ECONOMIE – La mise en examen de Vincent Bolloré ne remet pas en cause la présence de son groupe en Afrique. Dans un marché africain de plus en plus concurrentiel, la contestation contre l’emprise des groupes français s’exprime désormais au grand jour.
Les déboires récents de Vincent Bolloré, placé en garde à vue par le tribunal financier de Nanterre, puis mis en examen sur des soupçons de corruption au Togo et en Guinée en contrepartie de concessions portuaires, sont-ils le prélude à un retrait de l’Afrique ?
Ses menaces déguisées dans la tribune « Faut-il abandonner l’Afrique ? » qu’il a signé dans le Journal du Dimanche du 29 avril, après les révélations faites par Mediapart, Le Monde et Marianne, au sujet de son arrestation ainsi que celles du directeur général du groupe, Gilles Alix, et du responsable du pôle international de Havas, Jean-Philippe Dorent – eux aussi présentés aux magistrats instructeurs le 24 avril dans le cadre d’une enquête pour corruption d’agent public étranger, complicité d’abus de confiance et complicité de faux – pourraient le laisser penser.
Même si les déclarations indignées du milliardaire breton au JDDrelèvent davantage de la communication de crise, elles en ont fait bondir plus d’un. « Il a perdu une belle occasion de se taire », a commenté, lapidaire, l’éditorialiste camerounaise Marie Roger Biloa dans une contre-tribune publiée dans Le Monde intitulée : « Faut-il abandonner Bolloré ? » Quant à l’action Bolloré, elle a immédiatement été sanctionnée en Bourse.
Pourtant, les résultats du groupe en Afrique n’ont jamais été aussi florissants, notamment en Côte d’Ivoire où il vient de réaliser sa meilleure performance sur le continent (137 millions d’euros de chiffre d’affaires) grâce aux activités du port autonome d’Abidjan. « À moins d’être condamné, il est peu probable que Vincent Bolloré quitte l’Afrique du jour au lendemain », prédit Marc Bousquet, le fondateur de Médiatique en Côte d’Ivoire ; l’agence a souvent été amenée à cotôyer la galaxie Bolloré en Afrique de l’Ouest et du centre.
D’une part, parce que le milliardaire breton a pris soin de nommer ses deux fils à la tête des deux principales entités de son groupe. Cyrille est en charge de la division logistique, l’ex-SDV devenue Bolloré Africa Logistics le 1er janvier 2016 ; et Yannick vient de prendre les commandes de Vivendi. «Quelle que soit l’issue de l’enquête en cours, le clan Bolloré restera aux commandes », commente Marc Bousquet.
Mais aussi parce que l’entreprise familiale dont il a hérité et qu’il a transformée en multinationale, depuis qu’il est devenu le principal actionnaire de Vivendi en 2012 (ce qui lui vaut une guerre ouverte dans les médias français à cause de sa main mise sur Canal+), est aujourd’hui investie dans des secteurs clés comme les ports, les chemins de fer ou l’agriculture, sans parler des voitures électriques et de la communication sous toutes ses formes.
2007, l’année où tout a basculé
C’est d’ailleurs cette dernière activité qui lui vaut un ultime déboire. Le fonds américain Elliott a trouvé suffisamment d’alliés pour renverser le pouvoir de Vivendi au sein de Telecom Italia. Son fondateur, le milliardaire américain Paul Singer, qui en voulait à la France depuis ses rachats de la dette en Argentine, au Pérou ou au Congo, ne s’est pas trompé de cible, en faisant chuter Vincent Bolloré en Italie.
La conquête des ports africains a été la bataille de toute une vie avec des hauts et beaucoup de bas, comme le rapportent Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet, les auteurs d’une biographie de l’industriel français, Vincent tout-puissant. Féru d’actions commando, notamment sur le continent où il tutoie la plupart des chefs d’État, Vincent Bolloré, en bon marin breton, a vite compris que « celui qui tient les ports en Afrique tient l’Afrique ! ».
Pas étonnant, dans ces conditions, qu’il ait fait de la logistique et des transports son coeur de métier. L’Afrique, où son groupe est aujourd’hui présent dans 46 pays (sur les 55 dans le monde où Bolloré déploie sa logistique) représente « 25 % de l’activité hors intégration récente de Vivendi avec un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros », selon le dernier bilan consolidé.
Preuve supplémentaire qu’un départ d’Afrique n’est pas envisagé, Bolloré Africa Logistics entend investir 300 millions d’euros en 2018, sur le continent. Devenu la 12e fortune française, ce capitaine d’industrie au long cours a souvent dû se comporter en flibustier.
Par Christine Holzbauer