Les producteurs des communes de Bakel et de Kidira subissent l’impact de la pollution des eaux du fleuve Sénégal et de son affluent la Falémé, conséquence de l’utilisation des produits chimiques en amont, à 50 kilomètres, dans la région de Kédougou (sud-est) dans le cadre des activités d’orpaillage.
BAKEL – Les agriculteurs de Kidira utilisent les eaux de la Falémé, arrosant en partie cette commune du département de Bakel, alors que ceux de la ville éponyme utilisent les eaux du fleuve Sénégal pour faire du maraîchage sur plusieurs hectares.
Ils le font à l’aide de motopompes installées sur la rive gauche du fleuve et raccordées à des tuyaux.
Cependant, depuis quelques années, cette eau est devenue un problème pour ces maraîchers de Kidira et Bakel.
L’activité de maraîchage ne fait plus rêver bon nombre d’hommes et de femmes en dépit de la fertilité des sols et la disponibilité des terres.
« Aujourd’hui, la pollution de la Falémé, dans la région de Kédougou, en amont du fleuve Sénégal, cause trop de problèmes à l’agriculture irriguée à Kidira », déplore Demba Niang, président de l’union des producteurs horticoles de Bakel, une association forte de 315 membres.
Des eaux de la Falémé et du fleuve Sénégal complètement polluées et boueuses
« Les produits chimiques comme le cyanure ou le mercure utilisés par les orpailleurs pour extraire l’or polluent les eaux de la Falémé, qui se déversent dans les eaux du fleuve Sénégal », a-t-il expliqué.
L’orpaillage, une activité qui requiert beaucoup d’eau a fini de faire de la Falémé, un point de traitement de roches aurifères et un lieu de recherche du métal précieux.
Les effets de cette activité artisanale ont rendu les eaux de la Falémé et du fleuve Sénégal complètement polluées allant jusqu’à prendre une autre coloration.
Une eau de mauvaise qualité qui a impacté les cultures irriguées réduisant ainsi la productivité horticole et les moyens de subsistance des agriculteurs de Kidira, Bakel et environs.
« Actuellement, à cause de la pollution des eaux, nos périmètres de cultures maraîchères, vivrières, horticoles qui permettaient de nourrir nos ménages, se réduisent de façon drastique », selon le président de l’union des producteurs horticoles de Bakel, pointant du doigt l’orpaillage sur la Falémé à Kédougou (sud-est), comme seul responsable de cette catastrophe écologique.
Assis sur une chaise, dans la cour de sa maison à Kidira (est), où des tracteurs en panne campent le décor, M. Niang se dit attristé par les effets négatifs de l’orpaillage artisanal sur la production agricole de la zone.
« Ces effets ont entraîné la disparition de plusieurs cultures horticoles », a-t-il dit, citant en exemple, le maïs, patates, gombo etc.
« Tout ce qui est production horticole ne marche plus maintenant ici. D’ailleurs, on a arrêté de cultiver ces spéculations agricoles. La seule spéculation que nous continuons de faire dans la zone, c’est le piment qui semble supporter mieux cette eau polluée du fleuve », a expliqué le président de l’union des producteurs horticoles de Bakel.
Cette situation, a-t-il ajouté, « a poussé des femmes de la zone de production de Kidira, à abandonner leurs périmètres maraîchers, situés au bord de la Falémé, pour se tourner vers une agriculture irriguée utilisant l’eau des forages ».
« Sur des périmètres éloignés du lit de l’affluent, elles y cultivent des spéculations comme de la salade ou encore des choux », a-t-il encore souligné.
Selon Demba Niang, « la toxicité des eaux de la Falémé et du fleuve Sénégal a été constatée depuis 5 ans avec la baisse drastique des rendements agricoles ». Cela a permis de comprendre que le problème est dû à la qualité des eaux de la Falémé et du fleuve Sénégal, a-t-il fait savoir.
Il a rappelé « qu’avant cette pollution, même avec un périmètre de 2.500 mètres carrés de patate douce, on pouvait avoir 10 à 15 tonnes. Avec le maïs, c’était 3 à 4 tonnes de rendement sur un hectare mais aujourd’hui on n’arrive même pas à récolter une tonne ».
