L’agriculture sénégalaise est sous financée malgré son poids dans l’économie, son rôle primordial dans la sécurité alimentaire et le nombre de personnes qu’elle emploie qui représentent 40 % de la population active. Elle souffre aussi d’autres contraintes qui l’empêchent d’assurer l’autosuffisance alimentaire.
AGRICULTURE – Au cours de ces dernières années, le gouvernement a fait d’énormes efforts pour financer le secteur agricole. Une politique volontariste qui s’est traduite par une augmentation des fonds alloués, trois années de suite, aux campagnes agricoles. Des 60 milliards de fcfa dégagés en 2021, ce montant est passé, en 2022, à 80 milliards de fcfa pour atteindre 100 milliards de fcfa, en 2023. Malgré tout, la production agricole n’est pas suffisante pour nourrir toute la population sénégalaise. En effet, le Sénégal est importateur net de produits alimentaires.
Préoccupé par la dépendance du Sénégal envers les produits alimentaires importés, sur un marché en pleine crise (guerre en Ukraine), le président Macky Sall avait convoqué, en janvier 2023 (du 25 au 27), la deuxième édition du sommet de Dakar portant sur le thème : « Nourrir l’Afrique ».
Ce sommet avait rassemblé plus de 1.000 participants venus de tout le continent parmi lesquels, il y avait 34 chefs d’État et de gouvernement, 70 ministres, des décideurs politiques, des acteurs du secteur privé, des organisations de la société civile et des partenaires au développement, pour se pencher sur les modalités de financement de l’agriculture. Le chef de l’Etat sénégalais avait réaffirmé lors de cette rencontre, son souhait de voir l’Afrique exploiter pleinement son énorme potentiel pour « se nourrir par elle-même et aider à nourrir le monde ».
Le discours n’est pas nouveau. Dès son élection, en 2012, le président Macky Sall affichait son ambition de mettre un terme à la très pesante tyrannie du riz importé. Depuis, du chemin a été fait. Si l’objectif d’autosuffisance en riz n’est pas atteint, des progrès ont été, néanmoins, accomplis-en ce qui concerne cette spéculation entre autres.
Qu’est-ce qui empêche le « Sénégal de nourrir le Sénégal » ? Le nerf de la guerre, c’est-à-dire l’argent. Malgré les énormes efforts consentis par l’Etat et d’autres acteurs qui contribuent au financement comme les banques publiques, le privé (les banques commerciales, les institutions de microfinance, les fonds d’investissement et les entreprises agricoles) et les partenaires au développement ; l’agriculture sénégalaise reste sous financée, indique Dr Waly Diouf, le coordonnateur du Projet de développement de la chaîne de valeur riz (PDCVR) ex-Programme National d’autosuffisance en Riz (PNAR) au ministère de l’Agriculture, de l’équipement rural et de la souveraineté alimentaire.
Un avis que partagent beaucoup d’acteurs. Pourtant, en 2022, les financements ont même atteint 150 milliards FCFA, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. Le riz et l’arachide sont les filières qui absorbent les ressources les plus importantes même si, ces dernières années, l’Etat du Sénégal a également dégagé beaucoup de ressources financières au profit des filières horticoles. Mais elles demeurent toujours insuffisantes.
L’agriculture est sous financée
Si on prend la filière riz, les objectifs de production ne sont pas atteints à cause de difficultés liées à la mobilisation des fonds. Le budget prévisionnel n’est jamais totalement mobilisé. Chiffre à l’appui, un chercheur qui a requis l’anonymat souligne que dans le Plan d’Actions Prioritaires 2014-2018 (PAP 1), le Programme d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (PRACAS), le principal programme agricole de l’Etat en production végétale qui était évalué à 581 milliards de fcfa, les investissements réalisés sont à environ 300 milliards de fcfa, soit un gap de plus de 281 milliards. De l’avis de cet expert, ce gap a empêché l’atteinte des objectifs.
En écho, Dr Waly Diouf avance que dans toutes les zones d’intervention du programme national d’autosuffisance en riz où les moyens ont été décaissés, la production a suivi. Il soutient que la difficulté de mobiliser la globalité des budgets des programmes explique le retard dans l’atteinte des résultats dans toutes les filières ciblées. « On ne peut pas parler d’objectifs non atteints si les moyens font défaut », se défend-il.
