La session parlementaire actuelle est l’occasion d’apporter des changements importants afin de renforcer la protection des droits humains Le syndicat de la presse gambien (GPU) a recensé plus de 15 agressions visant des professionnel (s.les) des médias au cours des quatre dernières années.
GAMBIE – Malgré la promesse du président gambien Adama Barrow de réformer le pays il y a près de cinq ans, les lois répressives restreignant les droits humains, notamment les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, qui ont servi sous le régime de son prédécesseur Yahya Jammeh à éradiquer la dissidence pacifique, sont toujours en vigueur, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse publiée ce 23 septembre 2021.
« En arrivant au pouvoir en 2017, le président Adama Barrow a fait le serment de réformer en profondeur le pays et de mettre fin à la répression qui avait caractérisé le gouvernement précédent. Presque cinq ans plus tard, le paysage législatif de la Gambie n’a guère changé, a déclaré Michèle Eken, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.
« Il n’y a toujours pas de nouvelle Constitution. Les dispositions législatives punitives et restrictives relatives aux droits humains, particulièrement aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, demeurent inscrites dans la loi. En outre, la session parlementaire actuelle, qui représente l’une des rares occasions d’entreprendre des réformes juridiques et des changements d’ampleur dans le droit fil des obligations incombant à la Gambie au titre du droit international relatif aux droits humains avant l’élection présidentielle de décembre, doit s’achever d’ici la semaine prochaine. »
Le 14 février 2018, la Cour de Justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a rendu un jugement concluant que la plupart des lois relatives aux médias en Gambie bafouaient la liberté d’expression.
La Cour a demandé au gouvernement d’abroger ou de modifier toutes les lois pénales relatives à la diffamation, à la sédition et aux fausses informations, afin de les aligner sur les obligations incombant à la Gambie au titre du droit international relatif aux droits humains.
Pourtant, la plupart des textes de loi qui ont servi à réprimer les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s et les journalistes sous le régime de Yahya Jammeh sont toujours en vigueur.
Parmi les plus marquants citons l’article 138 de la Loi sur l’Information et les Communications, qui confère aux services chargés de la sécurité nationale, aux autorités chargées des enquêtes et à l’Autorité de régulation des services publics (PURA), le pouvoir de surveiller, d’intercepter et de stocker les communications à des fins de surveillance, sans réel contrôle judiciaire.
Dans sa forme actuelle, le Code pénal contient encore plusieurs clauses restreignant le droit à la liberté d’expression, pénalisant la sédition en lien avec le président et prévoyant des peines sévères, dont l’emprisonnement, contre ceux qui osent critiquer les autorités – un sujet d’inquiétude pour les journalistes et les défenseur·e·s des droits humains. Il autorise également la confiscation des publications et des machines d’imprimerie.
Des dispositions légales qui musèlent les voix dissidentes
Selon le syndicat de la presse gambien (GPU), ces lois engendrent un environnement hostile pour les journalistes. Si les cas de répression visant les journalistes ont diminué sous la présidence d’Adama Barrow, des arrestations très médiatisées ont illustré le risque que ces lois répressives ne soient utilisées pour faire taire plus largement les voix dissidentes.
Le 30 juin 2020, le défenseur des droits humains Madi Jobarteh a été inculpé de diffusion de fausses informations au titre de l’article 181 A du Code pénal, après avoir déclaré lors d’une manifestation Black Lives Matter le 27 juin que le gouvernement n’avait pas enquêté sur les homicides de trois citoyens gambiens imputables à des policiers. Les chefs d’accusation ont été abandonnés le mois suivant.
Le 26 janvier 2020, la police a fermé les stations de radio locales King FM et Home Digital FM qui avaient couvert une manifestation violemment réprimée par la police. Celle-ci a également arrêté les propriétaires et responsables de ces deux radios, et les a inculpés de diffusion de messages incendiaires et d’incitation à la violence. Le tribunal a finalement rejeté ces chefs d’inculpation, mais les licences de ces radios ont été suspendues pendant un mois.
