La 9ème revue annuelle des « réformes, politiques, programmes et projets communautaires de l’UEMOA » s’est tenue à Niamey le 16 juillet 2024. Ce sommet qui s’est tenu juste après la mise en place de l’Alliance des Etats du Sahel avec, à la clé une nouvelle approche des pays AES vers le renforcement de leur intégration et comme prochaine étape l’adoption d’une monnaie commune aux trois Etats. Ce qui leur permettra, sous peu, de disposer du levier de leur « politique monétaire ».
MONNAIE – Le Burkina Faso a déjà donné le ton par l’adoption, en séance du conseil des ministres du 17 juillet 2024, d’un nouveau Code des douanes et Code fiscal. Cette évolution n’est pas sans secouer la zone F CFA qui perd ainsi trois de ses huit membres. En effet, l’Union Douanière, premier palier de l’intégration économique et monétaire au niveau UEMOA, est remise à plat.
Les répercussions de ce détachement monétaire AES sont différemment appréciées selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de cette zone monétaire. Si pour les Etats AES, après un tassement de leur économie, une croissance nette est attendue avec comme principal levier l’adoption d’un taux de change flottant, en revanche, pour les 5 autres Etats de l’UEMOA, au vu de la rigidité des taux de change et des cordons douaniers et fiscaux mis en place, (TEC UEMOA absorbé par le TEC CEDEAO), leur marge de manœuvre reste ténue.
L’ancien espace CEDEAO risque de se retrouver avec pas moins de 10 différentes monnaies couplées à autant de politiques monétaires. Cette question éminemment technique face aux arguments politiques à tendance plutôt « souverainiste», met en exergue le fait que la monnaie est un important levier de pilotage de l’économie, à utiliser avec prudence et dextérité, pour accompagner les efforts de développement des pays. La principale limite reprochée au CFA est liée à sa surévaluation, son inconvertibilité hors de sa zone et le manque de financement de l’économie, à cause de l’arrangement institutionnel entre le Trésor public français et l’arrimage du franc CFA à une monnaie forte qui constitue la principale limite technique reprochée au F CFA.
EVITER LA DOLLARISATION DE L’ECONOMIE
L’expérience de beaucoup de pays montre, en effet, que lorsque les déséquilibres du marché financier atteignent un certain niveau et que la monnaie perd de la valeur, beaucoup d’agents économiques substituent d’autres monnaies plus stables à la monnaie nationale. Ce phénomène est plus connu sous le nom de « dollarisation ».
Le terme dollarisation décrit toute situation où deux monnaies ont en même temps cours légal dans un pays. Elle implique, en général, l’utilisation d’une monnaie forte (le Dollar ou le F CFA) en même temps qu’une monnaie nationale, souvent plus faible. La dollarisation peut prendre différentes formes qui consistent à utiliser une monnaie étrangère pour effectuer des transactions à l’intérieur du territoire national.
La mise en place d’une monnaie commune AES servira dans un premier temps à un appel d’air pour un rush vers le F CFA comme monnaie de réserve des populations pour faire face aux produits importés de la zone UEMOA. Avec le décrochage, la vitesse de circulation du F CFA dans les pays AES (qui désigne la vitesse à laquelle la monnaie est échangée entre les agents économiques) sera impactée par les niveaux des prix des produits venant des 5 autres pays de l’UEMOA qui verront leur prix de vente augmenter drastiquement.
Le concept établit un lien direct entre la masse monétaire et l’augmentation du niveau des prix. Sur le court terme, la vitesse de circulation de la monnaie est considérée comme constante,. la vitesse de circulation de la monnaie (tout comme le volume des transactions) est insensible aux variations de la quantité de monnaie. En effet, de manière mécanique, si 𝑀×𝑉=𝑃×𝑇les Etats AES sortent du F CFA, alors ou bien les prix, ou bien le nombre de transactions, ou bien les deux à la fois, s’emballent pour une période parce que l’ensemble des prix de biens de consommation originaires de la zone CFA seront devenus onéreux par rapport à la nouvelle monnaie. Ce phénomène aboutit à une hausse continue du niveau des prix qui dévalorise constamment toute unité monétaire nominale, ce qui incite les agents à s’en séparer rapidement.
C’est pour cela que la saisie de plus de 7 milliards de F CFA en faux billets au Burkina Faso, le 15 juillet dernier, n’est pas un bon signe. Le saut vers l’inconnu au niveau des populations les ramènera, dans un premier temps, vers un réflexe de thésaurisation des devises qu’est devenu le F CFA. Cependant, les ressources minières des Etats de l’AES (Uranium, Or, …) du fait de la prégnance de ces facteurs structurels, ont une forte compétitivité internationale, au-delà du taux de change réel. En effet en considérant certains indicateurs directement liés aux exportations et à l’investissement, leurs économies restent compétitives par un dynamisme réel du secteur des exportations, que l’on peut mesurer de deux différentes façons :
- l’indice davantage comparatif révélé et
- le niveau de diversification et de complexité de l’économie.
