Le pape sera-t-il l’unique dirigeant à réussir l’exploit de sortir gagnant de la crise du Covid-19 ? Sa célébration du 27 mars, une prière pour la fin de la pandémie, a suscité un record d’affluence sur le site du Vatican. Et ce mouvement s’est encore accéléré avec la semaine sainte et le week-end de Pâques.
RELIGION – “Avec l’apparition du Covid-19, l’Eglise aurait pu disparaître totalement des radars”, pointe le vaticaniste Marco Politi, auteur de “la Solitude de François”, un essai paru ces jours-ci en France. “Cette crise présentait au départ le risque de consacrer le seul triomphe de la science et de la politique ; mais le pape a repris les rênes et il a reconquis tout l’espace !”.
Première intervention inédite de l’évêque de Rome : sa sortie sur les trottoirs déserts de la via del Corso, en plein centre de Rome, le 15 mars. Il se rend en pèlerinage à l’église San Marcello où se trouve le crucifix “miraculeux” utilisé au temps de la “grande peste” de Rome, en 1522.
Hécatombe subie par le clergé en Italie
Le 27, c’est sur une place Saint-Pierre désespérément vide que le pape réapparait, sous une pluie battante, ce même crucifix placé sur l’autel. “Nous avons tous été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse”, entame-t-il lors de cette exceptionnelle bénédiction urbi et orbi, une initiative qu’il a décrétée pour implorer la fin de la pandémie et rendre hommage aux médecins, personnels soignants, vendeurs, bénévoles, religieux, policiers, “ces saints de la porte d’à-côté”, comme il les nommera plus tard. Onze millions de personnes le suivent en direct.
“Dans cette situation jamais vécue auparavant dans toute l’histoire de l’humanité, il s’est fait le messager d’une présence très vivante et concrète de l’Eglise à la souffrance du monde. Et par ses mots simples et sincères, il a su toucher les gens”, commente pour Marianne le père jésuite Federico Lombardi, longtemps le porte-parole du Vatican.
Que le pape et l’Eglise catholique sortent spirituellement renforcés de cette épreuve lui parait évident. Et d’autant plus face à l’hécatombe que subit le clergé, en Italie surtout. Plus de 100 prêtres, dont le quart dans le seul diocèse de Bergame, sont déjà décédés des suites du coronavirus.
Un “leadership global” ?
Mais c’est aussi politiquement que ce pontificat pourrait bénéficier d’un second souffle dans l’après-pandémie. Tout d’abord en interne : dans l’Eglise et à la curie, son gouvernement central.
Le pape y compte de nombreux opposants issus des rangs les plus conservateurs des épiscopats américains et européens, des milieux hostiles à certaines de ses avancées doctrinales, comme à ses engagements concernant l’islam, les migrants, l’économie.
Or, ces opposants ne jouissent désormais plus de la même liberté de s’exprimer. Et encore moins de la possibilité d’instrumentaliser les scandales de pédophilie laminant l’Eglise, comme ils le faisaient régulièrement depuis 2018.
En ce domaine aussi, le pape peut jubiler ces jours-ci. La décision de l’acquittement, le 7 avril dernier, par la Haute Cour de Justice d’Australie, du Cardinal George Pell, le numéro 3 du Vatican, constitue une autre bonne nouvelle ; elle est une arme de moins aux mains de ses adversaires.
Ce pontificat bénéficiera-t-il d’un même élan, sur le plan international ? L’économiste et jésuite français Gaël Giraud en est convaincu.
“Car le monde vient de prendre conscience qu’en face de la déroute quasi totale de nos dirigeants politiques, il y avait là au contraire un vrai chef d’Etat, un homme capable de poursuivre ce positionnement de leadership global dont il avait déjà témoigné, par exemple à travers son encyclique de 2015 sur l’écologie, Laudato Si !”. Un texte “véritablement visionnaire” selon lui.
Mgr Celestino Migliore, le nonce apostolique en France, donc le représentant du pape auprès de l’Eglise et de l’Etat dans l’Hexagone, distingue lui aussi en François, a fortiori en cette période, “un leader à la fois lucide et créatif ; et un leader qu’il est particulièrement fier de servir”.
Solidarité de l’institution catholique
Originaire du Nord de l’Italie, le diplomate ecclésiastique met en avant la parfaite gestion de la crise par le pape. Le Vatican a d’une part été l’un des premiers Etats dans lequel le confinement a été décrété ; d’autre part, il faut également mettre au crédit de l’évêque de Rome l’observation scrupuleuse, par l’Eglise, de l’ensemble des mesures prises par les autorités civiles italiennes pour répondre à la tragédie frappant de plein fouet la péninsule.
La responsabilité de l’institution catholique et sa totale solidarité vis-à-vis de l’Italie, ses malades, ses médecins et personnels soignants a ému tout le pays. Elle s’est assortie de dons débloqués en urgence par le pontife pour l’achat de matériel et d’équipement à destination des hôpitaux italiens.
Mais des largesses, gages de sa diplomatie, le pape et son Etat en bénéficient à leur tour eux aussi. De Chine, où le Saint-Siège avait fait acheminer un convoi de fournitures sanitaires, dès le déclenchement de l’épidémie, est parvenue tout récemment dans l’autre sens une cargaison de masques et de gants.
Ces fournitures viennent d’être acheminées à Rome par la Croix Rouge chinoise et l’Hebei Jinde Charities Foundation. Ces jours-ci, elles font de la pharmacie du Vatican l’une des mieux fournies au monde.