PRESIDENTIELLE – Que ses pourfendeurs se le tiennent pour dit : Moustapha Guirassy est et demeure un farouche opposant au régime en place. Le Président du parti des Sénégalais unis pour le développement (SUD) reste persuadé que son ambitieux programme présidentiel va sortir le Sénégal du «gouffre Sall». Homme de convictions et de principes, le candidat déclaré à la prochaine Présidentielle met à nu les carences du pouvoir et propose des solutions. Face à L’Obs, l’enfant de Kédougou n’esquive aucun sujet. La dernière visite économique du chef de l’État dans sa région natale, la mauvaise gestion du pays, les pouvoirs «dictatoriaux» du président de la République et le fichier électoral, tout y passe. Entretien !
Le Président Macky Sall était à Kédougou, il y a quelques jours, en visite économique. Pourquoi vous n’y étiez pas en tant que fils et responsable politique de la localité?
Je ne suis pas allé à Kédougou. D’abord, parce que je n’ai pas été invité à accompagner la délégation présidentielle, comme cela aurait été pourtant normal, en ma qualité de député élu par le département de Kédougou et représentant du peuple. Tout compte fait, c’est un mal pour un bien, car à partir de Dakar, je peux encore mieux prendre à témoin l’opinion nationale et internationale sur les devoirs non remplis par l’Etat en ce qui concerne le fonds minier, avec 6 430.140.620 FCfa pour la part affectée à la région de Kédougou et correspondant aux 20% des montants reçus par l’Etat, sur la répartition de la dotation du Fonds d’appui et de péréquation aux Collectivités locales tirées à partir des ressources annuelles provenant des opérations minières au titre des années 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015.
Malgré un arrêté de l’Etat, ce fonds minier n’a pas été encore versé. Ensuite, il y a le problème de la rupture récurrente de la fourniture en eau potable de Kédougou. Si j’avais été à Kédougou, comme lors du conseil des ministres décentralisé qui s’y est tenu en 2013, sur ma chemise, j’aurais porté une veste traditionnelle bassari. A l’époque, cela m’avait valu des frictions avec le protocole et les gardes du Premier ministre, quand je suis allé l’accueillir à l’aérodrome de Kédougou. Mais, je n’arrêterai pas de réclamer l’équité territoriale et la justice sociale pour les toutes les régions périphériques du Sénégal.
Pourquoi l’opposition continue de dire que les conditions d’une élection transparente et libre ne sont pas réunies, alors que le pouvoir en place semble devenir plus ouvert aux discussions ?
Je me félicite de ce que le ministre de l’Intérieur ait cédé à la demande du Front national de résistance (Fnr-opposition) de nous laisser accéder au fichier électoral, pour le vérifier et l’expertiser. Mais, il faut plus. Il nous faut la liste de tous les bureaux de vote du Sénégal et de la diaspora, avec la liste des électeurs qui y sont rattachés.
En effet, le soupçon de création de bureaux de vote fictifs planera toujours, si cela n’est pas fait. Ensuite, l’inclusion des militaires dans le fichier global est une porte ouverte à la fraude. Nous ne voulons pas nous retrouver avec des centaines de milliers d’ordre de missions décernés prétendument à des militaires, chauffeurs et journalistes, alors que ce sont des stratégies pour entacher la sincérité du vote. Sur toutes ces questions, et à l’absence d’une personnalité neutre à la tête du ministère en charge des Elections comme nous n’avons cessé de le réclamer, j’interpelle solennellement la Cena. Ils se comportent en intermittents des élections. On ne sent pas la Cena, qui devrait être active en amont du processus électoral, et pas seulement pendant l’élection.
Le front social est en ébullition (santé, éducation…). Le problème de trésorerie serait-il la seule fausse note ?
Les acteurs sociaux ont raison d’être en colère. La stratégie de gestion du pouvoir du régime du chef de l’Etat sortant, Macky Sall, c’est d’opposer les Sénégalais en catégories et de les segmenter comme un commercial fait de ses clients potentiels, entre ceux qui ont le plus grand pouvoir de nuisance et ceux qui en ont le moins.
