Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
CHANGEMENT CLIMATIQUE – L’océan héberge une multitude d’organismes qui flottent et dérivent avec les courants. Pour l’essentiel microscopiques, ils représentent plus de 95 % de la biomasse marine et illustrent une diversité exceptionnelle, allant du virus aux méduses : c’est ce qu’on désigne sous le nom de plancton.
Le phytoplancton, partie végétale du plancton, est composé de microalgues unicellulaires vivant près de la surface, là où le soleil peut les atteindre. Il est la base de presque toutes les chaines alimentaires marines et constitue le point de départ de toute l’activité biologique des océans.
En tant que producteur primaire, il permet la synthèse de matière organique nouvelle riche en énergie, qui va ensuite alimenter tous les réseaux trophiques marins.
Considérée comme le deuxième poumon du monde, la mer « respire » aussi et nous fait respirer. Plus encore que les forêts, elle est le principal puits de carbone de la planète.
La Commission océanographique intergouvernementale de L’UNESCO estime qu’un tiers du CO2 produit dans l’atmosphère est absorbé par les mers et les océans.
Comme les plantes terrestres, le phytoplancton utilise une partie de ce CO2 pour réaliser la photosynthèse, et va au passage rejeter du dioxygène. Il produit ainsi l’oxygène nécessaire à la vie marine, mais aussi la moitié de l’oxygène terrestre que nous respirons.
Des écosystèmes marins bouleversés
Le phytoplancton et d’autres micro-organismes marins piègent également le CO2 en tant que carbonate de calcium pour construire leur squelette et leur coquille.
Quand ces derniers se déposent sous forme de neige marine au fond des océans, ils s’accumulent en couches de sédiments qui formeront des roches calcaires, visibles sur certaines falaises de bord de mer.
Dans le contexte actuel de changement climatique, il ne fait plus de doute que l’activité humaine depuis 1850 explique les changements environnementaux observés à l’échelle globale et il a été clairement établi que le milieu marin est également grandement affecté.
Le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) publiait, début 2021, un rapport illustrant les éléments scientifiques aujourd’hui à l’appui dans l’argumentaire autour de l’urgence climatique. Il soutient que les écosystèmes marins sont affectés par l’augmentation de la température (migration vers les pôles, stratification des masses d’eau, fonte des glaciers), l’acidification des océans et l’augmentation de la fréquence d’événements extrêmes (vagues de chaleur, intempéries, crues, inondations).
Ces événements représentent des co-stresseurs pour l’environnement marin, déjà directement fragilisé par les activités humaines telles que l’exploitation du milieu et de ses ressources, la fragmentation des habitats, l’eutrophisation et diverses pollutions.
Ces dernières viennent du continent, des fleuves, mais peuvent aussi provenir du large avec le dégazage en mer des pétroliers, les déballastages, etc.
Conséquences sur les microalgues
La recette du phytoplancton comporte trois ingrédients : de la lumière, une certaine température et un apport en nutriments. À cause de l’anthropisation et du changement climatique, ces trois paramètres simples peuvent être grandement bouleversés.
Dès la fin des années 70, des études sur l’eutrophisation au sein de lacs ont permis d’établir une relation entre la concentration en chlorophylle-a (proxy de la quantité de phytoplancton) et celle en phosphate. L’eutrophisation étant un apport excessif d’éléments nutritifs, notamment à base azotée ou phosphatée, pouvant entraîner un surenrichissement des milieux aquatiques.
Depuis, cette relation a pu être vérifiée dans de nombreux cas d’étude et étendue à d’autres nutriments et leurs ratios. Le phosphore est ainsi un élément limitant dans le milieu marin, tout comme l’azote, ainsi que la silice et certains métaux traces tels que le fer, le cuivre ou le zinc.
L’augmentation de ces afflux nutritifs par lessivage issus des fleuves, souvent largement anthropisés (zones agricoles, d’élevages, urbaines), vers le milieu marin perturbe ce délicat équilibre de nutriments. Les rejets humains apportent des excès de nitrate et de phosphate, qui favorisent certains groupes phytoplanctoniques.
Ce surplus provoque une pousse massive de phytoplancton, qu’on appelle bloom ou efflorescence. C’est un phénomène naturel, mais qui, à cause de l’eutrophisation, peut devenir délétère pour l’environnement.
Une efflorescence massive survient, puis des bactéries vont décomposer toute cette matière végétale qui n’a pas eu le temps d’être « broutée », mais pour se faire elles ont besoin d’oxygène en grande quantité.
Il y a donc phénomène d’hypoxie, voire d’anoxie, donc raréfaction voire absence d’oxygène dans le milieu, ce qui peut être mortel pour les organismes qui ne peuvent pas fuir la zone comme des poissons en bassin d’aquaculture, des coquillages, du zooplancton, des larves, etc.
Sans aller jusqu’à l’hypoxie, l’eutrophisation peut avoir d’autres conséquences. En déséquilibrant les ratios en nutriments, elle va favoriser certaines espèces de phytoplancton, plus friandes en phosphate ou nitrate, et plus rapide à les consommer.
