La directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, s’est rendue en République démocratique du Congo et au Sénégal la semaine dernière, où elle a rencontré les présidents actuels et futurs de l’Union africaine. Dans cette chronique, elle et le président sénégalais Macky Sall envisagent des moyens de relancer l’Afrique après les graves perturbations économiques et sociales de la crise mondiale actuelle.
AFRIQUE / FMI – Le nouveau variant omicron nous rappelle amèrement que même au bout de deux longues années, la crise de la COVID-19 est loin d’être terminée. Comme nous nous sommes rencontrés à Dakar la semaine dernière, il y avait beaucoup d’incertitude pour l’Afrique et pour le monde
Au lendemain de la pire récession de son histoire, l’économie africaine a entamé son redressement : la croissance devant atteindre 5,1 % cette année et 3,9 % en 2022. Mais ce tableau est à nuancer, car la trajectoire de reprise se fait plus incertaine.
La vaccination en Afrique prend du retard alors même que le virus est en train de muter, l’inflation augmente et le resserrement des conditions financières dans le monde risque d’accroître les coûts d’emprunt de la région et de réduire sa marge de manœuvre. Ainsi, alors que les dirigeants politiques réfléchissent à l’avenir, l’incertitude devient rapidement, et malheureusement, la nouvelle norme.
Comment l’Afrique peut-elle négocier cette période d’incertitude ?
Accélérer la vaccination
Le FMI, l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale du commerce et la Banque mondiale ont mis sur pied un groupe de travail qui a fixé l’objectif de vacciner au moins 40 % de la population de chaque pays cette année et 70 % d’ici le milieu de 2022. Alors que certains pays ont atteint des taux de vaccination élevés, on ne recense au total que 7 % d’Africains pleinement vaccinés, contre 68 % de la population dans les pays avancés.
Comme le prouve l’apparition du variant omicron, l’immense inégalité en matière d’accès à la vaccination pénalise le monde entier et entame notre capacité à mettre un point final à la pandémie.
Pour atteindre 70 % l’an prochain, la communauté internationale doit accélérer les dons de doses existantes de vaccins au mécanisme COVAX, et échanger les calendriers de livraisons avec COVAX et l’Union africaine afin que les pays de la région reçoivent les doses dont ils ont besoin et disposent des moyens pour les distribuer. De plus, un déficit de financement d’environ 23 milliards de dollars reste à combler pour fournir à l’ensemble des pays les vaccins, tests, traitements et matériels de protection individuelle nécessaires.
Par ailleurs, et c’est tout aussi important, les autorités doivent supprimer les restrictions commerciales sur les exportations de vaccins et de moyens de production essentiels, ce qui permettrait d’accroître considérablement la production de vaccins contre la COVID-19 en Afrique.
L’Institut Pasteur de Dakar, au Sénégal, fait déjà partie de la communauté scientifique et médicale africaine qui apporte des contributions inestimables à la santé dans le monde comme elle l’a encore montré dernièrement avec la découverte et le séquençage du nouveau variant. Avec un soutien renforcé et un meilleur accès aux moyens de production essentiels dans la fabrication des vaccins, des établissements africains tels que l’Institut Pasteur apporteraient une contribution beaucoup plus forte à la lutte contre la pandémie actuelle et contre les futures urgences sanitaires.
Enraciner la reprise dans des finances publiques saines
Au-delà de la crise sanitaire proprement dite, l’enracinement de la reprise relèvera d’une tâche complexe qui obligera les dirigeants à procéder à de délicats arbitrages afin de répondre aux besoins immédiats et à long terme de la population tout en évitant un endettement excessif. Ce juste dosage est toujours difficile à trouver et il l’est plus que jamais dans l’environnement incertain qui prédomine aujourd’hui. La trajectoire de chaque pays sera dictée par sa propre réalité, notamment sa croissance économique, ses pressions inflationnistes, son espace budgétaire, et sa capacité à trouver des financements publics et privés.
D’un autre côté, certaines mesures seront profitables à tous les pays, comme l’établissement de cadres de politique budgétaire crédibles à moyen terme. L’établissement de plans bien définis pour équilibrer les dépenses et les recettes peut contribuer à abaisser les coûts de l’emprunt, ce qui offrirait davantage de flexibilité aux dirigeants pour s’adapter aux chocs inattendus tout en avançant dans la réalisation des objectifs de développement à plus long terme.