Il cherche systématiquement à sauter le maillon de ceux qui fournissent l’offre de services ou de biens et à les prendre en otages, pour essayer plutôt de flatter les usagers finaux. C’est ainsi que son Gouvernement a diminué les tarifs des restaurants universitaires et augmenté l’offre de lits pour les étudiants, alors que les enseignants sont laissés en rade.
Dans le secteur de la santé, c’est pareil, on brandit la généralisation de la Couverture maladie universelle (CMU) pour tous, sans satisfaire les revendications minimales d’exercice de leur profession par les personnels de santé. C’est une vision à courte vue. Il a multiplié par quatre les bénéficiaires des bourses familiales, pour les porter à 400 000, quand la dette intérieure due aux entreprises n’est pas payée à temps. Il ne fait que différer la reddition de comptes. Le moment de vérité viendra.
M. Guirassy, dans votre programme de «candidature à la candidature» à la Présidentielle 2019, vous avez mis en avant le slogan «Sénégal en tête (Set) : La grande marche !». Pensez-vous pouvoir relever le défi en 2019, comme Emmanuel Macron l’a fait en France, en arrivant à la tête de son pays, surprenant ainsi tous ?
Ce slogan, en lui-même, est tout un programme ! Notre pays mérite d’être en «tête» du peloton des pays en route vers la vraie Emergence. Je ne parle pas de «l’Emergence» de slogans qui nous est proposée depuis 7 ans, mais d’une émergence qui fasse du citoyen sénégalais le centre des préoccupations des politiques publiques promues par la République de nos ambitions. Je constate, avec tristesse, que le Sénégal a perdu son «leadership» naturel en Afrique. Nous ne sommes plus leaders dans le domaine diplomatique ; notre voix se fait moins entendre dans le «Concert des Nations». Nous n’arrivons plus à être au centre des enjeux qui traversent le monde d’aujourd’hui : réchauffement climatique, fracture numérique, intelligence artificielle et autres opportunités que pourraient apporter tous ces leviers tournant autour des métiers de la «Nouvelle économie».
Quelle est la nouvelle alternative que Moustapha Guirassy compte proposer aux Sénégalais pour espérer bénéficier de leur suffrage le 24 février 2019 ?
Ce que je voudrai que mes compatriotes comprennent, c’est que leur destin, en tant que Nation, est entre leurs mains ! Que rien, ni personne ne peut se mettre en travers de la trajectoire qu’ils auront décidé de donner à l’avenir de notre pays.
Je voudrai qu’ils interrogent, avec objectivité, la Citoyenneté-leur citoyenneté-en se rendant compte que c’est le socle de tout ce que nous pourrions construire, ensemble, pour faire notre République forte et capable de défendre l’intérêt général et de protéger les plus faibles d’entre nous ! La «marche spirituelle» est longue et parsemée d’épreuves. Elle va nous mener à modeler en nos personnes et nos caractères le «citoyen» qui construira la République ambitieuse que je leur propose !
C’est le concept de «Grande Marche» qui sous-tend la campagne que j’anime depuis ma déclaration de candidature à la présidence de la République. «La Grande Marche; pour un Sénégal En Tête».
Vous aurez remarqué, évidemment, l’acronyme «SET» qui veut dire «propre» en Ouoloff. Ma vision politique se résume à cet encouragement à ne pas croire qu’il y a des changements à attendre de la situation politique, économique et sociale de notre pays, sans consentir des efforts importants. «La Grande Marche» vers la Probité demandera beaucoup à chacun d’entre nous !
Mais, à la fin, par la grâce du Seigneur, nous obtiendrons un substrat socioculturel complètement différent de ce qui fait le Sénégal d’aujourd’hui; le Leadership de la Foi. La Foi en soi, chez chacun des Sénégalais. La Foi en notre commune envie de vivre et de nous développer ensemble. La Foi en nos institutions et en leur capacité à défendre l’intérêt général en nous protégeant des dérives des particularismes et des intérêts particuliers. La Foi en notre République et à la force de sa voix dans le concert des Nations du monde global d’aujourd’hui.
