Lorsque vous affirmez que quelqu’un a commis un acte délictuel ou que vous-même êtes accusé de violences sexuelles, cela s’appelle une affaire privée. Il convient alors d’apporter la preuve de ce qui est avancé ; démonter les fausses accusations ou alors risquer d’être confondu. En tout état de cause cela ne mérite aucunement que le pays brûle.
TRIBUNE – Quid alors de l’instrumentalisation de la justice ? Si l’on a affaire ici à une réalité repérable à travers les différents régimes qui ont rythmé la vie politique du Sénégal, il demeure toutefois un bémol, avec la notable résistance d’hommes et de femmes qui ont su faire face, au nom de principes et au détriment de leurs carrières. C’est dire que si tous les systèmes ont tendance à s’octroyer plus de pouvoir, il reste possible de les contenir, surtout dans leurs déclinaisons caricaturales. Il en va ainsi, lorsqu’on entend un prétendant à la magistrature suprême, avancer que s’il arrivait à ses fins, il mettrait en prison tous ses prédécesseurs, feignant d’oublier que la justice est une institution trop sérieuse pour qu’on la piétine, de manière aussi cavalière.
Que n’a-t-on d’ailleurs entendu des candidats dénoncer l’extrême concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République, fustiger le fait qu’il y ait confusion entre le parti et l’Etat ! Bien que la nomenclature des dénonciations des errements du système soit récurrente, paradoxalement, aucune amélioration ne s’en est suivie. Les mêmes travers perdurent en dépit des changements survenus à la tête de l’Etat. Toujours les mêmes pouvoirs excessifs, les mêmes nominations clientélistes, les mêmes rapports des organes de contrôle mis sous le coude, les mêmes tentatives de musellement de l’opposition, ou de restriction des libertés gagnées après d’âpres batailles.
Si l’on était donc en droit de s’attendre à ce que les plus virulents des critiques du système s’appliquent leurs propres préconisations, il faudrait plutôt déchanter car nombre d’entre eux adoubent plutôt ce qu’ils critiquaient naguère.
Mieux, devenus députés de l’Assemblée nationale, ces « antisystème » notoires ne rechignent pas à convoquer le « système » pour exiger le respect de leur immunité parlementaire. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, voilà que, tout en refusant de répondre aux convocations de la justice, exprimant leur défiance virulente en direction d’une institution judiciaire qui serait aux ordres, ils font tout de même appel au verdict de leur procès, se pourvoient en cassation, s’engouffrant ainsi dans des voies de recours. Au-delà de cette incohérence manifeste, c’est plutôt la mise en branle d’un procédé machiavélique qui ne s’embarrasse nullement d’instrumentaliser le système, en exploitant toutes ses failles. En un mot, ils s’en servent lorsqu’il sert leur cause et s’en démarquent, le cas contraire.
Dans un tel contexte, on appréhende mieux les raisons pour lesquelles, en dépit de sa toxicité, l’hyper présidentialisme sénégalais continue de vivre sa belle vie, malgré les virulentes critiques des prétendants à la magistrature suprême. Comment d’ailleurs s’en étonner, au regard de la potentielle ivresse que cela pourrait leur procurer. Sauf que dans les démocraties dignes de ce nom, on s’échine pourtant à mettre en place des contre-pouvoirs, à faire en sorte que le président de la République puisse être ramené à l’ordre lorsqu’il est tenté d’outrepasser les pouvoirs que lui confère la constitution.
Or donc, l’antisystème, c’est se situer en marge du système, avec l’objectif de le détruire comme s’il était possible de s’en démarquer. Ce qui serait une vue de l’esprit que de vouloir penser une humanité possible en dehors d’un système, du fait notamment qu’ « il y a », en l’occurrence un territoire, une famille, une langue commune, des règles sociales, et que « j’y suis ». Tout ceci pour souligner que si l’on peut certes faire évoluer le système, on ne peut pour autant vivre en dehors.
C’est dire que l’on fait face en ce moment à un déroutante et inquiétante séquence de notre histoire politique. Tout est abrasif, prêt à s’embraser à la moindre étincelle. Comment comprendre en effet que par le refus de déférer au tribunal, on se retrouve avec un pays tenu en otage, des écoles, banques et autres commerces fermés ; des magasins saccagés et délestés de leurs produits, à l’image des émeutes de la faim, faisant ainsi éclater au grand jour les fragilités d’une partie de la population qui est au bord de la trappe à pauvreté. Le coût à payer est assurément énorme. Avec son cortège de morts et de blessés, de biens détruits, son énorme dispositif policier qui coûte cher aux contribuables. Aussi la décence devrait-elle inciter à s’interdire tout mouvement de liesse ressemblant à une danse du scalp. Ne serait-ce que parce qu’il faut, en tout circonstance, savoir se tenir.
Vieux Savané, Directeur de publication de Sud Quotidien
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