avant 2012, qui se sont retrouvés bizarrement riches comme Crésus, aujourd’hui.
L’œuvre va soulever un tollé national, indisposant au plus haut sommet, dans les rangs de la majorité. Laquelle va tenter, par tous les subterfuges, de déchirer le livre. «Qu’ils répondent à mes accusations sur le fond, plutôt que d’user d’arguments politiciens. Ils refusent de débattre et je ne suis poursuivi devant aucun tribunal. Je laisse les Sénégalais en tirer leurs propres conclusions», avait invité Sonko.
Le Macky tentera de déminer, via ses lieutenants. Les sorties pullulent, les accusations contre l’ennemi numéro 1 du pouvoir volent comme des pierres. Quelques mois plus tard, Sonko enfonce le clou. Avec la publication, le 16 septembre 2018, de son Livre programme dénommé «Solutions». Où il livre un diagnostic sans complaisance des problèmes socio-économiques du pays au bord du gouffre Sall ; et décline, en même temps, des propositions pour y remédier.
Dans la foulée, Sonko annonce sa candidature à la Présidentielle de 2019. Et invite les experts et spécialistes à une conférence publique, en défiant tous les défenseurs du pouvoir.
Mais, les répondeurs automatiques du régime vont, encore une fois, refuser d’afficher leur silhouette à la rencontre, ils ont préféré inonder les médias pour contre-attaquer le pourfendeur de leur mentor.
Là aussi, le régime va contribuer à donner du buzz à l’enfant de la Capitale du Rail (il est né le 15 juillet 1974, à Thiès).
Ibou Sané, politologue : «La majorité a grandement contribué à donner une visibilité à Sonko, en s’intéressant de très près à tout ce qu’il fait et dit. Même si ce dernier a une stratégie de communication, qui consiste à déstabiliser le pouvoir. Pour qui, plus il laisse l’espace politique à Sonko, plus celui-ci va embrigader des gens dans son mouvement. Malheureusement, le pouvoir tend à le suivre dans cette démarche, au point de lui laisser la possibilité de paraître aux yeux de l’opinion publique, comme quelqu’un qui fait la politique autrement.»
Comme l’une des alternatives au régime de Macky Sall.
IBRAHIMA KANDE