INTERVIEW – Lui est un «poseur de bombes» et ne rate presque jamais ses cibles. Ses interventions sont toujours musclées et leurs dégâts jamais minimes. C’est ce qui fait de l’homme un élément très convoité par la presse. Cette fois-ci, c’est à L’Observateur que «l’ami de François Fillon» a accepté de lâcher ses missiles. Me Robert Bourgi n’a pas dérogé à la règle. Le très influent et réseauté avocat et conseiller politique français, en séjour au Sénégal pour 48 heures (il est arrivé dimanche et est rentré hier mardi), s’est lâché, comme à son habitude. Le spécialiste des questions africaines et symbole de la Francafrique, du haut de ses 73 ans, se prononce sur la situation du Sénégal, analyse les chances de quelques candidats déclarés à l’élection présidentielle de février 2019 et juge Macky Sall. Du Bourgi pur et dur.
Pouvez-vous nous dire les raisons de votre séjour à Dakar ?
Je suis arrivé hier soir (dimanche soir), parce que cela faisait exactement 3 ans que je n’étais pas venu au Sénégal et je tenais à me recueillir au cimetière sur la tombe de mes parents et des miens disparus. Ce matin, à la première heure, je suis allé au cimetière de Yoff nettoyer les tombes et je repars demain soir (hier).
Y a-t-il des activités politiques dans votre programme ?
Aucune activité politique ! Je suis dans mon hôtel. Je me suis promené un peu dans la ville.
Une audience avec le Président ?
Est-ce que je vais voir le Président ? Je ne sais pas. S’il apprend que je suis là, très certainement, il demandera de me rencontrer. Je me ferais un plaisir d’aller le saluer, parce que c’est un homme que j’affectionne, comme j’affectionnerais un frère et que je respecte et estime beaucoup.
Comment analysez-vous la situation politique qui prévaut actuellement dans le pays ?
Vous connaissez ma réputation. Je n’ai pas pour habitude de me cacher derrière mon doigt. La plupart de mes interviews sont intéressantes, parce que je dis certaines choses. Il faudrait que les Sénégalais sachent qu’ils ont un Président qui est très respecté à l’étranger et que la place du Sénégal dans le concert des Nations est importante, par rapport à sa petite superficie. Le Président Donald Trump a réuni, il y a quelques mois, plusieurs chefs d’Etat africains et dans le discours qu’il a fait, il a évoqué le programme éducation du Président Macky Sall. Je sais aussi que le Président Macron apprécie beaucoup le Président Macky Sall. Pour lui, le Président Sall est une référence.
Qu’est-ce qui lui vaut ce statut ?
La psychologie joue pour beaucoup. Macky Sall a un visage qui respire la sérénité, la vérité, la raison. C’est important. A chaque fois que je me suis entretenu avec le Président Macky Sall, tant à Dakar, qu’à l’étranger, il me fait penser au Président Abdou Diouf. Ils ont la même façon d’aborder les problèmes, de recevoir et les mêmes égards pour leurs interlocuteurs. Tout n’est pas beau sous le soleil dans la vie politique au Sénégal. Il y a eu de la grogne chez les étudiants dernièrement. Si j’ai la chance de voir le Président, je lui dirai ceci : «M. le Président, vous avez été l’élu de la jeunesse, il y a quelques années. Les jeunes ont voulu tourner la page des années Wade. S’ils se sont soulevés et ils avaient leurs raisons, il vous appartient de les recevoir personnellement et ne pas vous contenter de voir le problème être réglé par le ministre ou les responsables de l’Education nationale. Nous sommes en Afrique, le président de la République est le grand frère, le tonton et le grand-père. Et c’est ça qui fait la force des Etats africains, les liens ne sont jamais distendus. Il faut que vous régliez ces problèmes vous-même, vous devez être à l ‘écoute des jeunes, les recevoir.» C’est exactement ce qui a fait la force du Président Omar Bongo Odimba. J’‘ai été très proche du Président Bongo pendant 30 ans et à chaque fois qu’il y avait de la grogne estudiantine, sociale ou autre, lui-même recevait les représentants des travailleurs, des ouvriers, des étudiants et réglait le problème en père de famille. Nous sommes dans une société africaine.
