À son corps défendant, il faut lui reconnaître depuis toujours qu’il ne demande rien à personne, reste dans son coin, ne s’occupe que de ses oignons.
TRIBUNE – Et encore, pas de tous…
Par exemple, cette pouffiasse qui le harcèle depuis des années pour faire reconnaître son bâtard par le géniteur, mais rien n’y fait. En fait, il ne dit pas « non » : il n’a juste pas le temps.
Lui, c’est le « cool rasta », inconditionnel du « social living ». En déroulé, le loustic oscille toute la journée entre les joints de yamba qui circulent parmi les potes, et le sacro-saint « tchaïne » au rythme duquel, entre deux tasses moussantes, la mélancolique compagnie des quarantenaires attardés refait cette saleté de monde.
Le soir, pour l’inconditionnel du « garaw’oul », qui n’est pas regardant, il y a toujours un bistrot louche aux lumières tamisées dont l’alcool est à mille balles, où il retrouve la compagnie dépressive des loosers de sa génération.
Dans ces sordides abreuvoirs, le distingué clochard se démarque de la populace habituelle par son vocabulaire châtié : il a dû lire dix livres savants et visiter deux pays de plus que ces crétins patentés qui boivent ses paroles sans se poser la moindre question.
A force de dominer de la tête cette bande de couillons, ça se fait un nom dans les bas-fonds tortueux des villes où grenouillent aussi les prolétaires de la politicaille, tout comme les artistes démodés, les marabouts sans talibés, les vieilles filles au vagin insatiable et les queutards impénitents qui bandent mou depuis pas longtemps.
Et puis, paf, l’espièglerie du destin croise l’ironie de l’histoire…
C’est la racaille des va-nu-pieds frustes et des loqueteux morveux, hirsutes et incultes, qui le débusque de derrière les fagots du tripot, un soir de grande détresse, et le supplie de se présenter à la présidentielle.
Explication : leur candidat déclaré, après mures réflexions et multiples cas de forces majeures, est, euh, empêché… Et il n’y a pas grand-monde, et même personne autour d’eux, qui présente une tête de présidentiable. Hormis lui.
Monsieur le bel indifférent fait la moue, hésite, se fait prier avant de capituler.
Je peux aller pisser ? J’en ai pour trois minutes…
Grave dilemme existentiel : avant de lancer la campagne, faut-il raser ses rastas poivre et sel où circulent de petites bestioles féroces et sanguines ? Détail subsidiaire : sa garde-robe, composée essentiellement de sarouels rapiécés et de chemises aux cols élimés, ça ne le fera pas.
Par pudeur, pour ne pas couper l’appétit aux électeurs, on évitera d’évoquer l’état de ses caleçons…
Il faudra aussi mobiliser du personnel pour forcer notre futur président à prendre au moins une douche hebdomadaire. Son Excellence « Rastaman nabadaye » a beau s’asperger généreusement de parfums orientaux, son odeur corporelle aussi têtue que frelatée finit par prendre le dessus.
Si ce n’était que ça…
Ne vous avisez surtout pas d’être là quand il enlève ses chaussures : le spectacle de ses chaussettes trouées n’est rien comparé au relent mortel de ses pieds. Il faudra aussi travailler le sourire : les dents virent à la couleur ocre après leurs passages du blanc lait au jaune poussin, puis moutarde. Avec quel vocabulaire il est possible de lui expliquer qu’un humain, ça se brosse les dents ?
Je vous le concède, il y a du boulot…
Question qui fâche : doit-on le marier avant la campagne ? Il ne faudrait pas que des rumeurs d’homosexualité polluent ses messages. Surtout qu’il n’a pas l’intention de reconnaître son bâtard ; et que personne ne lui connaît aucune « régulière ». Monsieur « cool, nice, fine » préfère la compagnie de ses potes, entre hédonistes de mauvais goûts, dont certains partagent son lit les nuits de cuites sévères, au terme de beuveries qui finissent au petit jour.
Douché, le moindre recoin astiqué, le poil rasé, le derme gommé, l’ongle ras, la dent blanchie, la langue râpée, l’habit neuf, la chaussure lustrée : le candidat des laissé-pour-compte en devient méconnaissable.
Question programme, c’est vite réglé : deux citations ambiguës d’un philosophe en vogue, marxiste afro-pessimiste de préférence, que complète une référence coranique, et le peuple est conquis. Outre le serment de faire du continent africain un seul Etat de Nègres susceptibles, le candidat des sans-culottes promet une monnaie qui s’appellera tout sauf le CFA, virera tout ce qui a peau blanche ou parle français avec des intonations wèsh-wèsh.
Pour dire le vrai, le réveiller avant midi sera un exploit olympien… Depuis un demi-siècle, il ne sort pas du lit avant treize heures. C’est vrai, il ne court derrière aucune pitance : ses parents ont la bonne idée de lui laisser un respectable patrimoine avant de décéder. Ses rentes lui permettent des caprices d’enfant gâté en milieu de mois : quand les gens ordinaires rament pour avoir un repas dans la journée, lui, à cet instant, s’il ressent un p’tit creux à l’estomac, se fait livrer en tiak-tiak son kilo de dibi guinâr.
C’est le genre de détail qui le fait monter haut dans la considération de la négraille. C’est de notoriété publique, on ne prête qu’aux riches…
Reconnaissons qu’après ça, personne ne peut le soupçonner d’être un parvenu qui compte vivre grassement sur les largesses du Trésor public.
Et donc, c’est un autre homme, lustré comme un sou neuf, qui bat campagne et ne fait qu’une bouchée de ses adversaires : la bourrasque qu’il traîne balaie l’ancien régime, réduit l’opposition républicaine à sa plus simple expression ; l’autre, modérée, également, est mise hors d’état de nuire.
Sa marche triomphale, le 02 avril 2024, se termine au Palais, face à Macky Sall qui lui remet les clés du Palais, la mine renfrognée après un discours expéditif.
Son Excellence titube légèrement, exhale des odeurs de festin canaille : la nuit a été longue…
Ça s’installe, prend ses aises. Tiens, il manque quelqu’un : son conseiller spécial. Problème : le monsieur si indispensable à la bonne marche des affaires de la République pour les cinq prochaines années est sous mandat de dépôt depuis une semaine pour trafic de yamba…
On peut considérer ça comme une erreur de jeunesse, non ?
C’est un de ses lieutenants qui assure la permanence avec brio depuis, raison pour laquelle personne ne remarque son absence. Mais à l’heure de l’intronisation officielle, il doit être sur la photo de famille, pour la postérité.
Le problème est sérieux…
Dilemme cornélien : faut-il, pour le premier décret, amnistier son dealer préféré, ou légaliser la vente de yamba ?
Maderpost