En tout état de cause, pour une agriculture performante capable de nourrir la population, des acteurs préconisent une évaluation des politiques agricoles pour plus d’efficacité eue égard aux enjeux qui sont énormes. En effet, l’agriculture contribue à environ 15 % à 17 % du Produit intérieur brut (PIB) et emploie 40 % de la population active. Malgré cette importance, les niveaux de production sont encore faibles. Sur les 800.000 ménages agricoles sénégalais, plus de la moitié ne parvient pas à satisfaire ses besoins à partir de ses productions primaires (récoltes). Les familles qui ont des taux de couverture excédentaires tournent autour de 20 %.
La recherche, le parent pauvre des politiques agricoles
En sus du financement, l’agriculture sénégalaise est plombée par d’autres contraintes non financières tout aussi pesantes, relatives d’une part, à la maîtrise de l’eau, au pilotage, à l’encadrement, et d’autre part, à la recherche, et au conseil agricole. Ce qui fait dire à Mme Astou Diao Camara, directrice du Bureau d’analyses macroéconomiques de l’Institut sénégalaise de recherches agricole (ISRA BAME) que le problème n’est pas que technique mais plutôt institutionnel et organisationnel. « Il est temps de mettre l’accent sur les innovations qui permettront, par exemple, au producteur de mieux s’organiser et de mieux produire, au ministère de l’agriculture de mieux comprendre le système, d’évaluer les programmes et de corriger les faiblesses. Voilà des aspects sur lesquels nous devons faire des efforts pour les améliorer », suggère Astou Diao Camara.
L’encadrement agricole, un volet important, est selon elle, un maillon faible. Le ratio est d’un conseiller agricole pour une commune alors que celle-ci peut polariser des milliers de producteurs. Ce même conseiller agricole souvent insuffisamment outillé a du mal à se déplacer par manque de moyen.
Il en est de même de la recherche, le parent pauvre des politiques agricoles ; ce qui d’après elle, ne devrait pas être le cas dans un contexte de changement climatique, car l’innovation technologique est cruciale pour une agriculture résiliente. Au demeurant, même les maillons les plus forts à savoir : les équipements agricoles et les semences, qui absorbent la quasi-totalité des budgets des campagnes agricoles connaissent des problèmes, puisque les producteurs particulièrement les petits, peinent à accéder aux semences et intrants. Et, chaque année, le même schéma est reproduit avec les mêmes problèmes. Ce qui mérite une évaluation d’après Dr Mor Gassama, économiste, enseignant chercheur à l’Institut National Supérieur de l’Education Populaire et du Sport (Inseps UCAD). « Malgré une enveloppe qui ne cesse d’augmenter, les problèmes sont restés les mêmes en ce qui concerne les semences et les engrais. Le problème est lié à un manque d’évaluation. Si à chaque fois, ce sont les mêmes problèmes qui se posent alors que le budget augmente : soit les besoins sont mal estimés, soit la répartition est mal faite. L’un comme l’autre mérite des mesures correctives », affirme l’enseignant-chercheur qui s’intéresse aux questions de développement.
Mettre l’accent sur le pilotage
En plus de l’évaluation, Astou Diao Camara insiste sur le pilotage qui, à son avis, est primordial. « Il faut une véritable politique agricole qui doit aboutir à des programmes structurants puis à des projets. Si on regarde le budget des ministères, il y a les ressources publiques mais également des fonds qui proviennent des partenaires. Il y a un travail à faire en termes de coordination, d’articulation et de mise en cohérence. Cette mise en cohérence est une priorité à notre sens », insiste-t-elle. La professionnalisation des producteurs est aussi un impératif.
L’agriculture est un métier qui a besoin d’organisations fortes. Dans les pays où elle est performante, les producteurs ont des organisations faitières fortes capables de financer les systèmes d’encadrement. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’encadrement est financé par des filières fortes à travers des fonds de garantie. Au Sénégal, le modèle conceptuel existe mais l’application tarde.
Toutes ces contraintes font que les banques qui ne sont pas des philanthropes sont réticentes à financer les producteurs malgré l’énorme potentiel de l’agriculture sénégalaise. Il se pose également un problème de garantie et d’inadaptation des crédits qui sont structurés sur une campagne de trois mois à quatre mois alors que la commercialisation est plus longue. De plus, les banques éprouvent souvent des difficultés à recouvrer les crédits ; ce qui explique le taux de financement bancaire de 3,5 %.
Il est donc urgent, pour une agriculture performante, de réfléchir sur le bon mécanisme pour arriver à produire de façon performante grâce à une utilisation optimale des ressources publiques et une mobilisation de plus en plus accrue de ressources privées. Cela permettra à l’agriculture sur un temps moyen ou long de pouvoir se financer.
Maderpost / Lejecos