Récemment, il a reçu les étudiants …
Tant mieux alors. Le Sénégalais est un homme pacifique. Les images que m’ont renvoyées les télévisions m’ont fait beaucoup de peine. Je suis très heureux que vous m’appreniez que le Président a reçu dernièrement les étudiants, donc ce que je disais était frappé du point du bon sens.
Le Président Sall a déjà fait presque 7 ans, nous sommes à moins d’un an de l’élection présidentielle. Est-ce que les signaux que vous percevez sont rassurants pour sa réélection ?
Je ne prétends pas avoir de l’infaillibilité pontificale, mais je pense que le président sera réélu.
Quel est le pays où il n’y a pas de problèmes ? Le Sénégal n’a pas de ressources de matières premières. Allez en Côte d’ivoire, il y a des ressources des matières premières, il y a des problèmes. Le Gabon est le foyer de tous les problèmes du monde. Au Congo Brazza, il y a des problèmes. Je crois que s’il y a des problèmes, il faut les exposer directement au Président et ne pas passer par les intermédiaires. Il faut parler directement au chef, mais au chef au sens africain du terme, l’homme qui règle lui-même les problèmes de la maison, du village, de la tribu, de la région. Il y a des problèmes dans tous les pays du monde. En France, il y a des problèmes aussi. II y a des grèves multiples.
Vous semblez être très optimiste pour Macky Sall. Ne sous-estimez-vous ses autres adversaires politiques ?
Je ne les sous-estime pas. Ils ont chacun leurs valeurs. Idrissa Seck est un homme que je connais personnellement, qui a une certaine dimension et une très grande intelligence. Seulement, je perçois que cette intelligence qu’il a et dont il a fait preuve du temps d’Abdoulaye Wade, perd un peu de ses forces. Ce que je n’ai pas compris de la part d’un homme aussi pieux, ce sont ses dernières déclarations sur la Mecque. Je sais aussi qu’il pense pouvoir forcer les portes de la victoire, en passant par des intermédiaires en France. Lorsqu’il vous lira, Idrissa Seck se rendra compte que je suis un homme assez bien informé de ce qu’il fait en France et des gens qui travaillent pour lui.
Quel est le pays où il n’y a pas de problèmes ? Le Sénégal n’a pas de ressources de matières premières. Allez en Côte d’ivoire, il y a des ressources des matières premières, il y a des problèmes. Le Gabon est le foyer de tous les problèmes du monde. Au Congo Brazza, il y a des problèmes. Je crois que s’il y a des problèmes, il faut les exposer directement au Président et ne pas passer par les intermédiaires. Il faut parler directement au chef, mais au chef au sens africain du terme, l’homme qui règle lui-même les problèmes de la maison, du village, de la tribu, de la région. Il y a des problèmes dans tous les pays du monde. En France, il y a des problèmes aussi. II y a des grèves multiples.
Vous semblez être très optimiste pour Macky Sall. Ne sous-estimez-vous ses autres adversaires politiques ?
Je ne les sous-estime pas. Ils ont chacun leurs valeurs. Idrissa Seck est un homme que je connais personnellement, qui a une certaine dimension et une très grande intelligence. Seulement, je perçois que cette intelligence qu’il a et dont il a fait preuve du temps d’Abdoulaye Wade, perd un peu de ses forces. Ce que je n’ai pas compris de la part d’un homme aussi pieux, ce sont ses dernières déclarations sur la Mecque. Je sais aussi qu’il pense pouvoir forcer les portes de la victoire, en passant par des intermédiaires en France. Lorsqu’il vous lira, Idrissa Seck se rendra compte que je suis un homme assez bien informé de ce qu’il fait en France et des gens qui travaillent pour lui.
Qui sont-ils ?
