Le petit Etat d’Amérique centrale a obtenu une mauvaise note lors de l’évaluation conduite par le Forum fiscal mondial sur ses efforts en matière d’échange d’informations pour lutter contre la fraude fiscale.
FISCALITE – Le Panama s’est beaucoup ouvert et réformé depuis les révélations des « Panama papers » d’avril 2016 – l’enquête pilotée par le consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) avec plus de cent médias dont Le Monde –, mais ce n’est visiblement pas assez.
Ce petit pays situé au sud de l’Amérique centrale, qui essaie de se débarrasser de ses habits de paradis fiscal opaque pour sociétés-écrans, abrite un important centre financier international, avec plus de 640 banques et institutions financières, et 131 milliards de dollars (119 milliards d’euros) d’actifs bancaires.
Or, il vient d’obtenir une note de bas de tableau à un important examen de transparence conduit par le Forum mondial pour la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (le Forum fiscal mondial) – cette instance de 158 Etats membres adossée à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), vouée à la coopération entre Etats, pour éliminer fraude fiscale et blanchiment d’argent.
Un mauvais « partiellement conforme«
Loin de la note « conforme » escomptée, décrochée par les pays qui appliquent les meilleurs standards de coopération adoptés par le Forum fiscal mondial, le Panama se voit attribuer ainsi un mauvais « partiellement conforme » – en bas d’une échelle à quatre barreaux (« conforme », « globalement conforme », « partiellement conforme » et « non conforme »), selon un rapport du Forum dévoilé mardi 12 novembre.
Les sept autres juridictions auditées par le Forum fiscal mondial au même moment que le Panama (Andorre, Curaçao, République dominicaine, îles Marshall, les Samoa, Arabie saoudite et Emirats arabes unis) ont, pour leur part, obtenu un « globalement conforme ».
En quoi a consisté l’examen ? Le Forum fiscal mondial s’est lancé, depuis 2016, dans un ambitieux travail d’évaluation, sur plusieurs années, des lois et des pratiques de ses pays membres, en matière d’échange de renseignements visant des contribuables (comptes bancaires, avoirs financiers…), sur demande de pays tiers (lors d’enquêtes du fisc ou de la justice). Un examen « par les pairs », revenant, pour les pays, à s’auditer les uns les autres. Les résultats sont publiés au fil de l’eau.
Des standards exigeants
En clair, il s’agit de voir si les Etats abritant de l’argent étranger sur leur sol sont en capacité de transmettre la bonne information lorsqu’ils sont interrogés, et s’ils transmettent bien l’information – l’échange sur demande, visant un dossier précis, reste un des deux modes d’échange de renseignements, avec l’échange automatique, largement déployé depuis 2018.
Et ce, selon les derniers standards adoptés par les pays de l’OCDE, des standards exigeants qui supposent de dévoiler aux requérants l’identité du bénéficiaire effectif (réel, final…) de comptes, de sociétés, de fondations ou même de contrats, souvent dissimulée derrière des hommes de paille recrutés par des sociétés de domiciliation fictive ou des cabinets d’avocats à l’image de l’ex-Mossack Fonseca, au centre du scandale des « Panama papers ».
Un premier travail d’évaluation des pays membres avait été conduit entre 2010 et 2016, mais sur la base de standards plus anciens. Or, au terme de ce nouvel examen approfondi, le Panama n’est certes pas recalé, comme il l’avait été précédemment, et a, au contraire, fait des « progrès considérables« , souligne le Forum fiscal mondial, pour se conformer aux recommandations de l’OCDE (mécanismes d’échange sur demande bien en place, solide réseau de pays partenaires pour échanger l’information, administration fiscale renforcée, lois et règlements contraignants pour les professionnels de la finance, etc.).
Mais le pays bute sur deux gros problèmes : une information sur l’identité des bénéficiaires finaux de comptes ou d’entités qui n’est pas toujours disponible, en particulier dans les fondations, avec des carences peu ou prou contrôlées ou sanctionnées ; et surtout, des données ou archives comptables manquantes. Des obstacles sérieux, donc, pour démasquer fraudeurs et réseaux criminels (trafic de drogue, d’armes…), à l’abri de sociétés-paravents.
A quoi s’ajoutent des réponses encore trop lentes aux pays qui interrogent les autorités panaméennes : ainsi, sur la période d’environ trois ans qui a été vérifiée (du 1er avril 2015 au 31 mars 2018), au cours de laquelle 302 demandes de renseignements émanant de 19 pays sont arrivées au Panama, si 20 % des réponses ont été faites sous quatre-vingt-dix jours, 49 % l’ont été sous cent quatre-vingts jours, avec une information incomplète dans près de la moitié des cas (140). Le Panama n’a pas pu trouver la réponse attendue dans 13 % des cas, et, la plupart du temps, aucune donnée comptable n’existait.
Des listes noire et grise
« Le Panama a été le dernier de la liste jusqu’aux “Panama Papers” et a hésité quelques mois sur la stratégie à suivre, mais il a décidé de changer en modifiant ses lois et en acceptant de passer à l’échange automatique d’informations », déclare le directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, Pascal Saint-Amans. Ce que montre ce rapport, c’est que les nouveaux standards sont exigeants et qu’il faut continuer à monter en grade. »
La mauvaise qualité de certaines réponses aux pays demandeurs tiendrait d’ailleurs à l’opacité qui régnait jusqu’aux lois de transparence adoptées depuis 2017. Il est, de fait, compliqué pour les centres financiers offshore d’apurer leur stock de comptes illégaux et de sociétés-écrans, et radier ou démanteler ces entités prend du temps.
Au final, alors que le Panama reste sous surveillance du GAFI (Groupe d’action financière) – cet organisme international l’a récemment placé sur liste grise, pour l’inciter à faire plus contre le blanchiment et le financement du terrorisme –, le mauvais rapport du Forum fiscal mondial est un défi pour le nouveau gouvernement de gauche (Parti révolutionnaire démocratique, PRD), issu de l’élection présidentielle de mai.
La politique de transparence fiscale des Etats sert en effet de critère pour le classement ou non sur les fameuses listes noires internationales de paradis fiscaux (Etats « non coopératifs en matière fiscale », selon l’expression diplomatique).
Or, si le Panama a signé toutes les conventions d’échange de l’OCDE requises et ne risque donc pas de fichage sur la liste de l’organisation internationale, sa mauvaise notation pourrait en revanche lui valoir, en théorie, une réinscription sur la liste noire européenne, ou sur liste grise. Des listes noire et grise dont il est pourtant récemment sorti – pour la liste noire en janvier 2018, et pour la liste grise en mars. Son sort dépendra de discussions à venir avec l’Union européenne. L’actualisation de la liste noire européenne est escomptée lors d’un Ecofin – réunion des ministres des finances – en décembre.
Anne MICHEL/LE MONDE