Les récriminations contre la justice sénégalaise sont nombreuses et viennent parfois d’hommes qui l’incarnent. Des magistrats à la solde de l’Exécutif à ceux qui privilégient plus leur carrière que rendre une décision basée sur le droit, les griefs fusent de partout. Et pourtant, des juges ont eu à s’illustrer en prenant des positions qui tranchent d’avec la volonté de l’Exécutif.
POUVOIR JUDICIAIRE – La justice sénégalaise est très critiquée dernièrement. Une rupture de confiance entre les Sénégalais et la justice est de plus en plus évoquée. Des dossiers mettant en cause des leaders politiques vidés à la hâte pour servir l’Exécutif, des proches du régime qui ne sont jamais inquiétés en dépit le fait d’être épinglés par des audits, sont autant de reproches faits à la justice. Et pourtant, des hommes qui incarnent cette justice ont eu à se distinguer de par leur position.
La dernière en date est celle du conseiller référendaire à la Cour Suprême qui, lors de la rentrée des Cours et tribunaux du lundi 23 janvier 2023, a dressé un tableau sombre de la santé, un secteur dont le Président de la République, Macky Sall, loue les efforts consentis. Il n’est pas le seul. Il ne manque pas dans certaines situations que des magistrats défendant leurs principes prennent des positions qui ne sont pas du goût de leur hiérarchie.
Le combat pour l’indépendance de la justice avec le retrait du président de la République du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) a été cher à l’ancien président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums), Souleymane Téliko. Il l’a porté durant tout le temps qu’il était à la tête de cette institution.
Sa prise de fonction dans le dossier de la caisse d’avance lui a valu une procédure disciplinaire à l’Inspection générale de l’administration de la justice (Igaj) qui lui a servi un blâme. Il a été traduit à l’Igaj au motif que, lors d’une interview, le 12 juillet 2020, il aurait tenu des propos de nature à «jeter le discrédit» sur certains magistrats et l’institution judiciaire toute entière. Il donnait son avis sur la caisse d’avance de la mairie de Dakar.
En 2020, le magistrat Ngor Diop a payé cher son refus de faire libérer un marabout alors qu’il était président de la Juridiction de Podor. Il fut muté à la Cour d’appel de Thiès comme conseiller suite à une réunion du Conseil supérieur de la magistrature. Cette décision étant illégale, Ngor Diop a été réhabilité dans ses droits par la Cour Suprême en mars 2022 pour violation de l’article 6 du statut des magistrats.
2014, LE PROCUREUR SPECIAL A LA CREI LIMOGE, EN PLEINE AUDIENCE, POUR SON ENTETEMENT
Parmi les exemples de juges qui disent non ou ont un avis divergent avec leur tutelle, le Procureur Alioune Ndao. Procureur spécial à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), il a été limogé en pleine audience alors que Karim Wade, le fils de l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade était à la barre. C’était en plein procès que le décret mettant fin à ses fonctions de Procureur spécial à la CREI et son remplacement par Cheikh Tidiane Mara, un haut magistrat ayant eu à officier notamment au Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir), est tombé. Aucune notification ne lui avait été faite au préalable.
Les raisons évoquées en son temps pour justifier son limogeage sont sa volonté d’engager d’autres poursuites dans le cadre de cette affaire d’enrichissement illicite concernant une liste de plus d’une vingtaine de personnes citées.
En effet, il aurait voulu placer sous mandat de dépôt l’ancien ministre d’Etat et maire de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé, mesure jugée inopportune et contre-productive par l’exécutif à la veille des élections locales car elle serait interprétée comme une instrumentalisation de la justice contre un «candidat-adversaire» du parti au pouvoir. Et il s’est, pendant longtemps, opposé à l’évacuation en France de Bibo Bourgi qui a même eu à comparaître sur civière au Tribunal. Entre autres preuves d’une intransigeance qui aurait gêné le président Macky Sall, de même que ses relations avec Me Sidiki Kaba, alors ministre de la Justice, qui seraient exécrables.
D’ailleurs, il aurait fallu des instructions écrites du ministre de la Justice à l’endroit du Procureur spécial, qui les avait d’ailleurs exigées, pour arrêter la machine contre Abdoulaye Baldé, le temps que les élections locales se tiennent, avait répondu le Procureur Ndao. C’était en 2014.
Sept ans plus tard, revenant sur son limogeage, Alioune Ndao confie : «j’étais militaire, gendarme, policier avant d’entrer dans la magistrature. J’ai reçu beaucoup de coups qui m’ont fortifié, mais la manière par laquelle j’ai quitté la Crei m’a fait beaucoup mal. Cette manière de m’évincer du poste de procureur spécial, dénote une attitude de mépris du pouvoir exécutif à l’endroit du pouvoir judiciaire. Les tenants du pouvoir exécutif n’ont aucun respect à l’endroit du pouvoir judiciaire. Ils ne veulent pas d’une justice indépendante parce que ça ne va pas dans le sens de leur intérêt. Ils veulent tenir la justice quand ils ont une affaire importante, choisir les magistrats qui vont les traiter à leur propre convenance».
«MONSIEUR LE PRESIDENT, LES SENEGALAIS SONT FATIGUES»
Qui ne se souvient pas de cette phrase devenue culte, du juge Kéba Mbaye, lors de l’installation du président de la République, Abdou Diouf, dans ses fonctions de Chef de l’Etat. L’ancien membre du Comité exécutif du CIO, père du Tribunal arbitral des sports (TAS), avait déclaré ceci : «Monsieur le Président, les Sénégalais sont fatigués».
Lundi 02 avril 2012, le président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté, a installé Macky Sall dans ses fonctions de président de la République du Sénégal. Macky Sall qui héritait d’un climat politique tendu marqué par la crise électorale n’a pas manqué de recevoir les invites du magistrat. «Vous êtes le premier président né après l’Indépendance. Vous êtes en terrain connu et votre expérience augure de votre pratique de l’Etat. Monsieur le président, il y a tant de frustrations que l’urgence est pratiquement installée partout. Il y a tellement d’impératifs que l’on peut croire que tout reste à faire », avait-t-il dit.
Seulement, le haut magistrat Diakhaté n’était pas étranger à ce climat tendu et ces frustrations qu’il indexait, puisque c’est l’institution arbitre des élections, le Conseil constitutionnel qu’il présidait, qui avait entériné le 3e mandat tant décrié du président de la République sortant d’alors, Me Abdoulaye Wade. Candidature à l’origine d’échauffourées et d’émeutes partout dans le pays et ayant entrainé la mort de plus d’une dizaine de personnes, occasionnant moult blessés. Sans compter des destructions et saccages de plusieurs édifices et sièges de sociétés publiques, en représailles à la répression exercée par les Forces de l’ordre sur des manifestants à la Place de la Nation (ex-Obélisque) et autres points et coins du pays.
Maderpost / Sud quotidien