Paris et Washington s’inquiètent de plus en plus de la perspective de la candidature du président sortant Macky Sall pour un troisième mandat consécutif à la tête du Sénégal, selon Africa Intelligence qui indique dans un article publié ce jeudi 2 mars 2023 qu’Emmanuel Macron s’en serait ouvert au Sénégalais qui est resté “évasif” sur le sujet non sans lui faire savoir que ses pairs de la CEDEAO verraient d’un bon œil qu’il rempile pour raison de “stabilité” de la sous-région.
POLITIQUE – S’il y a une élection, voire une année pré-électorale, qui sera suivie de près par les chancelleries étrangères, particulièrement par les pays “amis” ayant de gros intérêts au Sénégal ou nourrissant des ambitions commerciales, notamment pour le pétrole et le gaz, c’est celle sénégalaise de 2024, dont pas un seul Sénégal ne sait en ce mars 2024 qui en seront les candidats.
Certes les déclarations de candidats à la candidature de la joute présidentielle prévue le 25 février 2024 se multiplient, encore qu’il faille attendre le verdict du Conseil constitutionnel pour être fixé, mais le flou persiste et le Présent Macky Sall ne fait rien pour lever le coin du voile, ouvrant ainsi la porte à toutes les supputations, mais encore vicie la tension politique et sociale, le climat des affaires.
Marqués par les émeutes de mars 2021 facilitées par ailleurs par le confinement lié à la Covid-19 déclarée début mars 2020 au Sénégal, ballotés et troublés par l’affaire Ousmane Sonko vs Adji Sarr non encore vidée, les Sénégalais qui n’attendaient certainement pas pour ne pas dire n’attendent pas simplement du Président Macky Sall qu’il leur vende un nouveau son de cloche après leur avoir, d’abord promis en 2012 de réduire son premier mandat de 2 ans pour le ramener de 7 à 5 avant de laisser le Conseil constitutionnel en décidait, ensuite, appelé à voter oui au référendum de mars 2016 en leur disant et répétant qu’il ne sera pas concerné par la présidentielle de 2024 puisque le verrou “nul ne peut faire plus de deux mandats consécutif” commençait par s’appliquer à lui-même.
Il peut toujours faire comme Me Abdoulaye Wade, qui après avoir dit en 2007 qu’il ne serait pas candidat en 2012, se dédisait en 2011.
Pour en revenir à Paris, Africa Intelligence renseigne que si rien n’a filtré de la rencontre Macron-Sall le 31 janvier dans la capitale française, sinon des bribes officielles selon lesquelles il aurait été question de “relations bilatérales entre Paris et Dakar, du Sahel, ainsi que de l’adhésion de l’Union africaine au G20“, la question du troisième mandat, elle, a quand même été évoquée.
“Dans les faits, c’est pourtant l’épineux sujet d’un troisième mandat de Macky Sall, dont la perspective apparaît de plus en plus probable aux yeux des chancelleries occidentales, qui a dominé les échanges entre les deux présidents”, dit Africa Intelligence. En effet, il serait étonnant que Macron n’interroge pas son homologue sur ses ambitions personnelles vis-à-vis de la présidentielle de 2024, voire ne le sensibilise pas sur les possibles qui s’offraent à lui sur la scène internationale.
“Emmanuel Macron a pu étayer son argumentaire avec un exemple que connaît bien Macky Sall : celui de l’ex-président sénégalais Abdou Diouf. Après son départ de la présidence en 2000, il avait été élu secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie(OIF), en 2002″, écrit Africa Intelligence.
Pour le titre, “Emmanuel Macron tente de convaincre Macky Sall de renoncer à un troisième mandat”.
VRP et premier défenseur des investissements et intérêts français au Sénégal et ailleurs dans le monde, particulièrement en Afrique sa vache laitière, le président de l’hexagone qui rappelle le gros de ses troupes armées sur le continent, ne peut rester insensible à la tension politique au Sénégal, figure de la démocratie en Afrique, quand bien même le Cap-Vert et le Niger lui feraient aujourd’hui la leçon sur le sujet.