Ce sont des intellectuels français, je dirais que ce sont des germanopratins, ceux qui croient refaire le monde, en étant assis dans les cafés du quartier latin, se disant philosophes. Il est dans l’erreur, car ce sont les Sénégalais qui comptent. On a vu ce qu’ont donné des élections préparées par l’extérieur. Le Président Wade, comme vous le savez, avait recours à des sociétés et à des personnes qui devaient réussir les campagnes. On a vu ce que cela a donné, au moment de son échec, tout comme pour le Président Gbagbo qui s’était fié à ces relais en France, en particulier au Parti socialiste.
D’après vous, Idrissa Seck est en train de commettre une erreur dans son approche…
La manière dont il prépare l’échéance électorale présidentielle, en voulant s’appuyer sur les relais qu’il a en France, je considère cela comme une erreur, voire une faute. Il n’en a pas besoin. Il faut connaître la réalité politique sénégalaise et cela échappe aux critères de compréhension de l’Occidental, du Français.
Selon vous, que doit faire Idrissa Seck pour avoir les chances de mettre Macky Sall en difficulté ?
Le Sénégal est un modèle de démocratie et de paix. Je le pense sincèrement, le Sénégalais est un homme pacifique. A la fin du mandat de Wade, des mouvements se sont créés pour l’amener à quitter le pouvoir. C’était sous le poids de l’âge et très certainement, à cause des mauvais conseils de son fils (Karim Wade : Ndlr) de faire un 3emandat, le combat de trop. Idrissa Seck a pour ambition d’être le Président du Sénégal, ce que je lui conseillerais humblement, c’est d’essayer d’intégrer la famille politique du Président et d’y apporter sa force. Macky Sall est entouré de tous ceux qui ont fait la politique du Sénégal, depuis 3 ou 4 décennies. Je crois qu’il gagnerait beaucoup à apporter son précieux concours au succès de la politique prônée par le Président Sall.
Donc, il devrait renoncer à sa candidature ?
C’est le conseil que je lui donnerais, parce qu’il va au devant d’un échec. Je le pense, il sera battu…
Quel est le fondement de votre vérité ?
Sur ma connaissance de la politique africaine. Je pense connaître les réactions intimes des Sénégalais. Il y a de la grogne, c’est sûr. Mais la manière dont Idy veut les régler et les aborder ne correspond pas au mouvement général du monde d’aujourd’hui. Il est dans une dynamique ancienne. Le fait aujourd’hui, qu’il bâtisse une grande partie de sa stratégie politique sur l’extérieur, est voué à l’échec. C’est mon sentiment.
Macky Sall n’a t-il pas balisé le terrain pour lui-même, quand on l’accuse d’avoir mis en prison, deux candidats potentiels, Karim Wade et Khalifa Sall…
Je vais vous dire une chose : si Karim Wade a pour idée de se présenter un peu plus tôt, un peu plus tard, à la Magistrature suprême, je peux moi-même le battre.
Apparemment, vous ne l’aimez pas…
Ce n’est pas parce que j’ai dit qu’il n’a aucune chance, que je ne l’aime pas. Beaucoup de choses ont fait que nous soyons séparés, mais permettez-moi de vous dire que j’ai de l’affection pour Karim. J’ai un immense respect pour son père. Depuis qu’il est en exercice ou avant même qu’il ne le soit pas, je n’ai jamais entendu dire un mot déplacé à l’endroit de Wade. Jamais au plus grand jamais et cela ne m’étonnerait pas d’apprendre qu’ils ont des contacts, soit directs ou indirects.
Avez-vous des informations sur les contacts directs ou indirects entre Macky Sall et Me Wade ?
Je pense qu’ils se sont vus ou parlés, il y a quelque temps.
Vous le pensez ou vous en êtes certain ?
Quelque chose me le dit ! Pour les 90 ans de Wade, Macky Sall s’est manifesté, cela grâce à l’affection, l’estime, le respect qu’il a pour lui.
Pouvez-vous revenir sur ce contact ?