L’indice de l’avantage comparatif révélé montre, pour un produit déterminé (uranium, or) comment les exportations d’un pays donné évoluent par rapport à la moyenne mondiale. La compétitivité internationale des pays de l’AES en question s’améliore si la valeur de l’indice est supérieure à 1, indiquant une croissance plus forte des exportations de produits transformés du pays, par rapport à la moyenne mondiale.
Quant au niveau de diversification de l’économie, il peut être saisi par plusieurs indicateurs, dont notamment, le niveau de concentration des exportations et de la production, le niveau de complexité des produits exportés. Lorsqu’on combine ces deux critères, les pays AES, ont un avantage comparatif révélé sur un nombre de produits agricoles et miniers. Or ces produits sont caractérisés par une forte demande avec des prix élevés[1].
C’est donc dire que le taux de change joue un rôle crucial par rapport aux performances des économies de la zone, en termes de compétitivité internationale ainsi que sur le financement, l’intégration économique. En effet, les critères de convergence de l’UMOA ainsi que le corset de l’arsenal réglementaire de la gestion des finances publiques bloquent les initiatives de financement des déficits budgétaires des Etats membres et le recours systématique aux émissions de titres publics pour en assurer le financement.
En effet, les pays de l’AES disposent des plus importantes réserves minières et pétrolières de la zone UEMOA, dont l’exploitation pourrait booster leurs économies selon l’atlas détaillant 24 substances, telles que le tungstène, l’antimoine, le zirconium, le cobalt, et bien d’autres publiées par le BRGM. La question de la gestion transparente des ressources minières revient avec insistance à la lumière de l’agitation autour d’une production exponentielle d’uranium et de pétrole nigérien interdit de transit par les autorités béninoises pour fait de blocus lié au changement de régime en place.
Quid des 5 Etats restant à l’UEMOA
La monnaie est une question de pouvoir. Le FCFA est né dans la mouvance des Accords de Bretton Woods, et sa non-pertinence est toujours d’actualité. Cela interroge l’indépendance des pays de la zone Franc et sa capacité à se prendre complètement en main sur le plan monétaire. Les politiques qui dirigent les 5 autres pays restant dans l’UEMOA ne semblent toujours pas prêts à prendre le risque politique et économique d’une réelle souveraineté monétaire.
Le corset des 3,5% de déficit budgétaire à financer est l’élément utilisé par les détracteurs de la zone CFA qui trouvent dans ces arrangements institutionnels serait l’élément bloquant du financement de la croissance. La gestion des réserves de devises des pays membres de la zone Franc fait l’objet de plusieurs critiques. En contrepartie de la « garantie de convertibilité » que le Trésor français accorde au FCFA, nos États sont tenus de déposer dans des comptes d’opérations ouverts au Trésor français 50 % de leurs avoirs extérieurs nets (la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) ont chacune un compte d’opérations). Entre 2017 et 2021, le volume de réserves de change des pays de la zone UEMOA a tourné autour de 9000 milliards de FCFA (BCEAO). Ce qui fait environ 18 milliards de dollars pour les huit pays.
Les avoirs extérieurs déposés dans les comptes d’opérations sont rémunérés au taux de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne (BCE) pour la quotité obligatoire des dépôts (50 %), et au « taux minimum » des opérations principales de refinancement de la BCE pour les avoirs déposés au-delà de la quotité obligatoire de 50 %, dans les cas où les Banques centrales africaines souhaitent centraliser leurs avoirs extérieurs auprès du Trésor français au-delà de ces 50 % prévus par les textes. En revanche, si le compte devenait débiteur, les importations hors de chaque zone monétaire des États africains seraient facturées par la France et les pays africains seraient alors tenus de verser à la France des intérêts débiteurs ! Ce corset des réserves déposées auprès du Trésor français aurait pu être rapatrié pour financer les énormes besoins en infrastructures.
La contribution de l’industrie extractive en tant que fournisseur de produits stratégiques pour les pays industrialisés, la priorité accordée à ces ressources au point de vue des politiques, l’insuffisance des revenus tirés pour l’Afrique de l’Ouest et la nature parcellaire de cette industrie demeurent depuis l’époque coloniale, des caractéristiques essentielles du paysage actuel. Les initiatives prises par les nouvelles autorités sont orientées vers la mitigation des limites des retombées des industries extractives et de transformation des matières premières, notamment le caractère parcellaire de l’industrie extractive héritée de la colonisation et qui s’est soldé par des échecs. Il est temps pour nos pays de réajuster le tir.