Pour autant, Macron ayant appris de la leçon ouest-africaine ne se mêlera pas des affaires intérieures sénégalaises. Aucune ingérence, comme le faisait jadis la France sur le sol africain. Les nouvelles jeunesses africaines y étant certainement pour quelque chose, en plus des putsches revenus à la mode dans cette partie du continent.
Le grand écart devient la nouvelle manœuvre française. Ni condamnation ni faveur de l’Elysée selon Africa Intelligence pour un troisième mandat criés tous les toits de la mouvance présidentielle sénégalaise. Enfin pas tous, l’Union des forces citoyennes de Benno Bokk Yakaar dirigée par Alla Dieng s’étant déclarée candidat à la candidature de la coalition pour la présidentielle de 2024 non sans faire allusion au domino Poutine-Medmedev.
La “prudence” est donc de mise côté Elysée. Cependant, il faut être naïf pour croire que Paris n’agira pas de tout son poids, en fonction de la destination que prendra la météo à moins de 12 mois de la présidentielle sénégalaise, même si elle avance qu’elle se mettra du côté des organisations régionale (UA) et sous régionale (CEDEAO). L’exemple Ouattara est là pour s’en convaincre, même si le Sénégal n’est pas la Côte d’Ivoire.
Washington s’inquiète aussi
Outre Paris, Washington s’intéresse aussi à la question non sans échanges avec les Français dit Africa Intelligence. “Le Quai d’Orsay a évoqué le sujet à plusieurs reprises avec le Département d’Etat américain, ces dernières semaines. Si pour Paris, de nombreux signaux laissent à penser que Macky Sall pourrait selon toute vraisemblance briguer un troisième mandat en 2024, Washington continue d’espérer qu’il puisse y renoncer.”
“La diplomatie US reste très marquée par les émeutes de mars 2021 après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko. Or ce dernier a multiplié les appels à faire barrage à toute future candidature de Macky Sall”, étaye le titre. Comme pour lui donner raison, le leader de Pastef s’est adressé récemment dans une longue lettre ouverte à la Communauté internationale, clouant au pilori le chef d’Etat sénégalais.
Africa Intelligence souligne qu’une partie de la société civile sénégalaise est en “contact avec le National Democratic Institute (NDI), une ONG proche de l’establishment démocrate, qui finance et encadre une myriade d’acteurs de la vie publique africaine, parmi lesquels l’ONG Tournons la page“.
“Cette dernière a fait de la limitation des mandats présidentiels sur le continent l’une de ses priorités. La situation au Sénégal est également scrutée de près par l’Africa Center for Strategic Studies (ACSS), un think-tank rattaché au Pentagone”, précise le titre indiquant qu’une publication datant d’août 2022, jugeait la perspective d’un troisième mandat du président Sall “inconstitutionnelle” et “risquée pour le pays”.
Washington a tout de même plusieurs raisons pour porter une attention particulière à la présidentielle. D’abord celles démocratiques, mais surtout celles sécuritaires entrant le cadre de la nouvelle géopolitique se dessinant avec la présence marquée et remarquée de la Russie, la Turquie, voire l’Allemagne, en plus des partenaires français et chinois.
Accusant un retard non négligeable et distancé par l’ogre chinois, les Etats-Unis redoutent de plus la présence russe dans certaines parties du continent lui donnant la possibilité d’avoir d’accès á l’Atlantique et au Pacifique. Outre les raisons démocratiques, commerciales, celles militaires s’imposent à Washington qui ne peut pas “laisser faire”.