Il y a des contacts entre eux. On dit que je suis un homme réseauté, j’ai les oreilles qui traînent. Macky Sall est un homme très respectueux du passé, comme il a un profond respect pour le Président Diouf. Lorsqu’il y a 3 ans, il a tenu à me remettre lui-même les insignes de Commandeur de l’Ordre national du mérite de la part de Diouf, il m’a dit : «Je suis heureux de te les remettre moi-même, car j’aurais fait le même choix…»
Pourquoi vous minimisez les chances de Karim Wade, alors qu’il est le candidat de la plus grande force politique du Sénégal, le Parti démocratique sénégalais (Pds), après l’Apr ?
Au fond d’eux-mêmes, beaucoup de cadres du Pds sont prêts à rejoindre la mouvance présidentielle. Il faut un rassemblement au Sénégal, au lieu d’aller à l’éclatement de la vie politique.
Pourquoi pensez-vous que Karim n’a pas de chance politiquement ?
Je le connais tellement ce garçon. Il est moins Sénégalais qu’un étranger dans ce pays. Il est le fils de son père, mais il n’est pas Sénégalais. Je ne pense pas qu’il parle la langue, même s’il l’affirme. Il dit qu’il a appris à être musulman, soit on l’est ou on ne l’est pas. Je pense qu’il parle le Wolof comme vous parlez le Russe. J’ai 73 ans, je ne sais pas si je vivrais longtemps, mais je ne verrais pas Karim Président.
Parce que son inscription sur les listes électorales a été invalidée par le régime…
Il ne faut pas tout le temps faire porter le chapeau à Macky Sall. Je vais vous faire une révélation : j’ai le feu vert du Président Sarkozy que j’ai vu récemment. Je n’ai pas d’intérêt à trahir une conversation avec un ex-chef d’Etat. Comme je savais que j’allais venir à Dakar et que les journalistes qu’ils soient Sénégalais, Ivoiriens, Camerounais ou Français, aiment bien m’entendre parler, je savais que j’allais être victime consentante de leur envie. J’avais demandé à Nicolas Sarkozy s’il se souvenait de la dernière Présidentielle de Wade où il avait reçu Karim Wade. Il m’a répondu que oui. Sarkozy m’a rappelé ceci : «J’avais demandé à le (Karim Wade : Ndlr) voir, car la vie politique sénégalaise importe à tout dirigeant français. Tu étais venu avec Karim me voir à l’Elysée et tu lui avais dit s’il ne pensait pas que le 3e mandat que recherchait son père serait le combat de trop. Il t’avait regardé stupéfait, interloqué, agacé de t’entendre dire cela. Karim a alors répondu : «M. le Président, mon père, sera élu au premier tour.»» Ce jour là, je lui avais rétorqué : «Karim êtes-vous sûr de vous ? Votre père est une conscience pour chaque Sénégalais, pour chaque Africain, c’est un juriste respecté. Il a croupi en prison avant d’arriver au pouvoir. Il a fait deux mandats, celui-ci est le mandat de trop. Robert ne pense pas que ton père sera élu… Voilà ce que Nicolas Sarkozy m’a rappelé l’autre jour, avant mon départ de Paris.
Quelle a été la réaction de Karim Wade ?
Quand Sarkozy lui a dit que Robert ne pense pas que votre père sera élu au 1er tour et qu’il sera même battu par Macky Sall au 1er tour, Karim Wade s’est retourné vers moi et m’a dit que je ne connaissais rien à la vie politique sénégalaise. Alors, Sarkozy lui a encore rappelé que lors d’une audience en 2009, avant les élections municipales de 2009, Karim Wade lui avait annoncé qu’il serait le maire de Dakar. Ce jour-là, je lui avais dit, devant le Président français, qu’il serait battu, même à Point E, fief de son père. La suite est connue, il a été écrasé. Il avait dit que le Président Wade serait élu au 1er tour, la suite est connue.