«La Grande Marche» mènera à la nouvelle citoyenneté qui s’adossera au «Leadership de la Foi». C’est cela l’alternative que je propose à mes concitoyens pour que se fasse la prochaine alternance.
Vous insistez dans votre projet de société sur l’urgence d’une réforme constitutionnelle et une armature institutionnelle moderne, avec la nécessité de rompre avec le présidentialisme, surtout promouvoir un nouveau modèle de démocratie avec un contrôle citoyen réel. Comment réussir à mettre en pratique cette vision salvatrice au Sénégal ?
Il y a unanimité chez les spécialistes de la politique au Sénégal pour dire que l’institution qu’est la «Présidence de la République» a trop de pouvoirs par rapport aux autres composantes de l’architecture institutionnelle de notre Constitution. C’est une évidence ! Les Assises nationales avaient, lors de la dernière alternance, fait des recommandations fortes à ce sujet. C’est essentiellement autour de cette réforme constitutionnelle que s’organisera la «nouvelle démocratie» dont a besoin la République de nos rêves.
Pourquoi M. Guirassy continue son opposition au Président Sall, alors qu’il semblerait qu’il vous veut à ses côtés pour l’accompagner à bâtir un Sénégal émergent pour tous ?
(Rire amusé). Vous m’en apprenez des choses ! Je pense que beaucoup de ce que vous dites relève plus de cette «politique-fiction» qui pollue beaucoup le landerneau. Je suis résolument dans l’opposition au régime du Président Macky Sall et concentré sur les objectifs politiques de mon parti pour la Présidentielle de février 2019. Ce, en ne me laissant pas divertir par des conjectures qui sont loin des difficultés vécues, au quotidien, par les Sénégalais.
Vous faites partie des onze (11) candidats à la candidature de la Présidentielle de 2019 qui exigent au Président Macky Sall à renoncer à la signature de la convention d’exploitation des mines de fer de la Falémé. Pourquoi nourrissez-vous de telles craintes ? N’avez-vous pas confiance au Président Macky Sall qui, selon certains, est en train de bien défendre les intérêts du Sénégal ?
J’ai souscrit à cette initiative d’opposition à la signature de la convention d’exploitation des mines de la Falémé pour une raison de principe d’une grande simplicité ; un homme, fût-il président de la République, ne peut engager toute une Nation -à quelques mois de la fin de son mandat- dans l’aliénation de ses ressources naturelles pour plusieurs décennies. Tout cela sans aucune concertation. C’est la preuve que le président de la République dispose de beaucoup trop de pouvoirs dans le fonctionnement de nos institutions.
Aujourd’hui, les forces de l’opposition sont dispersées. Chaque opposant pense qu’il présente le meilleur profil pour arriver à imposer une deuxième alternance au Sénégal. Pensez-vous que ces intérêts personnels pourront vous offrir les chances d’écarter le Président Sall ?
Je ne suis pas dans une logique pernicieuse de profiter des désaccords de l’opposition pour «jouer une carte personnelle» du point de vue politique. Mon offre politique s’inspire d’une analyse claire de la situation du Sénégal, de ses difficultés et des enjeux qui traversent notre société. La vision de la «Longue Marche», de la nouvelle Citoyenneté et surtout de l’intégration du paradigme de la «Complexité» dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques devraient nous mener vers la «Transformation sociale» de la République de nos ambitions. Cela est ma seule priorité ! Je n’en ai aucune autre.
Que pensez-vous du projet de loi portant sur les restrictions sur les réseaux sociaux ?