MOUNIROU FALL (CORRESPONDANCE PARTICULIERE)
[1] Barrera, Bernard, Opération SERVAL, notes de guerre : Mali 2013, Paris, Editions du Seuil, 2016, 448p.
ENCADRÉ 1
MAITRISER SA POLITIQUE MONETAIRE POUR UN FINANCEMENT INFLATIONNISTE DE LA CROISSANCE
Détenir les leviers de sa politique monétaire permet aux Etats de disposer de la latitude des orientations en faveur de la croissance de l’économie productive. Elle permet de structurer son économie selon ses propres orientations. La croissance du produit global suppose un effort massif d’investissement, qui aboutit à l’allongement des décalages entre les flux réels et les flux monétaires. Alors que le financement non inflationniste de la croissance (limite du déficit budgétaire à 3,5% comme imposé par l’UMOA) réclame une austérité. Cette rigidité structurelle, limite les niveaux de la consommation. Aussi, les risques monétaires normaux de la croissance sont-ils souvent accrus par des obstacles structurels, reflétant les cadres institutionnels de chaque économie.
D’un autre côté, lorsque le pays détient les rênes de sa politique monétaire, il peut lever les principaux obstacles à l’ajustement de l’offre et de la demande et la rigidité du marché de la main-d’œuvre. L’écart inflationniste permet alors de localiser les tensions et de déceler les répercussions inflationnistes de l’investissement en fonction de la situation du marché de l’emploi. Le « mur du plein emploi » – en termes Keynésiens- crée un blocage de la production, qui multiplie les risques inflationnistes normaux de l’investissement. Aussi, les risques monétaires spécifiques de l’investissement résultent de la multiplicité des goulots d’étranglement et des risques accrus de blocage de la production. La décision de privilégier les investissements dans tel ou tel secteur résultera d’une décision du Chef de l’Etat en fonction des orientations que l’on veut donner à l’économie nationale. Cela permettra de lever les rigidités de la production. Avec les découvertes et renégociations des concessions autour de ressources minières et minérales, le levier monétaire permettra à l’Etat du Sénégal de disposer directement des ressources issues de l’exploitation et/ou la transformation locale puis de l’exportation de nos ressources.
ENCADRÉ 2
DEMANTELEMENT DU CORDON DOUANIER COMMUNAUTAIRE :
LE TEC OUT AU BURKINA FASO
Le Burkina a donné le ton en sa réunion du Conseil des ministres en date du 17 juillet 2024, remettant en question l’Union douanière commune ainsi que les dispositifs du Tarif Extérieur Commun – TEC de l’UEMOA ainsi que tout le système de compense et de péréquation au niveau des cordons douaniers des huit Etats. Une nouvelle loi portant Code des douanes et Code fiscal a été adoptée par l’état burkinabé.
Pour mémoire, le cordon douanier appelé TEC avait été institué pour que toute marchandise importée par les pays membres puisse payer à son point d’entrée communautaire un seul tarif extérieur. Ces sommes payées sont ensuite réparties par un système de péréquation aux autres Etats (destinataire final comme pays de transit de la marchandise). Pour le cas des pays enclavés -Burkina Faso, Mali ou Niger- ces derniers ont toujours été les moins privilégiés par ce système lié au règlement n° 08/2007 du 06 avril 2007 portant adoption de la nomenclature tarifaire et statistique de l’union économique et monétaire ouest africaine basée sur la version 2007 du système harmonise de désignation et de codification des marchandises. En effet, l’article 9 du TEC régional UEMOA stipule que « Les Parties contractantes ne prennent, par la présente Convention, aucun engagement en ce qui concerne le taux des droits de douane ».
La CEDEAO aussi qui a mis en place son TEC CEDEAO en 2015, à l’échelle des 15 Etats membres sur la base des textes de l’UEMOA élargis aux autres pays non-membres impactant de ce fait la mobilisation des ressources fiscales. LE TEC CEDEAO absorbe le TEC UEMOA. Aussi le TEC se positionne comme une des étapes de la mise en place d’un marché commun et l’adoption d’une monnaie unique. Cela passe par l’établissement d’une Union douanière et d’une monnaie commune. C’est pourquoi, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement avait adopté le TEC CEDEAO qui se caractérise par la création d’une 5ème catégorie ou 5ème bande tarifaire intitulé « Catégorie 4 : biens spécifiques pour le développement économique » qui s’ajoute aux quatre catégories du TEC UEMOA.
Maderpost / Sud quotidien