Mais, les contextes diffèrent…
Je veux bien admettre que d’autres candidats puissent penser mettre en difficulté le Président Macky Sall, mais jamais Karim. Je ne le pense pas. On a parlé de l’acharnement du Président Sall sur Karim. Karim Wade a été jugé par des magistrats plus que qualifiés. Je vais vous faire une autre révélation : lorsque le Président Macky Sall a été élu, j’ai été la première personne à être reçue chez lui, à Fann, avant qu’il ne prête serment. Il m’avait confié une mission auprès du Président Sarkozy. Il s’agissait d’un coup de main pour le Sénégal. Et cela a été fait aussitôt. Macky Sall est arrivé à Paris quelques jours après son élection. Le Président Sarkozy avait fait en sorte de lui rendre ce service, parce que le Président Sarkozy, contrairement à ce que l’on croit, a une grande affection pour les Africains. Je vous assure, sinon je ne serai pas resté à ses côtés.
De quel montant est l’appui financier sollicité par Macky Sall ?
De l’ordre de 260 millions d’Euros. Le Président Sarkozy avait fait ce geste pour le Président Macky Sall. C’était d’Etat à Etat.
Pourquoi le Président est-il passé par vous ?
Je ne sais pas. Peut-être parce que j’étais là. Peut-être que le Président élu avait jugé nécessaire de passer par moi. C’est beaucoup plus direct. Plutôt que de passer par l’ambassadeur qui suit toute une démarche avant d’accéder au Président. Avec moi, c’était du direct-direct. Le Président Macky Sall arrive à Paris, me reçoit, m’offre du café et il me dit : «J’ai un service à te demander. Je sais que vous avez une relation de grande affection pour le Président Wade et son fils et ça, c’est une réalité bien que nous ne soyons pas en accord sur le plan politique à cause du 3e mandat. Je ne veux pas que Karim ait des ennuis judiciaires. On l’accuse d’avoir détourné de l’argent, j’apprécierai beaucoup qu’il en rende une partie et je puis t’assurer qu’il n’aura pas d’ennuis au pays. Tu es juriste et tu sais les ennuis qu’on pourrait avoir quand on a affaire à la justice et que des faits pourraient être établis.» Je lui ai dit qu’il n’y a pas de problème et que dès que Karim se manifeste, je le lui dis. Il me dit que Karim est à Paris actuellement. J’appelle Karim qui vient me voir à mon cabinet. Je lui dis que j’ai une mission qui m’a été confiée par le Président Macky Sall. Il m’interrompt et me dis je sais que tu étais chez lui. Je lui ai dit : «Tu m’espionnes ? Je ne lui ai jamais caché que j’avais de l’affection pour toi. Le Président Macky Sall souhaiterait que tu restitues une partie des biens que tu aurais détournés à ton profit.» Il s’est levé, courroucé et m’a dit : «Zéro + zéro = zéro.» Je lui ai dit Karim, les temps ont changé, le pouvoir a changé de main. Je connais trop la vie politique africaine essentiellement. Le Président veut t’éviter des déboires et des ennuis et même plus. Pourquoi pas la prison ? Il est resté debout et a fait un grand zéro avec ses doigts. Le soir même, je suis allé voir le Président à son hôtel, situé Rue de la paix et je lui ai dit : Président, je sais que zéro+ zéro= zéro. Il n’a pas un sou. Il s’est levé et m’a dit : «Tu es témoin que je ne lui voulais pas de mal. La justice fera son travail.» La justice a fait son travail et on a su quelles années il a passé à Rebeuss.
Cela ne dérange pas qu’il soit la seule personne à faire de la prison dans cette procédure ? N’était-il pas juste une cible parmi tant d’autres ?
Karim Wade n’a pas été une cible. Je suis avocat. C’est une affaire qui a été jugée et je ne voudrai pas porter un jugement sur le travail des magistrats sénégalais. Je ne voudrai pas m’en mêler.
Avez-vous gardé le contact avec Karim Wade ?
Depuis mon dernier entretien avec lui, dans mon bureau, je n’ai plus eu de contact avec lui.
Vous n’avez pas cherché à le joindre ?
Non.
Et son père ?
Pareil.
A quand remonte votre dernier entretien avec Wade ?
Depuis qu’il a quitté le pouvoir.