L’augmentation des recettes à l’aide de mesures comme l’élargissement de la matière imposable, conjuguée à des aides destinées aux groupes les plus vulnérables de la population, sera également bénéfique, de même que le maintien d’initiatives destinées à renforcer la transparence et la responsabilité s’agissant des dépenses publiques. La stratégie de mobilisation des recettes à moyen terme du Sénégal, qui vise à porter les recettes intérieures à 20 % du PIB d’ici à 2024, en est un bon exemple.
Le FMI est un partenaire à part entière de la région dans son processus de réformes, que ce soit par ses conseils, son aide financière ou ses activités de développement des capacités.
Parallèlement à ces mesures à l’échelon national, la communauté internationale doit intervenir. Il est primordial d’augmenter les financements multilatéraux et bilatéraux afin de réduire le déficit de financement de 520 milliards de dollars associé à la reprise en Afrique. La rétrocession d’une partie des nouveaux droits de tirage spéciaux émis par le FMI en août sera la bienvenue. Nous renouvelons l’appel formulé par les dirigeants africains et européens lors du sommet sur le financement des économies africaines, en mai dernier à Paris, à aiguiller directement vers l’Afrique l’équivalent de 100 milliards de dollars de cette monnaie de réserve. De plus, alors que les pressions sur la dette se font plus aiguës dans 60 % des pays africains, il est urgent de créer un climat de confiance vis-à-vis du cadre commun du G20 pour les traitements de dette, ainsi que de mettre en place une feuille de route afin d’aider d’autres pays en proie à des problèmes d’endettement.
Tracer un chemin vers une économie résiliente et inclusive
Les incertitudes qui assombrissent les perspectives n’entament en rien notre foi en un siècle africain. Selon les projections, le continent, qui est déjà le plus jeune du monde, va voir sa population augmenter d’un milliard d’habitants au cours des 30 prochaines années, soit la moitié de la croissance démographique mondiale.
Il s’agit là d’une chance sans équivalent pour la région et pour le monde, qui verront grandir un vivier de nouveaux talents en quête de nouvelles manières de progresser et de faire avancer les leurs. Si elle réussit son développement, l’Afrique a le potentiel de devenir l’une des régions les plus dynamiques et les plus importantes de la planète.
Bien entendu, les emplois sont la clé de cette réussite.
Pour tirer parti de son potentiel, l’Afrique a absolument besoin d’un climat des affaires propice à la croissance et à l’investissement. Cela passera par des marchés ouverts et contestables, et une fourniture d’électricité plus fiable, ainsi que par d’autres réformes globales portant notamment sur l’inclusion financière et l’intégration aux marchés internationaux. Par ailleurs, un investissement dans la connectivité et l’éducation, y compris dans la culture numérique, sur l’ensemble des territoires peut contribuer à mettre l’outil technologique au service d’économies plus inclusives.
De manière plus générale, le monde s’engage dans une profonde transition vers une croissance sobre en carbone et capable de résister aux changements climatiques. Cette démarche est capitale pour la planète et pour la stabilité des économies. Elle offre aussi une formidable opportunité d’engager le monde et l’Afrique dans une nouvelle trajectoire de croissance durable. Mais cette transition présente un coût, dans un premier temps en tout cas, pour la région, qui peine déjà à financer d’autres objectifs de développement durable. Aussi la communauté internationale doit-elle s’attacher à répartir la charge de façon équitable. Les pays avancés doivent honorer les engagements financiers qu’ils ont pris au titre de l’accord de Paris et accroître les transferts de technologies.
Continent plein de jeunesse aspirant à un avenir radieux, l’Afrique pourra négocier les périodes d’incertitude qui se profilent grâce à des réformes intérieures porteuses de transformations et à un solide appui international. Nous nous engageons aujourd’hui à œuvrer ensemble pour concrétiser l’espoir de cet avenir radieux.
Kristalina Georgieva (@KGeorgieva) est directrice générale du Fonds monétaire international. Macky Sall ( @Macky_Sall) est président du Sénégal.
Maderpost / Lejecos