Chaque établissement de notre pays est un navire de guerre à la tête duquel se trouve un commandant de bord, un capitaine de Vaisseau qui se nomme le chef d’établissement. Il est de notre intime conviction que si nous voulons développer notre système éducatif, il faut impliquer davantage les chefs d’établissement. Ces derniers doivent être placés en avant-plan dans notre échiquier éducatif, ils doivent être mieux formés, mieux outillés et plus responsabilisés. Un système éducatif très centralisé peine à être pleinement efficace.
CONTRIBUTION – Nous sommes à une ère où les informations voyagent à une vitesse vertigineuse. Gérer, c’est anticiper. Agir efficacement demande d’aller droit au but. Plus les véritables centres de décisions sont lointains, plus les risques de prendre de mauvaises décisions se multiplient.
Pour aider les chefs d’établissement du Sénégal à mieux comprendre ce que devraient être leurs rôles dans un système éducatif moderne qui vise la performance maximale, nous lançons cette présente lettre ouverte destinée principalement à une armée de braves laissée souvent à elle-même dans l’exercice de ses fonctions, sans véritable appui à la mesure de ses défis. Notre missive par ricochet s’adresse aussi aux autorités de notre pays qui doivent travailler à avoir une politique éducative cohérente, claire et progressiste qui passe par une implication plus sérieuse des acteurs de premier plan dans le choix des politiques et des orientations en éducation. *
Ô Chefs d’établissement du Sénégal, vous proviseurs, vous principaux de collège et dans une moindre mesure vous censeurs, à vous tous à la fois, nous nous adressons. Vous êtes nos capitaines de Vaisseau, vous êtes les commandants de bord de nos écoles, les Superviseurs des enseignements disciplinaires sans qui nos bataillons en éducation vont en ordre dispersé dans notre guerre sans fin contre l’ignorance et l’obscurantisme. Dans la gouverne de notre éducation, vous devez prendre davantage de place. C’est notre intime conviction.
Depuis des décennies, vous attendez qu’on vous accorde la place que vous méritez véritablement dans notre système éducatif. Eh bien, l’esprit attentiste de la plupart des membres de votre corporation renforce le boitillement de notre éducation. Nous sommes à un tournant de notre histoire où vous ne devez plus attendre qu’on vous fasse plus de place. Vous devez refuser d’être des béni-oui-oui avec qui l’on collabore par injonction. Non seulement vous méritez plus d’écoute et de considération, mais aussi vous avez plus à donner au monde de l’éducation.
Avant d’être des chefs d’établissements, vous étiez des enseignants, ce n’est donc pas à vous qu’on va apprendre les maux de nos écoles. Qu’on aille chercher les meilleurs experts au monde en éducation, leurs connaissances théoriques ne représentent pas grand-chose à côté de vos connaissances du terrain éducatif sénégalais.
Vous savez mieux que quiconque là où notre système éducatif coince. Pour cette raison, et pour d’autres aussi, nous sommes d’avis qu’avant qu’on aille chercher de l’aide à l’extérieur, vous devez être, d’abord et avant tout, consultés et vos avis pris en compte. Chefs d’établissement du Sénégal, devant l’ampleur de vos tâches tout le long de l’année et de vos défis multiples et souvent complexes, savoir naviguer en eaux troubles, soutenir vos troupes, prendre des décisions difficiles sont des exigences liées à votre profession.
Il est de votre rôle de motiver les enseignants, de soutenir les élèves et leurs parents dans leur compréhension de la mission de l’école. Votre leadership doit être les patins à roulettes qui tirent notre école dans la bonne direction, allégeant ainsi les lourdeurs réactionnaires et réfractaires qui retardent la bonne marche de nos écoles.
Globalement, nous ne doutons point de vos capacités à gérer nos établissements, vous y parvenez même tant bien que mal au regard des moyens dont vous disposez et des contraintes financières et organisationnelles avec lesquelles vous devez composer au quotidien dans l’exercice de vos fonctions.
C’est à l’État de vous accompagner dans votre mission, d’abord en vous donnant les moyens de vos ambitions, mais ensuite en vous supportant par des formations continues de courte durée. Celles-ci sont parfois indispensables pour une maîtrise de nouvelles problématiques sans cesse émergentes en éducation. Les formations vous permettent d’être mieux ouillés pour déployer votre vision stratégique, perfectionner vos prises de décision et développer un leadership à la fois mobilisateur et inclusif.
En parlant de votre leadership ici, nous l’évoquons dans une perspective globale; toutefois, nous savons que pour composer efficacement avec les différents acteurs en présence notamment, gérer les relations avec les parents, coordonner les équipes-écoles ou équipes pédagogiques, collaborer avec les élus et autres membres de la communauté, il est nécessaire de combiner plusieurs types de leadership pour être pleinement efficace.
