Avec Xi Jinping, son homologue chinois, Joe Biden semble emprunter la même voie de fermeté économique que Donald Trump.
INTERNATIONAL – C’est ce qui transpire de leur récent appel téléphonique d’après la presse. Pas étonnant pour Éric de La Maisonneuve, président de la Société de stratégie et directeur de la revue «Agir». Il confie son analyse à Sputnik.
Trump-Biden, même combat contre la Chine? Il est trop tôt pour le dire, mais le nouveau Président américain a fait preuve de fermeté avec son homologue Xi Jinping pour leur première conversation téléphonique officielle du mandat.
Joe Biden a notamment dénoncé les pratiques économiques «injustes et coercitives» de Pékin. Une phraséologie qui rappelle les accusations portées par Donald Trump à l’encontre de l’empire du Milieu.
En fonction depuis trois semaines, le président américain Joe Biden a téléphoné mercredi soir à son homologue chinois Xi Jinping, selon une annonce faite par La Maison Blanche. Au menu, plusieurs sujets dont les pratiques commerciales qui divisent leurshttps://t.co/dawChO7lBt pic.twitter.com/BxTOcTjnB1
— Financial Afrik (@Financialafrik) February 11, 2021
«Les intérêts de l’Amérique n’ont pas changé depuis l’élection de Joe Biden», estime au micro de Sputnik le général Éric de La Maisonneuve, spécialiste de la Chine, président de la Société de stratégie.
Plus tôt, comme l’a relayé l’AFP, un haut responsable gouvernemental, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, aurait expliqué que la nouvelle Administration comptait tenir tête à la Chine dans la «compétition stratégique». À ce titre, elle s’inscrit dans la continuité de l’équipe précédente.
«Vous gagnerez plein de pognon»
Éric de La Maisonneuve rappelle que la situation actuelle entre les deux pays a des racines profondes. D’après l’auteur des Défis chinois: la révolution Xi Jinping (éd. du Rocher), le phénomène de transfert des capacités de production américaines vers la Chine découle de la visite aux États-Unis en 1979 de Deng Xiaoping, à l’époque homme fort de la République populaire de Chine.
C’est à ce moment qu’un accord aurait été passé entre Pékin et les entreprises américaines.
«Deng Xiaoping a dit aux patrons américains: “Venez en Chine, je vous ouvre des zones franches sur la côte pacifique, vous ne paierez pas d’impôts, vous aurez une main-d’œuvre quasi gratuite et vous gagnerez plein de pognon”», explique Éric de La Maisonneuve.
Les PDG américains se sont alors rués sur la Chine. «Ils ont créé des filiales, souvent à 50-50 avec les Chinois, qui n’aiment pas être minoritaires. Ces filiales ont produit toute l’histoire économique que l’on connaît depuis trente ans.»
«Il y a eu un vrai deal entre l’Amérique et la Chine, mais ils sont arrivés à un point de rupture il y a quatre ou cinq ans. Notamment à cause de la désindustrialisation des États-Unis qui a mené à des pertes d’emplois chez les ouvriers», poursuit le général de deuxième section au micro de Sputnik.
Plusieurs politologues expliquent la victoire de Donald Trump en 2016 par le vote des ouvriers de la Rust Belt («ceinture de la rouille»), au nord-est des États-Unis. Séduits par le discours de réindustrialisation de Trump, ils lui auraient apporté massivement leurs voix, faisant basculer des États clés en sa faveur.
«À un certain moment, le déficit de la balance commerciale américaine a atteint des abysses», note Éric de La Maisonneuve.
En 2018, le solde négatif s’était établi à 621 milliards de dollars, ce qui représentait un record depuis 2008. «Et une bonne partie du trou s’est creusé avec la Chine», précise notre interlocuteur.
Donald Trump a choisi la voie du bras de fer commercial. Ces dernières années, Washington et Pékin se sont rendu coup pour coup en augmentant les droits de douane sur de nombreux produits.
Le haut responsable anonyme de l’Administration dont l’AFP s’est fait l’écho a assuré que les taxes mises en place sous Donald Trump resteraient en vigueur «dans l’attente d’un réexamen global de la stratégie commerciale américaine».
«Nous n’avons pas pris de décision sur ce dossier», a-t-il affirmé. Et de poursuivre: «Il y aura des changements dans notre politique commerciale vis-à-vis de la Chine, mais ils ne sont pas immédiats et, dans l’intervalle, nous ne supprimons pas les taxes douanières.»
La stratégie de Donald Trump avec la Chine a débouché sur des résultats mitigés. «Quatre ans de guerre commerciale n’ont fait que stabiliser le déficit américain [avec la Chine, ndlr], ramené à 307 milliards de dollars en 2019», notait récemment L’Usine nouvelle.
«N’importe quel autre homme politique que Donald Trump aurait entamé les mêmes discussions avec les Chinois. Seulement Trump n’est pas un négociateur. Il a des méthodes de voyou. C’est un type du Far West», estime Éric de La Maisonneuve.
«De vrais problèmes» ont été identifiés dans la manière d’agir de Donald Trump a expliqué la source anonyme abondamment citée par l’AFP. Notamment à cause de «l’affaiblissement des alliances» des États-Unis ou encore du «vide laissé dans les institutions internationales qui a été rempli par la Chine».
«Il n’a pas négocié avec les Chinois, il a essayé de les faire plier. Mais ce n’est pas dans la mentalité chinoise de plier. D’autant que les autorités ressassent dans leur logorrhée les humiliations du XIXe siècle, etc. Vu la mentalité des Chinois, les Américains n’arriveront pas exactement à leurs fins, mais ils pourraient améliorer la situation en étant plus diplomates. Cela pourrait être le cas avec Biden», juge Éric de La Maisonneuve.
Lors d’un entretien diffusé le 7 février sur CBS, le nouveau Président des États-Unis a estimé que la rivalité sino-américaine serait une «compétition extrême» tout en affirmant souhaiter éviter un «conflit». Le 10 février, lors de sa première visite au Pentagone en tant que locataire de la Maison-Blanche, Joe Biden a annoncé sa volonté de se doter d’une stratégie militaire «ferme» face à Pékin.
Une «task force» a été créée au sein du ministère de la Défense. «Ce groupe de travail va œuvrer vite pour […] nous permettre de décider d’une direction ferme sur les questions liées à la Chine», a annoncé Joe Biden.
Biden dit vouloir « une compétition extrême » avec la Chine, mais pas de conflit – #JDM https://t.co/Mf3uBZEPzB
— Le Journal de Montréal (@JdeMontreal) February 7, 2021
Pour Éric de La Maisonneuve, la Chine et les États-Unis «ne sont pas des cousins»: «Ce sont deux émanations de deux civilisations différentes qui n’ont pas les mêmes fondements. Cela dit, je ne pense pas qu’une guerre soit envisageable. Il y a des bras de fer. Mais, d’une certaine manière, ces deux nations sont obligées de se partager le monde entre Orientaux et Occidentaux.»
«Une nouvelle page d’histoire va s’ouvrir, dans laquelle États-Unis et Chine ne seront pas tout à fait à égalité, mais pas loin. Notamment sur le plan économique, mais aussi au niveau de la culture, des idées et des concepts», conclut-il.
Maderpost / Sputnik