A la suite de la publication ces dernières heures dans un rapport de la Banque mondiale du stock de la dette du Sénégal, l’économiste Alla Sène Gueye partage une réflexion que Maderpost publie ci-dessous.
1 – LA SITUATION OFFICIELLE DE LA DETTE PUBLIQUE DU SENEGAL
Les statistiques officielles sur la dette publique du Sénégal sont élaborées par la Direction de la Dette Publique logée dans la Direction générale de la comptabilité publique et du Trésor au niveau du ministère des Finances et du Budget.
La Direction de la dette publique donne dans son Bulletin statistique de la Dette publique des définitions claires et précises sur les différentes notions de dette extérieure, dette intérieure, Dette administration centrale et Dette secteur parapublique.
La dette publique est composée de la dette intérieure de l’Etat et de la Dette extérieure de l’Etat.
La Dette extérieure de l’Etat représente la dette libellée ou devant être remboursée dans une autre monnaie que le franc CFA, quelle que soit la résidence du créancier.
Aussi, conformément au traitement effectué par le FMI, certaines lignes de dette libellées en franc CFA sont considérées comme de la dette extérieure.
La Dette intérieure de l’Etat est la dette libellée ou devant être remboursée en franc CFA, quelle que soit la résidence du créancier.
La dette BOAD ainsi que la dette FMI (rétrocédée par la BCEAO) sont intégrées dans la dette intérieure.
La dette publique est aussi répartie en dette de l’Administration centrale et dette du Secteur Parapublic.
La dette de l’Administration centrale est la part des ministères et organes dirigeants ou présidant une organisation et le département administratif le plus élevé qui supervise tous les départements inférieurs.
La dette du Secteur parapublic tel que défini par la loi n°2022-08, le secteur parapublic comprend les établissements publics, à l’exception des ordres professionnels et des chambres consulaires, les agences et autres structures administratives similaires ou assimilées, les sociétés nationales et les sociétés du droit privé à participation publique majoritaire.
1.1 – Situation de l’encours de la dette publique du Sénégal entre le 31 décembre 2023 et le 30 juin 2024 (source Bulletin statistique de la Dette publique – 2ème Trimestre 2024)
La dette publique de l’Etat du Sénégal est passée de 15 235 milliards Fcfa (80,34% du PIB) au 31 Décembre 2023 à 16 613,6 milliards Fcfa (79,99% du PIB) au 30 juin 2024 ; soit une hausse de 9% du stock de la dette publique.
La répartition de cette dette publique entre l’administration centrale et le secteur parapublique fait apparaitre un encours de la dette de l’administration centrale qui passe de 13 854 milliards Fcfa au 31 décembre 2023 à 14 981,8 milliards Fcfa au 30 juin 2024 ; soit une progression de 8,1%.
Le stock de la dette du secteur parapublic quant à lui est passé de 1 381 milliards Fcfa au 31 décembre 2023 à 1631,8 milliards Fcfa au 30 juin 2024 ; soit une progression de 18%.
La dette publique est aussi répartie entre la dette intérieure et la dette extérieure.
La dette extérieure a évolué de 10 089 milliards Fcfa (soit 66,2%) en fin 2023 à 11 103,7 milliards Fcfa(soit 66,8% ) en fin juin 2024 ; soit une hausse de 10,1%.
La dette intérieure a aussi suivi la même tendance en progressant de 5 146 milliards Fcfa (soit 33,8%) en fin 2023 à 5 509,9milliards Fcfa (soit 33,2%) en fin juin 2024 ; soit une progression de 7,1%.
1.2 – Les ajustements annoncés sur l’encours de la Dette publique au 31 décembre 2024
Conformément à la DIRECTIVE N°01/2009/CM/UEMOA portant code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA, le ministère des Finances et du Budget du Sénégal a produit un rapport sur l’audit de l’encours de la dette publique au 31 Décembre 2023 et l’a transmis à la Cours des Comptes pour certification.
A attendant, ce’rapport de certification de la Cours des comptes, il est important de se limiter aux chiffres officiels fournis par la Direction de la Dette Publique au 31 décembre 2023 et mis à jour au 30 juin 2024 voir site www.sentrésor.org (Bulletin statistique de la Dette Publique).