Au demeurant, devant la palette de style et de type de leadership dont a besoin une direction d’école, nous avons noté deux types de leadership qui semblent faire défaut dans les établissements publics du Sénégal à savoir : le leadership pédagogique et le leadership éthique. Le constat que nous faisons de l’absence de ces deux types de leadership dans la plupart de vos établissements, nous le tirons de notre expérience personnelle d’enseignant dans les lycées du Sénégal d’une part, et d’autre part aussi de nos interactions constantes avec une bonne partie des enseignants du Sénégal.
En effet, aujourd’hui, il ne se passe pas une seule journée où nous ne recevons pas le message d’un enseignant du Sénégal qui cherche à prendre contact avec nous ou bien qui réagit par rapport à nos écrits sur l’éducation. Ce qui débouche sur des échanges fort intéressants sur les problèmes et les défis de l’école sénégalaise.
Ce privilège et cet honneur que nous font les enseignants nous remettent au cœur du système scolaire comme si nous étions encore pleinement dans les classes. Pour revenir aux leaderships précités, force est de signaler que dans beaucoup d’établissements du Sénégal, le leadership pédagogique du chef d’établissement est presque inexistant.
La raison est à chercher principalement dans l’effroyable manque de temps auquel vous êtes confrontés devant les urgences et les priorités de l’école. C’est donc au ministère de l’Éducation de trouver les moyens de vous aider à jouer votre rôle de leader pédagogique.
Le chef d’établissement fait preuve de leadership pédagogique en étant attentif au contexte et aux besoins des enseignantes dans son établissement. Il crée au sein de son école une culture qui favorise l’intégration de tous, tout en définissant des attentes d’un niveau élevé en ce qui concerne les résultats visés et la rigueur du travail, la pertinence des activités menées dans un environnement de respect mutuel dans l’école et dans les salles de classe.
Il s’assure que les pratiques d’enseignement sont adaptées au contexte et se fondent sur des évaluations authentiques de l’apprentissage des élèves. Le chef d’établissement doit superviser la mise en œuvre du programme d’enseignement dans l’école et participer activement à sa mise en œuvre.
C’est son rôle de se positionner comme un acteur principal dans le développement professionnel continu des enseignants et de les motiver à se concentrer sur leur enseignement. Il reconnaît l’expertise existante des enseignants, et les incite à améliorer leurs compétences.
Il offre des possibilités de dialogue et de collaboration au sein de son établissement. Bref, tout ce qui précède est loin d’être exhaustif pour camper ici pleinement le leadership pédagogique du chef d’établissement qui est d’une importance notoire pour une meilleure réussite des élèves.
En ce qui concerne le leadership éthique dans nos écoles, l’équation se pose autrement. D’abord, il y a d’une part ce qui relève de l’administration centrale et d’autre part ce qui relève de chaque chef d’établissement en tant qu’individu.
En vérité, toute administration publique qui se respecte doit avoir non seulement une politique liée à son éthique organisationnelle, mais elle doit surtout former, et tenir informer ses agents sur ses propres principes éthiques. En revanche, en ce qui concerne les individus, au-delà de ce qui est prescrit et requis au niveau organisationnel, certaines problématiques éthiques qui émergent sont traitées selon la nature des individus mêmes et non des principes directeurs de l’organisation qui les emploie.
Si, dans l’ensemble du pays, nous avons à la tête des établissements d’enseignement des hommes et des femmes de valeur, il n’en demeure pas moins qu’il existe des chefs d’établissements qui sont des brebis galeuses, des gens à la fois incompétents et irresponsables, des énergumènes spécialistes en maquillage de scènes de crimes, et souvent de connivence avec des agents pédophiles qu’ils couvrent parce qu’ils y ont des intérêts spécifiques.
Au regard de tout ce qui se passe dans les écoles du Sénégal, l’éthique semble n’être une préoccupation de personne dans le fonctionnement de notre éducation. En définitive, nous sommes à un tournant de notre histoire où il nous faut repenser notre système éducatif dans sa globalité, si nous voulons une éducation qui nous ressemble, une éducation capable de porter nos aspirations, une éducation qui reflète nos valeurs et notre vision du monde.
Dans cette perspective, nous demeurons persuadés que vous, les chefs d’établissements en enseignement, vous avez un beau rôle à jouer. Il ne vous manque que d’être adéquatement outillés et de disposer des moyens financiers nécessaires à votre mission.
S’outiller, c’est prendre le temps de s’informer, de suivre des formations sur les problématiques émergentes en éducation. Mais cela ne peut pas se faire si l’on n’allège pas certaines de vos tâches en mettant au moins à votre disposition des ressources humaines de qualité capables de vous suppléer ou de vous accompagner dans l’exercice de votre fonction.
Maderpost