Dans la commune de Bakel, située à plus de 60 kilomètres de Kidira, les producteurs font également face aux mêmes difficultés.
Un des producteurs, Issa Coulibaly, président du GIE Doundé Kidéguilé, qui compte 100 membres, fait état de beaucoup de difficultés causées par les effets de pollution du fleuve Sénégal.
« Si on utilise l’eau du fleuve pour arroser nos cultures, le lendemain on constate la perte de la moitié des spéculations agricoles », se désole-t-il.
« L’eau du fleuve, a-t-il rappelé, était claire, douce et riche pour l’irrigation des périmètres mais au fil des années elle est devenue boueuse et toxique ».
« Avant, on cultivait la patate douce, l’haricot, le maïs, le concombre, les arachides qui évoluaient normalement jusqu’à la maturation mais depuis quelques années, ce n’est plus le cas », a-t-il encore déploré d’un air désespéré.
Le président du GIE Doundé Kidéguilé a par ailleurs relevé, le non-respect par tous les acteurs, du prix homologué du kilogramme de piment, l’unique variété qui résiste dans la zone, à une irrigation utilisant l’eau polluée du fleuve Sénégal.
« Il n’y a pas de consensus entre les producteurs autour du prix homologué du kilo de piment. Chacun fixe le prix qui l’arrange sur le marché », a regretté M. Coulibaly, qui dit n’avoir connu que l’agriculture depuis sa tendre enfance.
« Il faut déguerpir les orpailleurs… »
Opa Guiro, membre du comité de veille et d’alerte de la Falémé Mali Sénégal a souligné que « les risques et les conséquences environnementales » de cette pollution ‘sont déjà là ».
« Actuellement, l’eau est inutilisable pour l’agriculture, pour le linge, pour abreuver le bétail et a également détruit localement la faune et la flore », a-t-il indiqué.
Selon lui, « la solution définitive à ce problème de pollution qui touche tout le long de la Falémé, long sur 650 km, de Aroundou à la frontière guinéenne, est de mettre un terme à l’orpaillage artisanal en faisant déguerpir de la Falémé tous les orpailleurs clandestins ».
« Si on ne fait pas déguerpir les orpailleurs, le problème ne sera pas résolu », a-t-il fait valoir, appelant, le chef d’Etat du Sénégal à prendre l’initiative de contacter ses homologues du Mali et de la Guinée.
Il a souligné que l’essentiel des orpailleurs en activité sur la Falémé sont des Sénégalais, Maliens, Guinéens et Burkinabé. Il a aussi signalé la présence récente dans la zone d’orpailleurs chinois.
Selon lui, « ne délégation du ministère de l’Environnement et du Développement durable était à Kidira récemment pour s’enquérir de la situation ».
Avec ce phénomène naturel, relève t-il, « si on met un arrêt à l’orpaillage artisanal, l’eau du fleuve va retrouver sa couleur d’antan ».
Le comité de veille et d’alerte de la Falémé Mali-Sénégal, est une association qui regroupe des villages et des membres de la société civile.
Des manifestations en vue pour préserver les eaux de la Falémé et du fleuve Sénégal
Revenant sur ce sujet, le président de l’union des producteurs horticoles de Bakel, Demba Niang, a souligné qu’aujourd’hui, les producteurs, maraîchers et agriculteurs de la zone comptent mener ensemble le combat.
« Ils prévoient des manifestations pour protéger la source de leurs revenus »’, a-t-il ajouté.
« Nous avons lancé des alertes (…), la population commence à se mobiliser pour dire non aux orpailleurs clandestins. S’ils n’arrêtent pas leurs activités qui dégradent l’environnement, nous allons organiser des manifestations pour défendre notre zone », a prévenu M. Niang.
Le fleuve Sénégal est long de 1750 kilomètres. Il prend sa source à 750 mètres d’altitude en Guinée. Son affluent le plus important sur sa rive gauche, la Falémé, prend sa source dans la partie nord du Fouta-Djalon (Guinée) à 800 mètres d’altitude. À 30 km en amont de Bakel, elle se jette dans le fleuve Sénégal.
Maderpost / Aps