2 – LA VERITE DES CHIFFRES SUR LE RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE SUR LA DETTE EXTERIEURE DU SENEGAL
2.1 – Changement de paradigme sur la dette extérieure du Sénégal
La dette extérieure du Sénégal est composée de la dette extérieure du secteur public déjà présentée ci-haut et de la dette extérieure du secteur privé.
Le document annuel « International Debt Statistics » publié par la Banque Mondiale sur les statistiques mondiales de la dette extérieure par régions et par pays porte sur la dette extérieure du pays ; soit la somme de la dette extérieure du secteur public et de la dette extérieure du secteur privé.
Le document de la Banque Mondiale sur les statistiques mondiales de la dette extérieure répartie la dette extérieure du pays en Dette à long terme (DLT) publique et privée, Tirage sur le FMI et Dette à Court Terme (DCT) publique et privée. La Bulletin Statistique de la Dette Publique – 4 ème Trimestre 2023renseigne que le Sénégal n’a pas une dette extérieure à moins d’un an. | Répartition de la Dette extérieur du Sénégal Dette Extérieure 2013 2023 Millions US$ % Millions US$ % DLT part du PUBLIC 4 515 55,2% 16 907 42,3% FMI & DTS 438 5,3% 2 266 5,7% DCT part du PUBLIC 0 0,0% 0 0,0% Secteur Public 4 953 60,5% 19 173 48,0% DLT part du PRIVE 3 228 39,5% 15 919 39,8% DCT part du PRIVE 0 0,0% 4 858 12,2% Secteur Privé 3 228 39,5% 20 777 52,0% TOTAL 8 181 100% 39 950 100 % |
Par conséquent, la totalité de la dette extérieure du pays à court terme relève du secteur privé.
Le premier enseignement de ce tableau est que la dette extérieure de 16 907 millions US$ mentionnée dans le document de la banque mondiale « International Debt Statistics » correspond exactement au montant 10 089 milliards Fcfa de la dette extérieure indiquée dans le Bulletin Statistique de la Dette Publique – 4 ème Trimestre 2023 au taux 596,735 Fcfa/US$.
Ceci est conforme au taux de change de 593 Fcfa / US$ au 31 décembre 2023 retenue par Direction Générale de la Comptabilité Publique et du Trésor Direction de la Dette Publique.
Le deuxième enseignement est un changement de paradigme dans la répartition de la dette extérieure du Sénégal.
En effet, le Secteur Public a représenté une part de 60,5% dans la dette extérieure en 2013 mais depuis 2022, le Secteur Privé a pris le dessus avec une part de 52% dans la dette extérieure du pays.
Ce faisant, grâce aux emprunts en devises des industries extractives et aux PPP et offres spontanées assorties de financement extérieur, le Sénégal s’est propulsé dans le paradigme des pays de l’Asie de l’Est, de l’Europe centrale et des pays développés où la part du secteur privé dans la dette extérieure est à plus de 65%.
Toutefois, cette situation risque d’être conjoncturelle si le Sénégal ne procède pas à une diversification de ces IDE en dehors des industries extractives et des financement extérieurs sous-jacents aux PPP et aux offres spontanées d’infrastructures.
2.2 – Les Investissements Directs Etrangers (IDE) et des investissements de portefeuilles dans les PPP d’infrastructures, les Plateformes pétrolières et gazières, les Mines, etc
Le code pétrolier et gazier, le code des mines et la loi PPP exigent des titulaires de contrat dans ces secteurs d’activités de créer des sociétés d’exploitation Sénégalaise de droit OHADA.
Les IDE (Investissement Directs Etrangers) au Sénégal qui stagnaient dans la fourchette de 331,5 millions US$ et 410 millions US$ entre 2013 et 2021, ont pris l’ascenseur pour atteindre 2,93 milliards US$ en 2022 et 2,64 milliards US$ en 2023 sous l’effet des Investissements en portefeuilles (Emprunts en devises) dans les contrat de PPP et Offresspontanées (Transport, Télécommunications, Défense, Electrification rurale, Education nationale, Enseignement Supérieur, Formation Professionnelle, etc) assortis de financement EXIM et Multilatérale apportés par le secteur privé , les emprunts en devises de la Plateforme pétrolière Sangomar de Woodside, de la Plateforme gazière GTA de BP, des sociétés de l’industrie extractive, etc.
