En constatant la recrudescence du phénomène migratoire, l’on est frappé par une désagréable intuition d’impuissance devant une si meurtrière entreprise. Celle-ci, au fil des années, à la consternation générale, s’est routinisée. Les pertes en vies humaines sont énormes : des morts à n’en plus finir. Et, subséquemment, plusieurs familles se sont disloquées, une partie de notre humanité extorquée par l’océan.
TRIBUNE – Les communautés politiques, pourrait-on dire, se maintiennent grâce à des espoirs et attentes moulus dans des imaginaires et des discours. L’espoir est une utopie, un imaginaire d’un lendemain meilleur, une possibilité de faire abstraction à un quotidien inextricable. Pour quelqu’un qui l’a, même dans l’indigence, il continuera de s’accrocher à la vie, pensant que demain sera meilleur. Quand on le perd, hélas, toutes les cartes sont à jouer. Celles-ci, généralement, sont mortifères. La question de l’espoir, de ce cette prospective, avec acuité, se pose. Le drame est que nous l’avons perdu, car rien a été fait pour le garder. Il s’est, dès lors, expatrié vers des ailleurs aussi exotiques que hypothétiques. Il faut le rapatrier, et vite !
L’utopie de l’espoir, pour parler comme Françoise VERGÈS, est émancipatrice. Elle extirpe des carcans d’une vie indécente, qui a grandement besoin d’être améliorée à la mesure de l’homme. L’auteure de Un féminisme décolonial écrit : « L’utopie, c’est ce qui déchire la trame d’un temps qui se veut immuable, inaltérable, c’est un récit qui parle d’un espoir, d’une attente, qui porte une vision pour l’avenir. Elle fait entrevoir quelque chose qui n’existe pas encore, elle préfigure ce qui n’est pas encore. Elle parle d’un espace libre, ouvert, terrestre, planétaire et immatériel qui se traduit concrètement. L’utopie, ce sont des contre-récits qui contribuent à produire un régime d’historicité qui échappe à une mélancolie mortifère, qui portent en eux un devenir historique. C’est un temps qui s’élance » (« Utopies émancipatrices », in Achille MBEMBE et Felwine SARR (dir.), Écrire l’Afrique-Monde, Phillipe Rey et Jimsaan, 2017, p. 200).
Phillipe Braud nous enseigne que l’activité politique (ou la gouvernance d’un pays) repose fondamentalement sur deux choses : il faut des « actions sur le réel » ou des « actions sur les représentations du réel. » C’est dire que quand un gouvernement est incapable d’éradiquer la pauvreté de ses citoyens – encore faut-il s’en rougir –, il n’a qu’à changer les représentations que ceux-ci se donnent sur leur pauvreté, sur leurs conditions d’existence. L’État, même impuissant devant le phénomène, doit continuer à se donner bonne figure, à essayer de créer un futur, un devenir, un récit. Il faut constamment entretenir l’espoir, le ramener à la maison quand il découche, le garder en lieu sûr, à l’abri de ce qui peut le corrompre ou le travestir.
L’urgence est de continuer de se donner de l’espoir, des imaginaires, de l’imagination, des rêves, des futurs, des devenirs, pour vivre, malgré tout. Car vivre est l’unique solution. Le régime actuel, plébiscité par les jeunes, a la grande responsabilité de faire face, avec efficacité, à ce meurtrier exode massif. La première mesure serait de faciliter, grâce une diplomatie conquérante et respectueuse de notre prestige traditionnel sur la scène internationale, une meilleure circulation, dans le monde, de nos concitoyens. Parce que le voyage, il ne faut l’oublier, est aussi une activité complémentaire à la formation de l’homme, à sa réalisation, en découvrant d’autres récits du monde et en épousant d’autres humanités.
Baba DIENG, Étudiant en Science politique, UGB, Saint-Louis.
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