Dans nos travaux antérieurs, nous faisions remarquer que l’élection de Maître Wade à la magistrature suprême, en mars 2000, était plus que le simple produit d’un mécanisme électoral. Elle était plutôt la résultante d’un mouvement social qui débordait le cadre d’un scrutin dont il se servait comme prétexte pour déployer son cours sur l’intégralité de l’espace politique.
TRIBUNE – Ainsi, au-delà de l’évènement politiquement chargé que constituait le verdict des urnes, cet avènement de Me Wade à la tête de l’Exécutif sénégalais portait la marque indélébile d’une maturation citoyenne.
En fonction de cette lecture, nous nous étions posé ces questions : le pouvoir, issu de l’alternance, pourra-t-il toujours être en adéquation avec la mouvance citoyenne en tenant la promesse des fleurs ? L’esprit universel sera-t-il à même de triompher des intérêts domaniaux ? Quid de l’éthique politique dont la centralité dans le jeu démocratique rend intelligible la ferveur citoyenne qui a accouché du « séisme » de mars 2000 ?
Le président Wade semblait prendre la pleine mesure des fortes attentes de ses concitoyens quand il déclarait, comme s’il était élu par tout le continent, la fin de la gestion solitaire du pouvoir en Afrique. Mais son discours, très tôt confronté au magnétisme du pouvoir, révéla son caractère davantage mystifié que mystificateur.
Dès la constitution du nouveau gouvernement, nous avions émis la crainte de voir le pouvoir reconduire cette homologie entre le parti politique et l’État qui a été la quintessence du mode de gouvernance des socialistes défaits.
Et Me Wade, en intégrant les états-majors des formations politiques significatives du Front pour l’Alternance dans l’espace du pouvoir, avait hérité de cette homologie qui a été à la base de cette politique désastreuse sanctionnée sans ambages le 19 mars 2000 par les citoyens-électeurs du Sénégal.
Cette relation de correspondance entre le Parti et l’État, une constante déterminante durant les quarante ans de règne des socialistes, a connu deux formes d’expression différenciées. Sous Senghor, c’est la position au sein du parti qui détermine le statut dans l’administration.
Les principaux leaders socialistes étaient placés dans les plus haute sphères de l’État Cette configuration gouvernementale, propre au Parti- État, est pratiquement inversée avec l’avènement de l’État-Parti dont le cycle est ouvert par le duo Abdou Diouf/Jean Colin et clos avec le tandem Abdou Diouf/ Ousmane Tanor Dieng.
Le pouvoir de Me Wade a hérité de cette deuxième forme d’homologie dont la caractéristique essentielle est de coopter des cadres et des technocrates qui sont ensuite mis en demeure de se trouver une base politique.
Cette forme d’homologie sécrète un présidentialisme d’autant plus accentué que le PDS qui en hérite ne bénéficie ni de la même pratique militante que le parti socialiste ni de la même régularité du fonctionnement de ses structures dirigeantes. Pire, le parti libéral a terriblement souffert de son identification à la personne de Me Wade.
Révélatrice, à ce sujet, est la fulgurante promotion politique du fils du président Wade. La volonté de faire accéder Karim Wade à l’espace du pouvoir a trouvé son répondant dans cette dynamique qui a éjecté du PDS des cadres précieux pour le parti libéral.
Au nombre de ceux-ci Aliou Sow de la direction du Mouvement des Jeunesses Travaillistes et Libérales et Aminata Tall, militante de première heure, et capitalisant une riche expérience gouvernementale avant et sous l’alternance, responsable du Mouvement national des femmes.
La dernière victime de cette stratégie de mise à mort politique de tout libéral soupçonné de s ‘opposer à l’accès de Karim Wade au sommet a été Macky Sall qui avait été ministre, puis premier ministre, directeur de campagne et enfin président de l’Assemblée nationale.
Le projet, qualifié de dévolution monarchique du pouvoir, avait alimenté un puissant courant de résistance porté par des militants d’autant plus remontés qu’ils rappelaient, pour reprendre Abou Abel Thiam, que Karim Wade « n’avait pas voté pour son père en 2000, tout simplement parce qu’il n’avait pas qualité d’électeur, ayant obtenu sa carte d’identité seulement en 2002 ».
Et le double recours au parachutage et au tripatouillage constitutionnel pour forcer le destin politique de son fils a été sanctionné par le verdict sans appel de la rue le juin 2011, confirmé par les urnes en mars 2012 !
À la suite de cette débâcle électorale, Macky Sall a accédé à la Magistrature suprême. Cette élection avait été jugée d’autant plus salutaire pour la consolidation de l’État de droit que le nouvel élu avait vécu auparavant l’expérience traumatisante de l’arbitraire politique.
