Assurément, jusqu’au bout tout aura été inédit dans cette course à l’élection présidentielle. Après l’arrêt brutal du processus à quelques heures de l’ouverture de la campagne électorale, l’organisation avortée du dialogue qui s’en est suivi, voilà qu’avec le vote d’une amnistie et l’élargissement de prison de Ousmane Sonko , président de l’ex Pastef et son adjoint Bassirou Diomaye, candidat de la coalition Diomaye Président, la campagne électorale emprunte un nouveau tournant.
TRIBUNE – La guerre des foules fait rage, même s’il est hasardeux de se focaliser sur la capacité de mobilisation de tel ou tel camp pour subodorer d’une victoire ou d’une défaite à venir. Il est même à se demander si ce ne sont pas les mêmes foules qui se retrouvent, au gré des meetings et des cortèges, étant entendu que le temps de la campagne est un moment particulier pour sortir certaines contrées de leur torpeur en y apportant de l’animation et l’opportunité de bénéficier des largesses des candidats, à coup d’argent, de tee-shirts et autres gâteries.
La foule ne saurait donc à elle seule être une mesure d’appréciation des forces politiques en présence. Si tel était le cas, le Sénégal n’aurait pas connu deux alternances démocratiques puisqu’à vue d’œil et de télévision, il n’y avait pas photo avec les foules que drainaient les cortèges des anciens candidats à la présidentielle, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. La vérité des urnes n’étant pas celle des foules bigarrées et exaltées, il a fallu se rendre à l’évidence avec leurs défaites respectives en 2000 et 2012.
Une autre donne est celui des inscriptions avec notamment les primo-votants. Se sont-ils majoritairement inscrits ? Ont-ils majoritairement retiré leurs cartes électorales ? Rien n’est moins sûr puisque des préfets de région attirent déjà l’attention sur les milliers de cartes d’électeur en dormance dans les commissions de distribution. Quoi qu’on en dise, ce sont là un certain nombre de paramètres qui vont influer sur l’issue des élections.
L’autre paradoxe qui travaille cette élection présidentielle est qu’ils sont 19 candidats à sillonner le pays en quête des suffrages de leurs compatriotes. Un record jamais atteint comme pour signifier l’attractivité de la fonction présidentielle, chacun essayant de se positionner au mieux dans une future « guerre des places ».
L’ego hypertrophié, nombre d’hommes et de femmes politiques demeurent sensibles aux manifestations furieuses et décadentes des attributs du pouvoir, faisant dire à une observatrice avisée qu’« ils donnent l’impression que même Dieu est plus modeste qu’eux ».
A se demander alors si la rupture tant souhaitée est encore possible avec de tels travers ? Est-il seulement permis de rêver d’un président, avec les traits tirés, tendu et soucieux, les cheveux blanchis, tout occupé à sortir les Sénégalais de la pauvreté, refusant avec force cette « Comédie du pouvoir » qui se joue dans le ballet des va et vient des membres du gouvernement presque au complet, s’agglutinant à l’aéroport pour saluer « le grand patron », au départ et au retour de voyage.
Va-t-on avoir un président de la République garant de la Constitution qui va défendre la laïcité, les libertés individuelles et collectives, promouvoir l’égalité entre hommes et femmes ? Va-t-on enfin voir un président qui veille au strict respect de la séparation des pouvoirs, refuse d’instrumentaliser la justice en mettant le coude sur des dossiers sensibles ?
Dans leur grande majorité, nos compatriotes qui ne veulent nullement être les dindons de la farce, semblent pourtant disposés à consentir à tous les sacrifices, à condition que le chef donne le la.
Une disposition psychologique dans laquelle ils se trouvaient d’ailleurs suite à la première alternance démocratique, sauf qu’ils ont dû déchanter quand ils ont compris que le pouvoir s’organisait autour de ce que Me Abdoulaye Wade avait confié à un de ses plus proches collaborateurs : « nos problèmes d’argent sont maintenant terminés ». Une situation qui perdure puisque de nos jours encore, l’insulte à la bouche, le laxisme et le népotisme en bandoulière, on continue d’enfanter des milliardaires, pour ne pas dire des enrichis sans cause.
Au-delà de la nécessité de ne pas céder à un dégagisme ravageur, l’enjeu de cette élection présidentielle consiste à choisir une personne dotée de vision et d’expérience, loin d’être sous la fascination du pouvoir ni obnubilé par un second mandat, mais plutôt mue par une vision, un esprit de conquête et de sacrifice. Car il s’agit de refonder les institutions et de participer par l’exemple à la mise en orbite de la conviction selon laquelle seul le travail crée la richesse. Au risque de flirter avec le chaos, ne perdons donc pas de vue que ce pays, constitué de 75 % de jeunes, est tenaillé avant tout par l’urgence de l’espérance.
Maderpost / Sud quotidien