Un membre du syndicat de la presse gambienne, le GPU, a déclaré :
« Nous craignons d’autres attaques contre les journalistes à l’approche des élections. Le pays est de plus en plus clivé, d’autant que ces agissements ne font pas l’objet d’enquêtes. Au cours des quatre dernières années, nous avons recensé plus de 15 cas d’agressions imputables à des policiers et à des militants de partis politiques. Pas un seul n’a donné lieu à des poursuites. »
La Loi relative à l’ordre public est invoquée pour réprimer les manifestations
L’article 5 de la Loi relative à l’ordre public qui exige de demander la permission de manifester à la police demeure en vigueur et est invoqué depuis cinq ans pour limiter les rassemblements publics.
En juin 2021, l’Inspecteur général de la police a refusé à un groupe favorable au président Adama Barrow, Gambia for 5 Years and Peace Building, la permission de manifester contre la décision de la commission électorale d’autoriser le maire de la capitale Banjul à délivrer des attestations aux électeurs.
En janvier 2020, la police a réagi en usant de la force lorsque Three Years Jotna (« Trois ans, il est temps »), une organisation réclamant la démission du président Adama Barrow, a soi-disant dévié lors d’une manifestation de son itinéraire approuvé. Les autorités ont alors interdit cette organisation et ont arrêté quatre de ses membres. En mai 2021, le procureur général a finalement abandonné les poursuites à leur encontre.
« La Loi relative à l’ordre public a de fortes répercussions sur les manifestations et les rassemblements pacifiques. Ils arrêtent des gens qui manifestent pacifiquement sans l’autorisation de l’Inspecteur général de la police, ils refusent arbitrairement des autorisations. Il y a déjà eu des débats à ce sujet, mais rien ne bouge », a déclaré un membre d’une organisation internationale travaillant sur les droits humains en Gambie.
Le danger des lois répressives
Malgré tous les efforts déployés par la société civile et la communauté internationale, le gouvernement n’est pas parvenu à adopter une nouvelle Constitution. Le Parlement gambien a rejeté un projet de Constitution en septembre 2020.
Ainsi, l’article 69 de la Constitution actuelle, qui prévoit l’immunité civile totale et une compétence limitée en matière de procédures pénales visant le président après son départ du pouvoir, est toujours en vigueur.
La Constitution confère également l’immunité totale aux membres du Conseil provisoire des forces armées (AFPRC) et aux personnes nommées par ses soins, ainsi qu’aux membres du gouvernement et de la population qui seraient impliqués dans le coup d’État de 1994.
En outre, la peine de mort, abolie dans le projet de Constitution, demeure en vigueur et les tribunaux continuent de prononcer des condamnations à mort.
Enfin, les député·e·s n’ont toujours pas promulgué le projet de loi sur la prévention et l’interdiction de la torture, en instance devant l’Assemblée nationale depuis l’an dernier.
Des mesures positives
Malgré la lenteur des progrès s’agissant de réformer les lois répressives, Amnesty International a salué la promulgation de la Loi sur l’accès à l’information le 1er juillet 2021, qui a pour but d’aider la population et les médias à avoir accès à l’information.
Autre point positif, la mise sur pied de la Commission nationale des droits humains à la faveur d’un texte de loi adopté par l’Assemblée nationale en 2017, qui a commencé à fonctionner en 2019.
Elle a le pouvoir de « recevoir et entendre les plaintes de la population concernant des violations des droits humains, de recommander des mesures correctives appropriées au gouvernement et rechercher des mesures correctives appropriées au nom des victimes ». Il est essentiel de garantir l’indépendance de cette commission et de lui allouer des ressources suffisantes afin qu’elle puisse poursuivre son travail avec efficacité et en toute impartialité.
« La création de la Commission nationale des droits humains illustre ce qui peut être fait. Il n’est plus possible de faire patienter les Gambiennes et les Gambiens qui attendent depuis si longtemps un recours lorsque leurs droits sont bafoués », a déclaré Michèle Eken.
Amnesty International demande que les auteurs présumés de violations des droits humains soient poursuivis, d’autant que la société civile s’inquiète de voir que des membres du régime du président Yahya Jammeh qui ont reconnu leurs crimes devant la Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC) occupent toujours des postes au sein des forces de sécurité.
« La mise sur pied de la Commission vérité, réconciliation et réparation fut une première étape cruciale dans la lutte contre l’impunité. Mais pour qu’elle soit considérée comme une réussite, il faut que le gouvernement mette effectivement en œuvre ses recommandations », a déclaré Michèle Eken.
Maderpost / Igfm