Et pourtant, vous étiez des amis…
Oui, mais il y a des choses qui ne s’oublient pas de leur côté. J’ai été trop franc. L’entretien dans le bureau du Président Wade a dû les marquer. Après qu’il a vu le Président Sarkozy à l’Elysée, il était allé voir une autre personnalité française, le ministre de l’Intérieur qui était Secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant et il était accompagné de Me Madické Niang, l’ancien ministre des Affaires Etrangères que je salue. C’est un homme très affable, très gentil, courtois. Guéant que j’avais tenu au courant de l’entretien avec le Président Sarkozy lui a dit exactement la même chose et à Guéant, il a dit la même chose : «Le Président ne sera pas élu au 1er tour».
Qu’est-ce qui s’est passé dans le bureau du Président que la famille Wade ne vous pardonne pas ?
Il y a une anecdote. Wade était toujours Président et il faisait toujours en sorte que mon séjour à Dakar se passe dans les meilleures conditions (accueil, voiture, chauffeur, hôtel) et si je restais plus de 3 jours à Dakar, il me recevait pratiquement tous les jours. Quatre à cinq mois avant l’élection présidentielle, j’ai été allé voir Macky Sall, alors candidat, dans sa maison de Fann, pendant deux heures. Il m’a fait servir un bon thé à la menthe (ataya) et de petits gâteaux. Il m’avait alors dit : «Tu sais Robert, cette visite m’a fait beaucoup plaisir. Avec cette visite, tu pourrais provoquer la colère du Président, je lui ai dit, j’ai le droit, tu es mon ami. Le soir même, j’ai eu droit à une soufflante du Président Wade. Wade m’a dit que je n’aurais pas dû, car je travaille contre lui. Je lui ai dit : «Tonton, Macky est mon ami et il est votre Premier ministre. Il est normal que j’aille le voir, comme je vais voir Moustapha Niasse et d’autres.» Et depuis, je n’ai plus revu aucun membre de la famille Wade. Alors que je n’ai joué aucun rôle sur les Sénégalais.
Même si vous n’êtes plus à Dakar, est-ce que le Président Macky Sall vous consulte pour des questions politiques ?
Absolument pas ! On a des contacts fraternels, amicaux, mais le Président Macky Sall ne me consulte pas. On se parle à l’occasion, mais je ne suis pas son conseiller.
A part Karim Wade, il y a un autre adversaire, Khalifa Sall, qui serait sur le point d’être écarté. Est-ce que vous le connaissez ?
Je le connais, mais peu, et permettez à l’avocat que je suis de ne pas se mêler d’une affaire qui est en cours de jugement.
Politiquement, c’est un challenger ?
Je vous l’ai dit. Au début de mon propos, Khalifa, s’il n’y avait pas eu ces problèmes, serait un adversaire plus conséquent pour le Président Macky Sall que Karim Wade et Idrissa Seck. Mais pas maintenant. Je ne vois pas le Président Macky Sall être battu. Je ne l’imagine pas.
Est-ce que ce n’est pas parce que Khalifa Sall devait être l’adversaire le plus dangereux, qu’on a cherché à l’écarter ?
Attendons de voir ce que va donner son procès en appel.
Ses partisans crient à une cabale politique…
Quand je tape dans la caisse, on dit que j’ai tapé dans la caisse, je finis en prison. Vous tapez dans la caisse de votre journal, vous finissez en prison. Cela ne veut pas dire qu’il sera définitivement condamné. Mais, sur le plan politique, de la pesée politique, Khalifa Sall ferait un meilleur candidat que Karim, qui ne peut même pas être candidat pour moi.
Quel est l’avantage de Khalifa par rapport à Karim Wade et Idrissa Seck ?
Idy est un homme du passé. Il renouvelle de vieux schémas à chaque fois. Le monde change. Vous étiez avec le Président Wade, vous l’avez quitté, vous revenez, vous quittez, vous êtes avec Macky Sall, vous le quittez… Les Sénégalais observent.
Et pourtant, il incarne l’opposition dure, radicale…
Peut-être que son prisme est faussé.