Parmi ces espèces, certaines sont catégorisées nuisibles. Elles héritent de ce titre de par leur propension à synthétiser des toxines, qui ne sont pour elles qu’un moyen de défense contre leurs prédateurs ou leurs rivaux.
Ces toxines sont très variées et peuvent être mortelles, mais le plus souvent elles ne tuent pas leurs cibles, et vont s’accumuler dans les systèmes digestifs et les tissus des consommateurs.
Cette accumulation va s’amplifier en remontant dans la chaine alimentaire et poser problème aux prédateurs au sommet de cette dernière, l’Homme notamment.
En Europe, les réseaux de surveillance des blooms d’algues nuisibles (réseau REPHY en France) sont très développés, si bien qu’il est exceptionnel d’observer des intoxications humaines.
Cependant, dès qu’un bloom nuisible est détecté, l’activité de pêche de la région est suspendue jusqu’à ce que le bloom soit passé et que les toxines aient été évacuées, ce qui provoque des pertes financières conséquentes.
Dans les pays ayant un réseau de surveillance moins développé, voire absent, les intoxications via consommation d’animaux contaminés peuvent avoir de lourdes conséquences.
Par exemple, en mars 2021 à Madagascar, 34 personnes ont été hospitalisées et 19 d’entre elles sont décédées après avoir consommé ensemble une seule tortue contaminée.
Des océans de plus en plus acides
L’eutrophisation n’est pas le seul facteur pouvant expliquer une augmentation des risques liés aux blooms nuisibles. Il va agir en tant que co-stresseur avec le changement climatique global. Il est donc à prévoir une amplification des effets de l’eutrophisation.
Le transport maritime peut également directement influencer les occurrences des efflorescences nuisibles.
En effet, le transport de cellules dormantes par les eaux de ballastes des navires traversant les océans peut entraîner une augmentation des blooms, en apportant des espèces toxiques dans de nouveaux environnements.
En parallèle des nutriments, le pH de l’eau devient également problématique pour le développement phytoplanctonique. Par la Déclaration de Monaco, rendue publique le 30 janvier 2009 à Nice, plus de 150 scientifiques, originaires de 26 pays, soulignent que l’acidification des océans est en augmentation constante depuis 25 ans et qu’elle s’accélère.
Au total, ce sont plus de 25 millions de tonnes de CO2 qui se combinent quotidiennement avec l’eau de mer.
Cette dissolution excessive provoque une réaction chimique qui va engendrer une augmentation de la concentration en ions hydrogène. Résultat : l’eau de mer devient plus corrosive, ce qui limite, voire empêche, la synthèse de carbonate de calcium, principal composant du squelette externe de nombreux organismes marins.
En bref, l’eau des océans est de plus en plus acide et risque de dissoudre les organismes à squelettes calcaires (larves de coquillages, de gastéropodes, phytoplancton, corail, etc.).
Pour finir, une des conséquences potentiellement les plus fortes du changement climatique sur le fonctionnement des écosystèmes marins est le décalage dans le temps entre le développement du phytoplancton et celui de ses consommateurs.
Les efflorescences de phytoplancton étant de plus en plus perturbées, décalées, leurs consommateurs « loupent le coche » et n’arrivent pas à suivre. Ce qui revient à limiter les échanges de nourritures entre les différents maillons de la chaîne alimentaire.
Ces bouleversements ont déjà des répercussions sur la capacité des écosystèmes marins à fournir durablement des services à l’homme. Les pêcheries sont affectées, alors qu’elles sont d’ores et déjà affaiblies par l’exploitation d’un environnement sujet aux pollutions et aux dégradations et dont les populations d’intérêt commercial ne se renouvellent plus assez vite.
Face à ces changements globaux, les organismes planctoniques ont un rôle central à jouer. Du fait d’un temps de génération très court (une cellule phytoplanctonique peut engendrer un million de descendantes en dix jours), le phytoplancton réagit très vite aux variations de son environnement.
Ceci en fait un excellent témoin des modifications environnementales, et il est par conséquent très souvent utilisé comme un indicateur contribuant à l’évaluation de l’état des écosystèmes marins.
Comprendre ses réponses à ces événements est essentiel afin de pouvoir prédire et prévenir les changements écologiques attendus dans le futur.
De plus en plus d’actions citoyennes voient ainsi le jour pour sensibiliser le public et aider les scientifiques à acquérir des données.
On peut citer par exemple Objectif Plancton, un projet de science participative mis en place depuis 2014 par Océanopolis et plusieurs laboratoires et instituts. Il invite les plaisanciers bretons à prélever simultanément du plancton dans les rades de Brest, de Lorient et dans la baie de Concarneau, pour étudier sa variabilité spatiale et temporelle et ainsi mieux comprendre sa dynamique en rapport avec son environnement.
Maderpost / TheConversation