L’homme politique de jadis se battait, du moins dans le déclaratif, pour améliorer le quotidien de ses concitoyens en changeant leur conditions de vie.
TRIBUNE – Avec le Sonko version Adji Sarr, c’est le contraire qu’il nous est donné de voir: un homme politique appelle ses concitoyens à le dédouaner de sa responsabilité engagée et l’émanciper de la commune condition de justiciable
Du « Projet » au « Procès »
Nous sommes rapidement passés du slogan noble de « don de soi pour la patrie » à la déconcertante invite au « don de vos vies pour ma survie ».
Se comprennent alors aisément les supposées bisbilles au sommet de Pastef. Car ce parti qui a toujours mis en avant le « Projet » en est réduit désormais à mettre en avant le « procès ». Ainsi, du projet collectif qu’il fallait faire advenir dans l’intérêt des sénégalais, et pour la
survenue duquel des partisans devaient se battre, on passe allègrement à la « bataille pour un non procès » dans une affaire de mœurs classée à la catégorie criminelle.
Les appels à l’insurrection, jadis explicites et désormais à peine voilés, de Sonko ; sa volonté affichée de ne pas prendre part au procès qui devrait l’opposer à Adji Raby Sarr ; son slogan autour de la loi du talion vulgairement dénommé dans une de nos langues nationales et que nous ne reprendrons point ici par principe ; tout ceci finit de démontrer l’inversion normative quand un présumé coupable défie la loi et souhaite qu’elle soit appliquée à sa convenance pour que la paix soit.
Aujourd’hui donc, ce qui sert de gouvernail, ce n’est plus le respect de la procédure dans une affaire privée entre deux citoyens !
De plus en plus il est tacitement admis que ce qui doit guider la marche de l’état et de ses institutions judiciaires, c’est leur abdication sans concessions aux desiderata du citoyen. A défaut, c’est le chaos qui nous est promis.
De toute l’histoire du Sénégal, jamais un homme n’aira autant défié l’état, l’état de droit, la loi et les institutions.
Abdoulaye Wade soutenait qu’il ne marcherait point sur des cadavres pour arriver au pouvoir.
Oscar, lui, semble vouloir faire de la jeunesse sénégalaise, un piédestal ensanglanté pour éviter un procès et, en cas de culpabilité reconnue, une condamnation.
Dans quel Sénégal sommes-nous ? Qu’avons-nous fait pour mériter autant de principes galvaudés, de règles inversées et de valeurs détournées ?
Pour une affaire en justice il est étonnant que les gens puissent en faire le sujet quotidien de toute discussion et un problème politique et militant pendant deux ans. Une grande partie des sénégalais est tombée dans le piège de Pastef qui a réussi à faire se confondre une affaire individuelle de mœurs (le cas Sonko) et un autre problème strictement politique, (le phénomène Sonko/Pastef)
En amalgamant les deux, nous avons tous involontairement brouillé le champ de perception du citoyen lambda et durablement fait la pub et buzz de l’homme politique, par le trop de bashing et de focusing sur le cas Adji Sarr vs Sonko.
Jamais le fake n’a eu plus d’autorité sur les faits, variant entre audios, vidéos et commentaires quotidiens sans aucun lien avec la réalité qui, elle, s’est déroulée entre quatre murs.
L’entreprise de dissimulation est allée, profondément dans les bases de notre conscience collective, chercher des amarres psychologiques, où accrocher les éléments essentiels de la construction d’un polar sénégalais dont la victime et le héros sont, tout à la fois, Sonko, un « humanoïde » sorti de la cuisse de Jupiter. Un candide qui pour les Pastefiens, ne connaît ni le parjure ni le véniel.
La manipulation machiavélique a construit un prince dans une République bananière où il est peint comme un Président par destination. À côté de ce Pâris des tropiques, une Hélène perfide aux mœurs légères qui, par extraordinaire est aidée de Zeus et de tous les dieux d’une Olympe de combines où séjournent une colonie d’adeptes de théories du complot.
La Adji des îles du Saloum est traînée dans la boue de Sweet beauté et devient, par enchantement, la succube des Atrides sénégalais et d’une Coalition de grecs dakarois à col blanc tous membres de l’élite patricienne.
Le siège de Troie est déclaré et l’abdication d’Albion décrétée par une horde de doctrinaires qui menacent de brûler la Cité.
La tragi comédie se joue de la morale jetée à la poubelle et installe la spirale du silence, menaçant tout partisan ou acteur du procès, y compris les magistrats.
Cédant à la spirale du silence, des dinosaures de la société civile, des vestiges de la transhumance politique et des barons de Cercles dits d’émergence, tentent de reprendre les termes du chantage insurrectionnel énoncé par la galaxie pastefienne : risque de guerre civile, d’affrontement et de dérapages, pour appeler à une gouvernance de concorde ou de convenances… à une paix d’accommodements.
Pourquoi ? Parce qu’un citoyen ne souhaite pas/ plus faire face à la justice de son pays ?
C’est alors à une déviance ultime qu’on invite la société. Une déviance d’autant plus coupable qu’elle serait complicité du plus grand nombre au détriment d’une orpheline.
Un précédent dangereux qui acte une inversion normative déstructurante et hautement déstructurante sur le plan social
L’inversion normative, c’est ici l’exigence que la justice soit rendue, non en fonction de la loi, mais en fonction du statut d’une tierce personne et de ce qu’elle représenterait.