Pourtant il ébranle le régime parfois quand il parle, on sent l’affolement dans le camp présidentiel ?
C’est un homme qui parle bien, qui est intelligent, qui a du charisme. J’ai toujours été intéressé par le verbe de Idy. Mais le fait d’avoir fait recours à des lobbies extérieurs, à des relais parisiens, des intellectuels parisiens, je lui dis fraternellement, qu’il se trompe. Ce sont les Sénégalais qui votent. Les relais parisiens ne feront rien pour lui. Ce n’est pas la France qui fait les élections. En 2012, les gens n’ont pas compris ma charge contre Villepin et Chirac et les mallettes. Je veux être en paix avec ma conscience. Vous vous souvenez de mes déclarations en 2011, les Africains n’ont pas compris et me sont tombés dessus. J’ai été acteur et témoin de tant de choses. Je ne voulais plus que ça continue. Je n’en voulais plus. C’est terminé, les Présidents qui sont faits en France et renversés depuis la France.
Quel est le secret de Me Bourgi pour être toujours influent auprès des chefs d’Etat ?
Je ne leur apporte plus rien. Aujourd’hui, le seul contact que j’ai, c’est le Président Macky Sall.
Alassanne Ouatarra de la Côte d’Ivoire ?
Non.
Ibrahim Boubacar Keïta du Mali ?
Pas du tout.
Alpha Condé ?
Pas du tout.
Est-ce que ce n’est pas parce que le mythe Robert Bourgi s’effondre ?
J’ai pris de l’âge. Depuis 4 jours, je suis grand-père pour la 6e fois et j’ai appris aujourd’hui même que je me prépare à accueillir un 7e petit-fils. Je veux me consacrer à ma famille. Le seul pays qui me tient à cœur, c’est le Sénégal, mon pays natal. Personne n’est parfait, mais le Président Macky Sall est perfectible. Il est ouvert, ce que n’était pas le Président Wade, parce qu’autour de lui, il y avait le ministre de tout qui faisait barrage. Si le mythe Robert Bourgi s’effondrait, mon cabinet ne serait pas aujourd’hui un confessionnal. C’est le confessionnal de tous les opposants politiques.
Il se peut que vous rencontriez le Président Macky Sall, quel est le plus grand conseil que vous allez lui donner en direction de la Présidentielle ?
Je lui parlerais de la grogne des étudiants, je lui dirais qu’il a bien agi en les recevant, que je lui aurais donné ce conseil. Je vais lui dire d’être beaucoup plus attentif aux envies et aux besoins des Sénégalais. On peut être contre le Président Macky Sall, mais, il n’y a pas de violence verbale contre sa personne. On le combat, mais ce n’est pas un repoussoir. Karim était un repoussoir pour les Sénégalais à la fin du mandat de son père. Il fallait tourner la page Wade.
Même si les niveaux diffèrent, il y a aussi l’immixtion de la famille présidentielle dans la gestion des Affaires de l’Etat. Son épouse est présente dans beaucoup de dossiers, elle reçoit des syndicalistes, il y a son beau-frère, Mansour Faye, qui est dans le gouvernement. Il avait dit qu’il ne nommerait jamais son frère Aliou Sall, il l’a fait. Est-ce que Macky Sall n’est pas en train de répéter les mêmes erreurs que Wade ?
Le degré qu’avait atteint la famille Wade, c’était autre chose. Que des nominations ne soient pas justifiées, je vous l’accorde. Pour la Première Dame, il faut savoir que toute femme est influente. En Afrique, les femmes sont un levier de commande et un lobby très important. Mais la nomination de Aliou Sall n’est pas une bonne chose. Je le lui dirai. Si j’avais la chance qu’il me dise : «Robert, j’envisage de nommer Aliou.» Je lui aurais dit, ne le fait pas. C’est un reproche qu’on fait aux présidents africains. La Caisse de dépôts et consignation (Cdc) est un poste très important. Il n’avait pas besoin de ça.
CODOU BADIANE
& NDIAGA NDIAYE