Les investissements vers les matières premières du continent reprennent malgré des cours faibles, mais les ambitions de transformation sur place se heurtent au coût de l’intégration des chaînes de valeur.
Par Nicolas BOUCHET
Les investissements vers l’exploration et l’exploitation des matières premières peuvent-ils repartir durablement à la hausse ?
La CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) avait relevé dans son Rapport sur l’investissement dans le monde que les investissements directs à l’étranger vers le continent africain ont diminué de 21 % par rapport à 2016, pour atteindre 42 milliards de dollars, cette baisse étant «concentrée parmi les grands exportateurs de produits de base».
Facteur explicatif donné par ce même rapport, la baisse de rendement des investissements est passée de 12,3 % en 2012 à 6,3 % en 2017 (pour un taux mondial de 6,7 %), conséquence de la chute des prix des matières premières sur la même période.
La Zambie a fait figure d’exception avec une hausse du stock des investissements dans le secteur du cuivre, en provenance d’Inde et de Chine. Malgré ce contexte et voulant donner des pistes de progression, les auteurs du rapport de conjoncture Arcadia (« Annual Report on Commodity Analytics and Dynamics in Africa »), présenté à Paris le 9 avril, rappellent que plusieurs pays n’ont pas renoncé, au contraire, à devenir exportateurs de pétrole (Sénégal, Ouganda, Kenya) et de gaz (Sénégal, Mauritanie, Tanzanie).
Philippe Chalmin et Yves Jégourel, qui ont co-dirigé le rapport Arcadia, formulent le constat d’un « continent assez largement sous-exploré qui présente donc un bon potentiel de découvertes », notamment dans le domaine du pétrole où l’Afrique ne pèse encore que de 6 % à 7 % de la production mondiale.
La lente remontée du cours du brut depuis 2017 accompagne ainsi la reprise de l’exploration offshore par Total en Afrique du Sud, par BP en Libye, et par l’Algérie et le Maroc sur leur territoire.
Le projet conjoint entre le Sénégal et la Mauritanie d’exploitation du champ marin de gaz naturel de Grand Tortue-Aheyin est un autre exemple de volonté d’investir en dépit de la conjoncture, pour une ressource qu’Yves Jégourel présente comme « une révolution par sa production offshore et ses modes d’acheminement », qui la rendent adaptable aux fluctuations du marché du gaz naturel liquide.
Identifier les niches porteuses
Ces tendances associées à des situations de forte dépendance économique donc de vulnérabilité aux variations des cours lient l’exploitation des matières premières africaines aux idées de malédiction des ressources naturelles (croissance plus faible et taux de pauvreté plus élevé que ceux des pays voisins) et de syndrome hollandais (atrophie des secteurs autres que le secteur extractif).
Il faudrait explorer la piste de la transformation sur place pour retrouver de la valeur dans les économies exportatrices, au risque de perdre des avantages comparatifs.
La faible part de l’Afrique dans la transformation est souvent illustrée par l’exemple du chocolat. Le continent dans son ensemble ne contribue qu’à 1,3 % des exportations mondiales de ce produit tandis que la Côte d’Ivoire fournit 40 % du cacao mondial et le Ghana 20 %.
La possibilité d’une transformation sur place pour réduire la part des produits finis importés dans les balances commerciales africaines intéresse donc la Cedeao dont Kalilou Traoré, son commissaire en charge de l’industrie et de la promotion du secteur privé, a annoncé en 2017 l’objectif de doubler d’ici à 2030 le taux de transformation des matières premières et même de « décupler le volume des exportations de produits manufacturés ».
Il n’est cependant pas évident d’identifier des ressources à traiter par une industrie nationale de transformation tant cette évolution implique des investissements productifs qui augmentent le prix de revient.
Or, les cours du café et du cacao demeurent bas et n’encouragent pas l’investissement dans des infrastructures de transformation, d’autant que la productivité du travail agricole est faible et progresse lentement selon la FARM (Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde) qui a contribué au rapport Arcadia et a rappelé par la voix de son directeur, Jean- Christophe Debar, que l’accroissement de la production agricole se fait de manière extensive par celle des surfaces cultivées.
Il faudrait alors compter sur les minerais et métaux pour faire progresser le taux de transformation, mais d’autres limites se présentent alors comme le montre le cas de la bauxite : produire de l’aluminium, par exemple en Guinée, pays détenteur des plus importantes réserves mondiales de ce minerai, implique d’entrer sur un marché où la Chine est le principal concurrent avec presque 50 % de la production mondiale en 2017, selon la World Steel Association.