On dirait un pays qui marche par la tête et les pieds en l’air. Dans un Sénégal où près de 70% de la population ne sait ni lire ni écrire que peut-on espérer en matière de démocratie et de respect des droits et devoirs de l’homme ?
TRIBUNE – Cette question nous rappelle d’ailleurs un ouvrage publié au Sénégal et qui a comme titre « comment votent les Sénégalais ? ».
Et il est pourtant dit qu’on vote dans ce pays depuis 1848, et que les Sénégalais ont même envoyé des Cahiers de doléances lors de la Révolution française de 1789. Encore que les doléances des Saint-Louisiens en 1789 n’étaient pas pour l’émancipation mais plutôt pour la réforme du commerce des esclaves sur l’île du Nord.
Ils revendiquaient leur part dans le commerce juteux de la traite négrière. Bref parmi les 30% des alphabétisés sénégalais qui restent de ce lot c’est au maximum 1% qui a lu la Constitution.
Sur ce 1% combien ont vraiment compris le sens et la portée des articles qui y figurent. Il est pourtant dit dans ce pays que nul n’est censé ignorer la Loi. Maintenant si on met à l’écart ces derniers qui ont accès à la Constitution et qui ignorent son contenu, que dire alors du reste qui ne sait ni lire ni écrire.
Il faut également s’intéresser au cas de ces juristes et hommes de droit qui sont chargés de l’écriture ou de l’interprétation des textes juridiques qui, au lieu d’aider à la bonne compréhension des lois et règlements entretiennent le flou à cause de leurs interprétations partisanes et quelque fois fantaisistes qu’ils ont de la Constitution.
Peut-on prendre le cas du constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall qui défend avec force dans l’émission Point de Vue, dimanche 1 janvier 2022, sur la RTS qu’« en droit aucun texte n’est clair et la raison juridique est une raison dialectique ».
Si c’est vraiment le cas, disons tout suite que nous sommes vraiment mal barrés. Pour sauver le droit de ce pays devons-nous alors se démarquer de ces gesticulations et gymnastiques juridiques qui ne feront que complexifier davantage la question, au lieu de la simplifier au maximum pour l’intérêt des citoyens et du pays ?
Devant une telle situation qu’est-ce qu’on peut alors espérer pour les citoyens et votants qui doivent donner un sens à leur vote ou des juges en cas de délibéré sur un contentieux juridique en rapport avec la Constitution ?
Que peut-on également espérer d’un député qui ignore pratiquement tout sur les projets de loi du gouvernement ou qui est incapable de soumettre des propositions de loi en provenance de l’Assemblée nationale ?
C’est là où nous en sommes au pays de Senghor où on peine encore à lire et à comprendre le droit plus de 60 ans après l’indépendance du pays.
Le fait de mener une réflexion autour de la Constitution nous semble important pour plusieurs raisons. C’est la Constitution qui règle la question de notre appartenance au même territoire et au même peuple. En tant que Sénégalais, c’est la Constitution qui nous confère des droits et des devoirs.
Quelles que soient d’ailleurs nos différences, nos croyances ou nos convictions politiques. Elle fait de nous des Sénégalais à part entière. Plus que la devise de la nation : « un peuple, un but, une foi », qui est un idéal de vie ou un commun vouloir de vie commune, comme l’avait si bien théorisé le Président Senghor. La Constitution est le socle sur lequel s’appuie le fondement des institutions et de l’État.
Elle garantit les conditions de la gouvernance politique, économique et socioculturelle, et le fondement des relations qui unissent tous les Sénégalais. Donc à la différence de toutes les théories et belles intentions que nous aimons brandir avec fierté, c’est la Constitution qui est la concrétisation de tous nos désirs, de toutes nos aspirations et de tous nos espoirs.
Le professeur Kader Boye ne dit-il pas de la Constitution qu’elle est le fondement politique de la société ? Elle est d’une manière générale la charte fondamentale de notre pays. Donc une question aussi sérieuse que la Constitution qui est le ciment de la société ne doit, aucunement, être le jouet de nos politiciens.
Mais à notre grand regret, la Constitution est dans cette République, ce bout de choux que nos gouvernants et leurs complices ou barbouzes prennent pour leur propriété, en se donnant le droit de la manier, de de la malmener ou de la torturer à leur guise, et au gré de leurs intérêts du moment, de leurs humeurs ou de leurs caprices.
Et le danger c’est que si on se permet de piétiner et de banaliser la Constitution, c’est le pays qui risque de s’enliser ou de s’écrouler. Disons que si nous sommes vraiment légalistes. Il faut que l’on soit au moins d’accord sur l’importance et le respect que nous devons accorder aux textes juridiques du pays, et par ricochet à la Constitution ou la Loi fondamentale qui est un gage pour la pérennité de notre système démocratique et de notre devenir commun.
Babacar Papis Samba
Penseur et Auteur. Adepte de la pensée complexe.