Ces emprunts en devises du secteur privé sont à l’origine du changement de paradigme dans la taille et la répartition de la dette extérieure du Sénégal entre le Secteur Public et le Secteur Privé.
C’est ce même registre, le rapport 2024 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement CNUCED a placé le Sénégal en première position en 2023 en matière d’IDE (Investissement Directs Etrangers) en Afrique de l’Ouest avec 2,6 milliards $US d’IDE sur un PIB de 33,6 milliards US$ ; soit 7,9%. Il est suivi par le Nigéria, de la Côte d’Ivoire et du Ghana avec respectivement 1,9 milliards $US, 1,8 milliards $US et 1,4 milliards $US.
Le document « International Debt Statistics 2024 » de la banque mondiale sur le Senegalrelève que la dette extérieure rapportée au RNB de notre pays a franchi la barre des 100% pour la première fois en 2022 en atteignant 108,1%. Ensuite elle est passé à 120,6% en 2022 et à 133,3% en 2023 par l’effet de l’accroissement du stock de la dette extérieure du pays.
Le service de la dette rapporté aux exportations qui étaient dans une fourchette de 11,2% en 2013 à 23,1% en 2020 a également grimpé à 28,9% en 2021, à 26,2% en 2022 et à 36,6% en 2023 toujours sous l’effet de l’accroissement du stock de la dette extérieure du pays.
Tous ces projets du secteur privé au Sénégal ayant causé la hausse de la dette extérieure vont générer du PIB et des Exportations en devises dans dès cette année 2024 pour inverser la situation sur les niveaus des ratios de trésorerie et de solvabilité sur la dette extérieure du Sénégal.
3 – ENJEUX DE LA DIVERSIFICATION DES IDE ET DE LA DETTE EXTERIEURE DU SECTEUR PRIVE
Les niveaux des IDE et des Investissements en portefeuille résultent essentiellement de la présence de ressources naturelles dans notre sous-sol (mine, pétrole et gaz) et non d’un environnement attractif pour les affaires notamment pour l’industrie manufacturière à forte intensité de main d’œuvre qui constitue le moteur phare de la croissance dans les pays en développement.
Ce moteur essentiel est resté en panne durant les 10 années de croissance du PSE en voyant son poids dans le PIB reculer de 3,2% sur les 10 années de mise en œuvre du PSE entre 2014 et 2023.
L’Etat du Sénégal a renoncé sur cette période de 2014 à 2023 aux vertus que procurent une industrie manufacturière forte et moderne dans la commande publique d’une part et d’autre part dans l’accroissement de l’offre d’emploi à forte intensité de main d’œuvre.
Les Industries extractives ont permis au Secteur Privé de porter la part du secteur privé à 52% dans la dette extérieure mais les données de la balance des paiements provisoire de 2024 montre que les IDE au Sénégal ont amorcé leur phase de décroissance avec la fin des travaux des plateformes pétrolières et gazière et le first Oil de Sangomar et pour bientôt le first gaz de GTA.
Il est possible de diversifier les IDE par la promotion des filières manufacturières par la colocalisation sur le sol de notre pays et ceux de pays étrangers de chaines de valeur manufacturières sur lesquelles notre pays dispose d’avantages absolus ou comparatifs. Il s’agit notamment de l’agroalimentaire, de l’habillement, de la chimie, de la construction, de l’assemblage CKD de biens d’équipements courants, etc.
Cela demande une vision et des efforts.
Le Référentiel Vison Sénégal 2050 de son excellence Monsieur le président de la République Bassirou Diomaye Faye et l’engagement affiché par le nouveau Ministre de l’Industrie, du Commerce et des PME/PMI assignées, Ministre Serigne Gueye DIOP vont dans cette direction.
Alla Sène Guéye, Economiste