Des officines soutiennent que Langley a fait savoir à l’administration Biden que Dakar “devenu central et est à surveiller de très près”. Il se dit même que la CIA a conseillé une grande antenne à Dakar du fait de l’insécurité grandissante dans le Sahel et de la présence de plus en plus visible des Russes. Les positions de Bamako (Mali) et Ouagadougou (Burkina Faso) vis-à-vis de la France expliquent certainement les discussions entre Paris et Washington. La question est de savoir jusqu’où Washington va aller si jamais le Président Macky Sall décide de se présenter pour un troisième mandat.
En 2011, face aux risques de tensions électorales, le Département américain avait placé le Sénégal sur liste rouge, du 16 janvier au 2 mars 2012. Les temps ont changé depuis. La situation dans la sous-région n’est plus la même et les Américains ont besoin de garantie pour la stabilisation de la région. Eux aussi mettront la pression en fonction du vent politique.
Enfin la CEDEAO
Pour Africa Intelligence, l’Elysée voit Macky Sall faire aussi bien que le Nigérien Isssoufou et se présenter comme la “figure à même d’incarner l’alternance démocratique en Afrique de l’Ouest. Un rôle aujourd’hui occupé quasi exclusivement par l’ex-chef de l’Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, ardent défenseur d’une limitation à deux mandats pour les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDAO)”.
Mais qui en Afrique, particulièrement en Afrique de l’Ouest ne se cramponne pas au pouvoir. Les chefs d’Etat de la sous-région rivalisent d’ardeur pour rester au pouvoir et jouir de leurs privilèges dont les soins pliés en quatre pour assurer leur bonne longévité.
Défenseurs de la démocratie, de l’alternance, du respect de la Constitution, de la limitation des mandats quand ils sont dans l’opposition, une fois au pouvoir, les ex-opposants et inamovibles chefs d’Etat sont les premiers à faire charcuter la Constitution pour se maintenir aux affaires.
Se reconnaissant entre eux, certains ne manqueront pas d’être heureux de voir le Président sénégalais briguer un troisième mandat et casser par la même occasion la dynamique impulsée sur les limitations de mandat à deux.
Interrogé par Emmanuel Macron sur ses intentions, Macky Sall est resté évasif, selon Africa Intelligence qui souligne que le Sénégalais s’est rangé derrière la position de ses pairs de la CEDEAO qui souhaiteraient le voir rempiler pour des raisons sécuritaires. Probablement parce qu’ils sont les seuls à avoir des solutions pour assurer la “stabilité de la région”.
C’est ainsi que nous apprenons qu’Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé, de vrais contre-exemples, verraient d’un bon œil une “réélection de Macky Sall”. Ce qui n’aurait rien de surprenant. La surprise pouvant plutôt venir de l’ami et président Bissau-guinéen actuellement à la tête de la CEDEAO. Umaro Sissoco Embalo qui s’est exprimé plusieurs fois contre la pratique du troisième mandat au point de s’être fait des inimitiés en 2020 dans l’autre Guinée, en la personne d’Alpha Condé débarqué, doit se sentir mal à l’aise dans ses bottes.
Se réclamant le “petit-frère” du Président Sénégalais auprès de qui il a “beaucoup appris” et avec qui il “collabore activement” sur plusieurs dossiers en particulier celui de la rébellion casamançaise, Embalo est cependant celui qui a rencontré en 2022 Ousmane Sonko à Dakar. Certes, rien n’avait filtré de cette rencontre, mais il serait naïf de croire que cette rencontre s’était faite sans la bénédiction du “grand-frère”, sans briefing et debriefing
Le légaliste, le président du Niger, Mohamed Bazoum, se retrouverait dans une situation inconfortable, ce d’autant qu’une candidature de Macky Sall “mettrait plus que jamais à mal les projets portés par la CEDEAO” sur le nombre de mandats successifs, dit Africa Intelligence. Autrement dit, c’est toute la sous-région, voire le continent dont Macky Sall était le président jusqu’à la première semaine de février, qui attendent de voir ce qu’il va décider. Quant aux Sénégalais, ils auront à coup sûr le dernier mot, à moins que …
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