L’inversion normative, c’est aussi lorsqu’un présumé coupable somme l’État, les notabilités et la société d’agir en fonction de ses intérêts à lui et non selon la loi, l’état de droit et l’intérêt général.
L’inversion normative en question, c’est surtout confondre la fausse paix d’un instant, paix éphémère car assise sur des bases malsaines, à la vraie stabilité qui est d’abord reconnaissance de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
L’inversion normative est d’autant plus détestable et récusable qu’elle malmène nos rêves d’épanouissement collectifs. Car elle rappelle la corde au cou du plus faible dans une société qui aspire au développement et qui ne saurait le faire avec juste une élite minoritaire qui aurait droit à tout face une majorité qui serait tout le temps et par tous écrasée…
Samba bou amé ndeye, Coumba am ndeye
Absoudre untel parce qu’il est puissant n’est jamais bon présage pour bâtir une société juste, égalitaire et prospère.
Agir de la sorte relèverait d’une démarche mafieuse faites de combinaisons, de reniements et de rétrocessions. Deal…
Certes, nous sommes tous responsables en partie de cette anomie généralisée jusqu’à en paraître normale pour un grand nombre.
En effet, la norme et le normal peuvent en des moments d’incertitude et de grands bouleversements ; en des époques de délitements ou d’équilibres instables, s’avérer délicats à circonscrire. D’où la difficulté à définir les notions de morale et de liberté qui leur sont intrinsèquement liées, en République.
Quoi faire alors ?
Réfléchir alors sur les transgressions et déviances par rapport à un ordre social donné et leur assigner un contenu rationnel à partir duquel les notions d’ordre, de désordre bien comprises par rapport à telle ou telle autre menace, délimitent le permis et l’interdit, positivement, pour finir de créer un environnement où la Puissance Publique s’exerce dans sa plénitude absolue afin de garantir la sécurité collective et la stabilité durable du groupement humain.
Ceci doit passer par la reconstruction d’un ordre républicain normatif compris et accepté. Un ordre normatif qui transforme le sacré et l’idéal en valeurs et qui concourt à la prescription d’un code de conduites et de comportements. Un ordre normatif donc qui instaure et impose en même temps un système de coercition en fonction de la nature de la menace et des conséquences liées à la transgression.
Un ordre normatif républicain et citoyen qui rende définitivement révolue, l’ère des deals et des arrangements sur le dos des citoyens.
Aujourd’hui, il faut s’arrêter.
Il est temps de sérier et distinguer le privé du politique dans l’espace public. Il est temps de conforter la Justice sénégalaise dans sa plénitude de légiférer et de dire le droit. Quelle que soit la situation. Il est temps de vider une affaire strictement privée.
Aucune intermédiation ne saurait transiger à la place des parties et faire l’impasse sur leur comparution devant les juges.
Parce que le deal n’a pas droit de cité dans la Citée. Même la rue, de nos jours l’abhorre, à fortiori nos Institutions !
Parce qu’il n’y a pas de valeurs au-dessus de la Justice ; parce qu’il n’y a pas de négociation légale sur le dos du droit.
Parce que la liberté et les droits civiques sont hors de portée de l’intercession des grandes familles toutes obédiences confondues.
Parce que tout simplement l’opinion n’est pas partie civile.
Nous devons donc garantir à chacun et à tous que la politique ne saurait prendre le dessus sur la Justice. Car la République est la seule terre où la raison du plus fort n’est jamais la meilleure. Il n’y a que des fils et point d’orphelins. Nous sommes tous enfants de la République.
Le grand tournant de notre gouvernance a été de lutter contre les inégalités sociales.
Absoudre, au nom d’une supposé paix des braves, un politicien poursuivi par une jeune orpheline, reviendrait à rendre caduques tous les efforts en matière d’équité sociale. Et ruiner en passant tout espoir et toute croyance en chacun et en tous, en l’idée d’une République qui chérirait et protègerait tous ses fils et toutes ses filles.
Or, le procès Adji Raby Sarr / Sonko est aussi une demande sociale. Mieux, il est l’horizon indépassable de nos aspirations à la modernité; modernité n’est pas seulement dans l’amélioration de nos conditions de vie matérielle.
La modernité dans cette Afrique qui pointe le bout du nez et tend vers l’émergence, c’est aussi
la possibilité offerte à une jeune femme orpheline, faiblement alphabétisée, issue du monde rural et sans vraie attaches sociales, de livrer un combat pour la
justice face un homme puissant politiquement, financièrement et socialement.
La modernité c’est aussi éviter au Sénégal l’éventualité de présenter au concert des Nations, un premium inter pares qui n’aurait pas soldé son passif de justiciable avec sa communauté
Enfin c’est surtout éviter à Sonko que « Atum Switbotema » (les années Sweat Beauté) ne reste dans l’imaginaire sénégalais comme « Atum Pestba » ou « Atum Covidba », tournants crépusculaires vers l’aube d’une forfaiture de masse.
Empêcher le procès pour quelque raison que ce soit en dehors de toutes considérations purement judiciaires, reviendrait à accepter que la pauvreté interdit de rêver; que l’inégalité économique obstrue toute possibilité d’équité et que l’état de droit ne soit qu’un pis-aller dans notre quête de mieux être collectif.
C’est enfin nous prouver qu’en République les inégalités du départ ne demeurent pas les inégalités à l’arrivée.
Amadou Thierno Diop & Mamadou Thiam
Plumes debout pour la République