Jusqu’au bout, Jean-Pierre Bemba aura décidé d’être effarant. Après son acquittement inédit dans les annales de la justice internationale, le «Chairman» tel qu’on le surnomme a introduit une requête sans précédent auprès de la Cour pénale internationale (CPI) basée à la Haye aux Pays-Bas. Dans une procédure en compensation contre le Bureau de Fatou Bensouda, le leader du Mouvement de libération du Congo (MLC) réclame 76 millions de dollars de dédommagements pour ses 10 ans de détention et les pertes qu’elle a engendrées pour ses biens et ses activités économiques. Une procédure qui pourrait raboter de moitié le budget annuel de l’institution.
DEDOMMAGEMENT – Le pool d’avocats qui va défendre le dossier ne s’est pas privé d’argument. Dans une requête de 60 pages déposée auprès de la Cour pénale internationale (CPI) ce 11 mars, il détaille le manque à gagner pour Jean-Pierre Bemba pendant ses 10 ans de détention dans le Pénitencier de Scheveningen dans les faubourgs de La Haye, aux Pays-Bas. Et l’équipe de défense a sorti les calculettes pour présenter une facture qui s’annonce salée en cas d’aboutissement de cette requête.
76 millions de dollars pour 10 ans de détention
Arrêté en 2008 en Belgique, Jean-Pierre Bemba a passé en tout et pour tour 10 ans et 15 jours en détention. Pour cette longue période de détention préventive l’ancien chef rebelle réclame 26,2 millions d’euros (29,5 millions de dollars) pour ses dix années au Pénitencier de Scheveningen suite à des «erreurs judiciaires» de la CPI.
Ce n’est pas tout, l’ancien vice-président estime que la Cour pénale internationale (CPI) doit le dédommager à hauteur de 42,4 millions d’euros (47,7 millions de dollars) pour le manque à gagner résultant du gel de ses avoirs ou la saisie de ses biens. La somme totale réclamée s’élève à 68,2 millions d’euros soit 76,7 millions de dollars. En proportion, c’est plus de la moitié du budget annuel de la CPI
Pour le contexte, le 8 juin 2018, Jean-Pierre Bemba, ancien chef de guerre rebelle qui a écumé la Centrafrique avec ses milices au service d’Ange-Félix Patassé avant de devenir vice-président de Joseph Kabila, a été acquitté en appel par la Cour pénale internationale (CPI) des charges de «crimes de guerre» et «crimes contre l’Humanité». Le «Chairman» avait pourtant été condamné en première instance à 18 ans de prison mais la décision a été cassée à l’unanimité des juges.
Un impressionnant patrimoine saisi ou gelé
Dix ans plus tôt, l’arrestation en Belgique de Jean-Pierre Bemba a été suivie d’une série de requêtes de la CPI pour obtenir le gel ou la saisie des avoirs de Jean-Pierre Bemba. La requête déposée au Greffe de la CPI fait figurer, sur une demi-douzaine de pages, la liste des biens gelés ou saisis laissant transparaître le patrimoine impressionnant du fils de Jeannot Bemba Saolona, homme d’affaires prospère et président de l’Association nationale des entreprises du Zaïre (ANEZA) sous Mobutu.
Appartiennent à la catégorie des biens gelés, ses comptes bancaires en RDC, en Belgique et au Portugal, la villa familialeà Bruxelles, plusieurs propriétés et parcelles de terres en RDC, une villa et un bateau au Portugal. Sur la liste des biens saisis, la requête documentée rappelle qu’il s’agit d’un Boeing 727-100 immobilisé à l’aéroport de Faro au Portugal, six avions parkés à l’aéroport de N’Djili à Kinshasa, un bateau de croisière à navigation fluviale, deux villas au Portugal (dont l’une est scellée comme «scène de crime»), plusieurs voitures en RDC et trois véhicules de luxe au Portugal.
Une compensation équivalente à la moitié du budget de la CPI
Jean-Pierre Bemba entame donc un nouveau combat judiciaire. Une de ses batailles s’est jouée devant la justice belge devant laquelle il a tenté de récupérer ses biens gelés ou saisis. Mais cette dernière l’a renvoyé devant la CPI qui en avait fait la demande. L’ancien vice-président congolais vient de déclencher une procédure inédite contre le Procureur Fatou Bensouda. Outre ses frais d’honoraires d’avocats, sa requête englobe aussi les pertes liées à sa longue détention et au coup d’arrêt à son business, avant d’être blanchi par la justice.
«Selon l’article 85 du Statut de Rome, dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la Cour constate qu’une erreur judiciaire grave et manifeste a été commise, la cour peut, à sa discrétion, accorder une indemnité à un accusé acquitté après sa détention. Il appartiendra aux juges de vérifier ces critères et de décider, à leur discrétion, d’ordonner ou non l’indemnisation demandée par la Défense dans cette affaire. Nous ne pouvons pas spéculer sur cette décision indépendante des juges à ce sujet, qui sera prise en toute impartialité et en temps voulu», a confié El Abdallah Fadi, le porte-parole de la CPI à nos confrères de la BBC.
En revanche, la juridiction basée à la Haye est restée muette sur l’ordonnance de lever les saisies et gels depuis l’acquittement du «Chairman». Rien ne dit aussi si Jean-Pierre Bemba n’a pas activé cette procédure en guise d’intimidation de la CPI pour reprendre à nouveau à possession de ses biens. Dans tous les cas, si la requête venait à aboutir, la CPI serait grugée d’une bonne partie de son budget annuel. Elle pourrait être ruinée. Mais on en n’est pas encore là.