Dorénavant, dans certains hôpitaux anglais, les sages-femmes devront éviter d’utiliser “lait maternel”, “mère” ou “père” devant les personnes transgenres pour ne pas les blesser. Au Québec, la Cour supérieur a ordonné au gouvernement de changer des articles de loi jugés discriminatoires envers des trans ou non binaires.
Par Rachel Binhas
INTERNATIONAL – Le changement linguistique est en marche. Au Royaume-Uni, les hôpitaux universitaires de Brighton et Sussex mettent en place une modification du langage dans les maternités pour faire disparaître ce qu’ils estiment être de la « transphobie traditionnelle ».
Ainsi, devant un public transgenre ou non binaire, les sages-femmes sont invitées à remplacer l’expression « lait maternel » par « lait humain » ou « lait de poitrine ».
Pour ne pas blesser les personnes dont l’expression de genre n’est pas en adéquation avec l’identité de genre, les mots « père » et « mère » sont remplacés par « parent » ou « personne ». Et puisqu’on n’arrête pas le progrès, le « service maternité » s’appelle désormais le « service prénatal ».
Dans un document instaurant les nouvelles règles linguistiques, ces hôpitaux universitaires estiment « qu’il existe actuellement un essentialisme biologique et une transphobie dans les récits et les discours traditionnels portant sur la naissance. »
Animés par de bonnes intentions, les professionnels de la santé poursuivent : « Nous nous efforçons de protéger nos utilisateurs de services trans et non binaires et nos professionnels de la santé contre des persécutions supplémentaires en raison des changements de terminologie. »
Si ces adaptations du langage sont une première dans le pays, en France, certains professionnels craignent l’importation de ces nouvelles normes. « Il s’agit de gommer les choses naturelles, et ce genre de modifications linguistiques arrivera en France, les changements de mentalité vont vite », s’inquiète Delphine de Riberolles, sage-femme depuis une quinzaine d’années, à Paris.
« La tendance actuelle est de dégenrer les individus », ajoute-t-elle. Si elle explique s’adapter lorsqu’elle est éventuellement en face d’un individu transgenre, elle refuse de transformer le réel. Et conclut : « Restons simples, avec de vrais repères ».
Code civil modifié
Chez nos cousins québécois, une étape supplémentaire a été franchie le 28 janvier dernier.
La Cour supérieure du Québec a rendu une décision ordonnant au gouvernement de modifier, avant la fin de l’année, plusieurs articles du Code civil du Québec jugés discriminatoires pour les personnes trans ou non binaires.
Le juge Gregory Moore, nommé par le gouvernement de Justin Trudeau, a donné raison aux plaignants, et notamment au Centre de lutte contre l’oppression des genres. En effet, dans sa décision en anglais, le juge a considéré que le processus de changement de sexe sur l’état civil devait être facilité.
De plus, il exige que l’état civil ne se limite pas aux catégories « homme » et « femme », et propose une autre option…
Pour la Cour supérieure du Québec, le fait que trois articles du Code civil identifient le parent d’un enfant comme son « père » ou sa « mère » « violent la dignité et le droit à l’égalité » de ce parent si celui-ci se sent non binaire. La conception des individus doit donc reposer sur la notion d’identité de genre, et ce, même au sein de l’état civil. Pourtant, l’idée apparaît floue.
Rhéa Jean*, philosophe québécoise et militante féministe depuis près de 20 ans observe depuis des années l’évolution des revendications transgenres dans le pays.
À la lecture de cette décision, elle s’interroge : « Pour ces militants, l’identité de genre nous définirait et irait en contradiction avec la mention de sexe. Or, même le jugement de la Cour supérieure du Québec n’est pas capable de définir l’identité de genre, si ce n’est par une définition circulaire : « le genre fait référence au genre qu’une personne ressent intérieurement » (alinéa 2). On ne sait toujours pas ce que c’est le genre ! Qu’est-ce que ce ressenti ? Même si on ne sait pas ce que c’est, l’identité de genre est néanmoins une « caractéristique immuable » (alinéa 106). » Et de poursuivre : « En quoi les informations factuelles sur le sexe des personnes seraient discriminantes envers les personnes trans ou non binaires ? En quoi des informations factuelles peuvent-elles porter un élément de jugement moral ? » Quand même le biologique doit être évacué, trouver du commun devient une tâche peu aisée.
« Morcellement du corps, donc, mais aussi morcellement du tissu social. L’individu se perçoit à l’intérieur de sous-groupes identitaires (non-binaire, gender queer, sans genre, demiboy, etc.) vaguement définis par des idées superficielles », souligne Rhéa Jean.
Selon elle : « on cherche à nous imposer l’utilisation de pronoms pour chacun de ces groupes identitaires ou à la demande individuelle de chacun, on nous impose des nouveaux termes comme ‘cis’, on change la définition des mots comme ‘femme’, ‘homme’. C’est inquiétant car la communication se brise. »