La décision annoncée le week-end dernier par le ministère de l’Industrie, du Commerce et des PME/PMI de l’interdiction prochaine de l’importation de la friperie (Fëgg Jaay) au Sénégal a fait couler beaucoup d’encre du fait de l’absence d’éclairages sur les motivations de la décision et les solutions de rechanges proposées aux gros commerçants, revendeurs et ménages.
ECONOMIE – Il va falloir que le gouvernement communique mieux. Mieux, il va falloir que la verticalité qui semble s’installer au Sénégal prenne conscience de la transversalité sénégalaise et anticipe sur les effets pervers qui peuvent découler de sa communication à l’intérieur et à l’international.
La première question que l’on peut se poser est à qui profite la décision de l’Etat d’interdire l’importation de friperie au Sénégal. Le ministère fait bien de préciser dans une note qu’il s’agit d’asseoir un processus industriel, de protéger donc la production nationale de coton, si elle est un gros objectif et la transformation.
Faudrait-il encore que les coûts de production des vêtements confectionnés au Sénégal n’affichent pas des prix insupportables aux vitrines des shops.
Comme pour corriger les perceptions, la note du département indique que «la mesure ne vise en aucun cas à pénaliser ou à mettre en difficulté les acteurs économiques et les consommateurs. Elle s’inscrit plutôt dans un projet de protection du secteur textile local ».
Il ne s’agit pas donc « d’une mesure immédiate ou d’une interdiction brutale, comme cela a été interprété. Mais d’une possibilité qui s’offre à l’Etat du Sénégal dans les années à venir dans son processus d’industrialisation pour protéger les matières textiles créées au Sénégal ».
Voilà qui est mieux se diront d’aucuns même si l’on doit être d’accord qu’il va bien falloir transformer un jour la matière première.
En d’autres termes, le Sénégal envisage de consolider et protéger le « Made in Sénégal » et le consommer local en « encourageant la production nationale et la création d’emplois dans ce secteur clé de notre économie ».
Ce qu’il convient d’applaudir, ce d’autant que le ministère dirigé par le Dr Serigne Guèye Diop est « pleinement conscient de l’importance des vêtements de seconde main pour de nombreuses familles sénégalaises et reste à l’écoute des acteurs concernés ».
Mieux, il « s’engage à mettre en place des mécanismes de concertation pour garantir une transition harmonieuse et bénéfique pour tous les citoyens ». Voilà qui est mieux en termes de communication.
A qui profitera l’interdiction prochaine de l’importation de la friperie
Elles sont au moins onze industries textiles, sous réserve d’autres investisseurs, qui se frotteront les mains, une fois l’interdiction effective, mais faudrait-il encore, comme dit plus haut, que les coûts de confection – pour l’essentiel l’électricité, la logistique, les corridors des matières premières – ne viennent pas plomber les prix afin que les populations ne se retrouvent pas devant des prix largement plus chers que les vêtements de seconde main dont la tendance globale est d’ailleurs en nette progression.
Parmi ces industries qui pourront se frotter les mains, African Textil, Africom, Compagnie textile de l’Ouest africain (Cotoa), D’Jab Chic, Domitexka Saloum de Serigne Mboup, Etablissement Gora Athj (Ega confection), Etop Sourcing and Co, Fa Confection, Holding Touré & Co, Printex, Sama Taille Industrie.
Des marques s’activant dans la distribution de vêtements à bas-prix, telles les boutiques Auchan Inextenso qui se multiplient dans les quartiers de Dakar et bientôt dans les régions du pays, sauteront de joie. Et ce n’est pas l’Etat qui va s’en plaindre, vu la TVA collectée à la fin de chaque journée.
L’autre question est de savoir quels moyens et solutions, l’Etat apportera-t-il aux gros importateurs et revendeurs pour leur reconversion. Y aura-t-il des financements ou accompagnements dans le cadre de la production, la formation, la distribution.
Chaque année, des dizaines de milliers de tonnes de vêtements de seconde main quittent principalement l’Europe et la Chine pour le Sénégal, atterrissant pour l’essentiel au marché de Colobane, le plus grand marché à ciel ouvert du pays.
Le Chinois Zagumi qui possède une usine de vêtements d’occasion située à Guangzhou est un gros fournisseur de vêtement d’occasion au Sénégal
Le Bulgare EXTRATEX BULGARIE LTD, le Belge Nouratex sont aussi de gros fournisseurs de vêtements d’occasion. Monatex également européen envisageait de se positionner pour l’exportation desdits vêtements à Dakar.
C’est dire tout le potentiel que représente Dakar par ailleurs port de Bamako, un autre marché florissant, sans compter les autres capitales qui s’approvisionnent à Dakar.
Ce qui fait de la friperie non seulement un énorme business, mais également l’affaire des populations à faible pouvoir d’achat. Ces dernières y trouvent leur compte ce d’autant que les vêtements sont de marque connues, même quand ils sont dégriffés.
Le marché de la friperie
Ce marché est une mine d’or pour les caisses de l’Etat central via la douane sénégalaise qui a revu à la hausse les frais de douane. Dans un entretien accordé à la VOA, un émigré en Italie s’activant dans le business indiquait que pour un conteneur de 40 pieds, il payait 4,7 à 5 millions FCFA pour les frais de douane.
« Nous achetons un conteneur de vêtements à 27 000 ou 30 000 euros, ce qui fait environ 19 millions FCFA et si on y rajoute les 5 millions de la douane, la facture globale grimpe à presque 25 millions FCFA. C’est très compliqué, d’autant plus qu’on livre la marchandise à crédit en attendant les remboursements des marchands au détail ».
« Les prix varient entre 25.000 et 85.000 francs. Plus c’est cher, plus il y a des vêtements de qualité. Ainsi chacun achète selon ses moyens pour ensuite revendre au détail. Les clients viennent acheter ici car c’est plus facile et plus accessible. Avec 1.500 francs, un père de famille peut acheter des habits pour ces 5 gosses alors que si c’était des vêtements neufs il n’aurait même pas pu en habiller un. Certes l’idéal serait d’avoir des vêtements neufs mais tout le monde ne peut pas se payer ce luxe », faisait remarquer M. Seck toujours dans le même reportage de VOA Afrique.
S’il est difficile d’avoir une idée globale des montants réalisés par le marché de la friperie au Sénégal du fait du caractère informel de l’activité, la vente des vêtements d’occasion dans le monde représentait à elle seule 36 milliards de dollars sur les 105 millions d’euros générés par le marché global de la vente de seconde main.
Les Etats-Unis sont en tête du classement mondial des exportateurs de fripes, avec plus de 756 000 tonnes en 2018. La France 9e mondiale vend aussi ses vêtements d’occasions sur les étals au Sénégal.
Alors que des prévisions mondiales tablaient sur un chiffre qui pourrait doubler dans les prochaines années selon une étude de ThredUp en 2021, les nouvelles autorités sénégalaises prennent le contrepied pour une production nationale soutenue de coton, la transformation et certainement la valeur ajoutée tirée des brands qui auront pignon sur rue.
Maderpost