C’est une question qui me tient particulièrement à cœur, car j’ai eu à gérer cette problématique en tant que ministre de la Communication et des télécommunications, en charge notamment des Tic. Je le dis d’emblée : l’accès à Internet est aujourd’hui un droit de l’homme et l’Internet 2.0, les réseaux sociaux, est indispensable pour rendre possible et effectif l’exercice de beaucoup d’autres droits humains. Un projet de loi portant restriction sur les réseaux sociaux, est un projet malencontreux, néfaste et indigne d’un pays démocratique. En revanche, les géants des applications comme Facebook qui est propriétaire de WhatsApp, et c’est ce que je propose dans mon programme présidentiel, doivent contribuer aux recettes de nos Etats.
Que vous inspire la sortie du Pr Macky contre Amnesty et certains organismes de la société civile?
Je dis au chef de l’Etat sortant qu’il est encore le gardien de la Constitution pour trois mois. A ce titre, il a encore le devoir de ne pas diviser les Sénégalais. Je lui dis, en sa qualité d’ancien opposant – statut qu’il a manifestement oublié, tout comme il a oublié que tout mandat a une fin – que les exigences démocratiques qu’on réclame quand on est dans l’opposition doivent, à bon droit, nous être opposées quand on est au pouvoir : quand la Raddho marchait avec lui en 2011, il n’a pas trouvé cela scandaleux.
Amnesty est dans son droit de participer à des marches quand il s’agit de défendre des libertés publiques. Amnesty est dans son droit de faire des déclarations pour défendre des acteurs politiques, quand il y a violation flagrante des libertés individuelles. Nous avons au Sénégal la chance, unique en Afrique francophone subsaharienne, d’avoir une société civile forte et impartiale, aussi essentielle à la stabilité du pays que le sont les régulateurs sociaux que sont nos chefs religieux. Personne ne doit remettre cela en question.
L’Onu remet en cause le jugement de la Crei, notamment sur l’affaire Karim Wade. Mais le ministère de la Justice du Sénégal ne semble pas être lié à cela. Vous en dites quoi?
Le Comité des droits de l’homme et son groupe de travail composé d’experts indépendants qui ont rendu cette décision, et je dis bien décision, sont rattachés au Haut-Commissariat des Droits de l’Homme de l’Onu. Ils ne sont donc pas un électron libre, dont on pourrait faire peu de cas.
Le Gouvernement en place fait dans du dilatoire et de la querelle sémantique. L’appartenance du Sénégal à l’Onu lui enjoint de mettre en œuvre cette décision des Nations-Unies, qui a une valeur à la fois juridique et diplomatique.
Si nous voulons conserver notre crédibilité internationale, notre Etat doit le faire. Au surplus, il est évident pour toutes les personnes de bonne foi que les conventions internationales signées par le Sénégal lui interdisent de faire fonctionner une juridiction qui n’a pas de degré d’appel ou qui fait incomber à l’accusé la charge d’apporter la preuve de son innocence, comme l’est la Crei. La Charte universelle des droits de l’Homme, signée par le Sénégal, suffit à l’interdire.
L’Enseignement supérieur privé et l’Etat mènent un bras de fer depuis quelque temps. Quelle est votre lecture de la situation, en tant qu’acteur du secteur ?
En tant que fondateur et Pdg de l’Institut africain de mangement (IAM), je suis à la tête d’un établissement privé d’enseignements supérieur depuis 22 ans. Dans cette position, j’ai à cœur de mener une action sociale et des bourses y sont accordées aux étudiants méritants ou issus de familles défavorisées, depuis des années, pour un montant pouvant atteindre 50 millions chaque année.
Nous accueillons, depuis le début de ce dispositif, des étudiants boursiers de l’Etat. Et je dois dire que j’ai tenu à ce que ces étudiants ne soient pas renvoyés des salles de classe, lorsque l’Etat n’a pas honoré ses paiements à temps. Je prends acte du ping-pong entre le ministre des Finances et le ministre de l’Enseignement supérieur, l’un demandant à l’autre un audit des 16 milliards FCfa dus aux universités privées, avant de payer. C’est de la cavalerie comptable. Le Gouvernement actuel veut ainsi juste différer des paiements qu’il sait bien nous devoir. Nous ne faisons manifestement pas partie des priorités de ce que le Gouvernement qualifie «d’année sociale».
Mathieu BACALY