Le jour de la Tamkharite me fait penser à mon enfance à Diourbel. Achoura n’était pas seulement le jour où on devait manger un bol de Tiéré ou encore psalmodier quelques versets que les prêcheurs 2.0 nous gratifient aujourd’hui en série.
TRIBUNE – Quand nous étions enfants, Tamkharite était une fête culturelle à côté de sa signification religieuse qui était totalement respectée.
À Diourbel, les préparatifs commençaient tôt le matin. Les étapes de la journée étaient bien ancrées dans nos esprits.
Au moment où les femmes s’activaient pour la cuisson du fameux Tiéré avec de la sauce à la viande, nous nous organisions pour bien réussir le tadjabone.
À cette occasion, les garçons et les filles se déguisaient, parcouraient les rues, les maisons en chantant et en dansant pour demander des étrennes.
« Tadiabone weulé, tadiabone weulé » une intonation qui rythmait le quartier Thierno Kandji à la tombée de la nuit et chacun y allait de son inspiration.
Les « Potou tamaté », pots de tomate accolés aux résidus de peaux d’animaux ramassés au marché ndoumbé Diop nous servaient de tam-tam et à défaut ce sont des sachets plastiques qui étaient utilisés.
Nos tenues étaient interchangeables entre garçons et filles. Il fallait rendre le défilé drôle et rythmé.
Un défilé qui arrachait le sourire et l’éclat de rire à chaque passage. De maison à maison nous rivalisions d’ardeur pour mieux bénéficier des étrennes. Il fallait parfois faire preuve d’ingéniosité pour dénicher la personne qui se cachait derrière un déguisement.
Un défilé bien sportif aussi qui aidait à digérer le thiéré. Ce Thiéré, il fallait le manger tôt et recommandations nous avaient été données de beaucoup manger parce que nous devions être pesés la nuit. Si nous n’étions pas assez lourds, nous n’allions plus être rassasiés pour le restant de l’année.
Le tiéré était aussi accompagné de lait. Chez nous, c’était le lait pur. Celui qui venait des vaches qu’élevait mon grand-père puis ses enfants ont pris le relais jusqu’à aujourd’hui. Baba Alpha en est le digne héritier et le conservateur attitré.
Le lendemain de la fête, il fallait se réveiller tôt pour voir Fatimata Binetou Rassoul sur le ciel entrain de faire le linge et étendre ses habits à la lumière du soleil.
On nous mettait du « tousngal » sur les yeux. C’était la potion magique pour l’apercevoir.
« Tu l’as vue ? Regarde bien, elle est là.. ». Nous disaient des aînés.
« Oui je l’ai vue » pouvais s’exclamer le premier chanceux et il nous aidait à la voir. « Regardes bien, c’est tout doit… » « oui effectivement… »
Nous l’avions presque tous vu sans l’avoir réellement vue. C’était déjà bien dessiné dans notre mental et plaqué sous nos yeux. Une illusion qui a été bien ancrée dans nos croyances pendant des années.
On y croyait fort. Il fallait faire des vœux, des vœux d’enfants qui devaient s’accomplir.
Plus tard, nous nous retrouvions autour d’un bol d’un repas commun qui a été le fruit des étrennes mobilisés la veille. C’était une grande famille composée de fils et filles de plusieurs habitations du quartier qui se regroupait dans une seule maison pour partager un repas.
Les fêtes à notre époque étaient une occasion de tisser les liens entre enfants, de mettre la religion au cœur de l’épanouissement en en faisant apparaître des bribes qui côtoyaient notre culture et nos traditions.
L’enfant qui baignait dans la fête finira par chercher sa vraie signification une fois majeur. Il parvient à devenir un vrai pratiquant qui saura distinguer la religion de la culture…
Bonne fête d’Achoura à tous
Ah j’oubliais, le lendemain de chaque fête nous passions à l’hôpital pour rendre visite à des parents séréres qui finissaient toujours par être hospitalisés. Ils en prenaient plus que ce qui était recommandé et tombaient malades.
Et c’est le cas jusqu’à aujourd’hui.
Qu’ALLAH agrée et récompense nos bonnes œuvres.
Bale lénema ak bale naléne
Thierno Bocoum
Maderpost