Mieux, le fait que son élection a été portée par une dynamique des forces coalisées contre les dérives d’autoritarisme avec son lot de privations, de sacrifices et même de morts d’homme avait conféré une légitimité certaine à cet optimisme.
Dans cet esprit, Macky Sall avait déclaré, à haute et intelligible voix, vouloir s’en limiter à deux mandats, conformément à l’esprit de la Constitution. Et cet engagement était rythmé par un slogan d’une forte charge républicaine : la patrie avant le parti !
Bien plus, dans l’euphorie de sa coalition victorieuse et dans une ambiance particulièrement marquée par les effets salvateurs des luttes citoyennes, Macky Sall reconfrontera davantage les citoyens en dénonçant les transhumants ravalés au rang de… rats.
Toutefois, cette volonté si clairement affichée d’être en phase avec l’idéal originel de l’alternance politique n’a pu résister à la logique pouvoiriste. Ce retour du même a été largement favorisé par la reconduction par Macky Sall de l’homologie entre le Parti et l’État.
Précisément, en optant de gouverner, en plus de sa coalition primitive « Macky 2012 » , avec tous ceux qui ont apporté ne serait-ce qu’un moindre concours à son élection, notamment toutes les autres forces constitutives de BBY, le leader de l’APR s’était engagé dans les sentiers battus par ces prédécesseurs.
Ce changement de cap a non seulement créé de la frustration au sein des « militants de la première heure », mais a éloigné le Président des fortes attentes citoyennes.
Ainsi, en plus de l’enterrement progressif du slogan la partie avant le parti, les acteurs de cette pernicieuse mobilité politique, dénommée transhumance, furent lavés à grande eau sous prétexte qu’il faut bien trouver les moyens de massifier la mouvance présidentielle.
S’y ajoute que, sous la poussée de ses camarades sans doute les moins soucieux du respect de son code d’honneur, la question de la durée de son premier mandat de même que celle du nombre avaient fini par faire monter l’adrénaline au sein du landerneau politique.
Dans ce contexte apparait toute la fragilité des multiples coalitions constituées en dehors de repères idéologico-politiques, lesquels leur garantissent solidité et engagement.
Ainsi, les membres de la majorité, laquelle ne manque certainement pas d’identités remarquables, ne sont, en vérité, fidèles à Macky Sall que dans la simple mesure où ils ont ou espèrent avoir des postes de sinécure. Dans cette logique, la figure du militant est minorée au profit du manœuvrier politique qui entend se faire payer à la tâche !
Le triomphe de ce mode de gouvernance rend, au moins en partie, intelligible toute cette mise en scène tragico-comique dont l’Assemblée nationale du Sénégal est encore une fois de plus le théâtre.
Après le face à face de tous les dangers des policiers et des gendarmes en 1987, se dessinent, sous nos yeux, les conditions d’un duel inédit entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel.
Sans préjuger de l’issue de ce contentieux désastreux pour les institutions, il est clair que l’alliance entre le PDS et BBY pour mener une enquête sur les conditions du rejet de la candidature de Karim Wade et, par ricochet, mettre un terme un processus électoral, atteste d’une profonde déchirure qui n’a pas encore livré toute sa vérité. S’agit-il d’une stratégie pour réaliser la volonté prêtée au chef de l’État de rester encore au pouvoir ? Est-il question d’une fronde contre le choix d’Amadou Ba ? Le couts politique héritera de ces questionnements.
En tout état de cause, l’unité de BBY est d’autant plus en sursis que le Président Macky Sall, pour avoir renoncé au pouvoir, n’intéresse plus aucun manœuvrier politique !
En définitive, il se donne alors à lire que l’APR, à l’instar du PDS des flancs duquel elle est sortie, ne s’est pas préoccupée de ces questions majeures, relatives au présidentialisme, à la représentation démocratique, aux rapports entre l’État et le Parti, et aux réseaux de prébendes.
Ce faisant, le système politique sénégalais draine les mêmes tares non sans donner l’impression de faire toujours un pas en avant et deux pas en arrière. Et l’avenir politique interroge car même si des offres politiques existent, elles ne sont pas, pour une raison ou une autre, soumises à l’examen des citoyens-électeurs.
En lieu et place se constate un basculement vers une juridicisation à outrance des questions politiques avec le risque de voir les Sénégalais se détourner du jeu politique.
Par ALPHA AMADOU SY, PHILOSOPHE/ECRIVAIN
Auteur, entre autres, de Les présidentielles de 2012 ou le triomphe de la volonté populaire, Dakar, Harmattan, 2012.
Président de la Section sénégalaise de la Communauté Africaine de Culture (CACSEN)
Administrateur de la Saint-louisienne de la Culture et de la Recherche (SCR)
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