Le refus certes poli mais ferme opposé à la CEDEAO par les autorités maliennes sur la libération des 46 soldats ivoiriens détenus à Bamako après leur arrestation au détour d’une sombre présence sur leur sol, la condamnation des sanctions « inhumaines » prises contre la Guinée par la Communauté, tout comme les manifestations ce mardi à Ouagadougou à l’encontre de l’organisation ouest-africaine, après le renversement vendredi 30 septembre du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba – lui-même arrivé au pouvoir par les armes le 24 janvier 2022 – ne sont pas pour parfaire l’image de la CEDEAO de plus en plus controversée dans la sous-région.
CEDEAO – La CEDEAO marche sur des œufs, vivant à l’instar des organisations régionales, voire internationales, des moments difficiles devenus encore plus complexes en Afrique de l’Ouest, d’une part, par la reprise des putschs militaires (Guinée, Mali, Burkina Faso), d’autre part, par la présence russe au Mali, et sûrement le changement de paradigme opéré chez les jeunes du reste en rupture de ban avec l’élite ouest-africaine et les anciennes colonies.
Jeudi 28 septembre, la veille de la réception de la délégation de la CEDEAO menée par les présidents ghanéen et gambien Nana Akufo-Addo et Adama Barrow ainsi que le ministre togolais des Affaires étrangères Robert Dussey représentant le président Faure Gnassingbé, le Premier ministre malien par intérim disait avec force que Bamako ne réservera aucune suite aux sanctions prises par la CEDEAO contre la CEDEAO.
Évoquant une « solidarité indéfectible » avec le peuple et le gouvernement guinéens, les autorités maliennes se désolidarisaient donc de la CEDEAO.
« Le gouvernement de la Transition a pris connaissance du communiqué final du Sommet extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, tenu le 22 septembre 2022 à New York sur la situation au Mali et en Guinée », disait un communiqué du gouvernement, comme pour avertir la délégation sur sa posture. Ce qui ne sonnait bien sûr comme un désaveu des décisions de la Communauté ayant perdu apparemment toute possibilité d’infléchir Bamako.
Mieux, cette dernière déclarait : « Compte tenu de la solidarité et de la fraternité entre le Mali et la Guinée, le gouvernement de la Transition décide de se désolidariser de toutes les sanctions illégales, inhumaines et illégitimes prises à l’encontre de la République sœur de Guinée et ne leur réservera aucune suite, d’adopter, si nécessaire, des mesures pour assister la République de Guinée, afin d’annihiler les conséquences de ces sanctions inutiles contre le peuple et les autorités de la Guinée ».
Ainsi, après avoir tapé du poing sur la table et montré aux dirigeants de la CEDEAO que le Mali ne déparerait pas de sa feuille de route concernant ses relations avec la Guinée également dirigée par une junte issue des Forces spéciale, le pouvoir malien soutenait avec force et détermination qu’il ne se laisserait pas imposer une solution.
Si elle était prête á écouter la délégation sur la question des 46 soldats ivoiriens détenus à Bamako, la junte malienne ne l’était pas pour se laisser marcher dessus. “Nous allons les écouter (…) Mais si c’est pour imposer des décisions au Mali, cela ne passera pas“, avait déclaré en début de semaine le ministre des Affaires étrangères
Les autorités maliennes seraient aller aussi loin dans le bras de fer avec la CEDEAO si cette dernière ne s’était pas laisser distancer sur la géopolitique, la géostratégie et les mutations sociales et politiques en cours dans sa région ?
La présence des Russes via Wagner au Mali ; les renseignements sécuritaires stratégiques tirés de la toute nouvelle coopération militaire russo-malienne dans le cadre de la guerre contre le Djihadisme et du renforcement de la surveillance aux frontières ; les nouveaux axes commerciaux entre Bamako et Moscou ; l’exploitation prochaine des mines, donnent des ailes aux autorités maliennes ce d’autant que la carte militaire a le vent en poupe dans la sous-région.
Les populations très jeunes de l’Afrique de l’Ouest en rupture de ban avec les élites auxquelles elle elles ne s’identifient pas, leur rejet des anciennes colonies, leur repli identitaire facilité par la révolution digitale et l’accroissement de la démocratie d’opinion, jouent sûrement en faveur de ces juntes au pouvoir. Touchant les cordes sensibles liées à la souveraineté nationale, loin des théories occidentales, ces nouveaux pouvoirs au discours nationaliste tranchent avec ceux de la CEDEAO.
Conakry, Bamako comme Ouaga tiennent tète en tout cas à la CEDEAO qui est prise au piège par la volonté de certain de ses chefs d’État décidés à faire un troisième mandat.
Dans la foulée de Bamako, Ouagadougou oppose une fin de non-recevoir à la délégation de la Communauté. Comme à Bamako, plusieurs personnes ont manifesté mardi contre la visite de la délégation ouest-africaine présente dans le pays pour « évaluer la situation » après un deuxième coup d’État en huit mois.
Là aussi, on voit des drapeaux russes, lit sur des pancartes « non á l’ingérence de la CEDEAO », « France dégage ». Serait-ce des manifestations spontanées ou seraient-elles orchestrées par le nouveau pouvoir qui a su inverser la tendance vendredi et samedi dernier en laissant comprendre que la France rendait plus compliquée et dangereuse la situation au Burkina Faso en permettant le retour aux affaires de Damiba qui se serait alors dérouler dans un bain de sang.
Ces manifestations peuvent aussi se comprendre quand on sait que le patron de la CEDEAO, en l’occurrence le chef d’Etat bissau-guinéen, Umballo, a été reçu la veille á l’Élysée par Emmanuel Macron.
Une visite qui a été fortement critiquée par les Burkinabé sur Twitter.
Maderpost / Charles Faye