Babacar Touré, fondateur de Sud Fm, est décédé dimanche soir, à l’âge de 69 ans, l’information a été confirmée par le directeur de Sud Fm, Baye Oumar Guèye, contacté par Libération online le même soir.
NECROLOGIE – Né en 1951 à Fatick, le journaliste était également un homme d’affaires sénégalais, PDG de Sud Communication et ancien président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA).
Diplômé en sociologie et sciences politiques (Master Degree), en journalisme et communication, et titulaire d’un certificat de maîtrise d’anglais, Babacar Touré complète sa formation au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), au sein de la promotion 1979.
Il entre au quotidien Le Soleil puis obtient une bourse pour étudier aux États-Unis. Plus tard, il se forme à l’Institut français de presse, au Centre de perfectionnement des communicateurs africains de l’UQAM, au Michigan State University et au Kansas State University.
De retour au Sénégal, il travaille au sein de l’ONG Enda Tiers-monde.
En 1986, il fonde avec ses anciens collègues du Soleil, Abdoulaye Ndiaga Sylla, Ibrahima Fall et Sidy Gayede, Sud hebdo, devenu Sud Quotidien en 1993. Il prend la tête du Sud Communication, groupe qui compte également Sud FM, à partir de 1994 première radio privée du pays, une chaine télévision privée, LCA, basée en France et l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (ISSIC), école de journalisme à Dakar.
Babacar Touré est membre fondateur de l’Union nationale des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (UNPICS), devenue plus tard Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS).
Il a été membre du Conseil économique et social (CES) du Sénégal, du bureau de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), de la Société de sociologie du Midwest (Midwest Sociological Society, Des Moines, Iowa), du National Democratic Institute for International Affairs (NDI-USA), de l’Institut Panos, du Collège des conseillers africains de la Banque mondiale.
En novembre 2012, il est nommé président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) en remplacement de Nancy Ngom Ndiaye. Il sera remplacé à son tour par Babacar Touré.
Le message unanime des hommes politiques
L’annonce, un peu tard dans la soirée du dimanche, du décès de Babacar Touré n’a pas empêché certaines personnalités politiques de dire tout le bien qu’elles pensaient du défunt fondateur du groupe Sud Communication. Le message est unanime du côté du pouvoir comme de l’opposition. Toutes ces personnalités qui ont pris la parole mettent en exergue son sens élevé du professionnalisme.
C’est le cas du ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, Amadou Ba. L’ancien argentier de l’Etat retient que Babacar Touré était «un grand homme, courtois et brillant”. Pour lui, «le Sénégal a perdu l’un de ses fils les plus valeureux».
L’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, est du même avis. Le Socialiste retient de Babacar Touré «un journaliste d’un professionnalisme exemplaire».
Pour l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, le fondateur du Groupe Communication, avait le «souci de l’intérêt général».
L’ayant connu alors qu’il était directeur d’une banque, le défunt journaliste venait défendre auprès de lui, l’intérêt d’une coopérative d’habitat. Ce qui fait dire à Abdoul Mbaye que Babacar Touré «a toujours en lui ce souci de l’intérêt général et sa contribution à l’éclosion d’une presse libre au Sénégal est incommensurable».
La parfaite équidistance
La nouvelle de son décès qui a irradié le monde de la presse, a sonné aussi, dimanche soir comme un tremblement de terre. L’homme était immense tant par son physique que par sa personnalité. Professionnel jusqu’au bout des ongles, il a impulsé avec d’autres, une grosse aventure au moment où personne ne s’y attendait : création d’un Groupe de presse, le Groupe Sud Communication, avec d’autres chevronnés du journalisme : Abdoulaye Ndiaga Sylla, feu Ibrahima Fall, Ibrahima Bakhoum, Sidy Gaye, Alain Agboton, Abdou Latif Coulibaly, feu Chérif Elvalid Sèye. A plus d’un titre, l’aventure apparaissait incertaine.
Mais Babacar, tel un métronome, organise la troupe, forme les équipes et entame une mission, l’ingrate tâche de relier deux mondes qui ne se touchent même pas par leurs extrémités : la presse et le pouvoir. À petits pas et avec une ferme volonté, les acteurs se découvrent des passions communes et certainement des divergences profondes. Mais, convaincus que de par les fréquentations, surtout si elles sont assidues, les rapprochements deviennent possibles et ouvrent des perspectives. Il fut l’artisan infatigable de ce travail colossal de rendre possible une autre lecture de la marche du pays qui ne soit pas seulement sous le prisme partisan du pouvoir.
Sud, déjà lancé, creusait son sillon et finissait par réunir tous ceux qui, nombreux en quête de libertés, avaient rallié la cause à la fameuse rue Raffenel où tout est parti. Ça grouillait de monde qui grossissait au fur et à mesure que le projet gagnait en consistance et s’affirmait comme une alternative crédible pour l’intérêt bien compris d’une corporation qui s’honorait de le voir en héraut. Il n’hésitait pas à aller au charbon. Pas plus qu’il ne supportait les faiblesses coupables décelées ici ou là dans le milieu des journalistes. Il agissait avec dignité, préconisait l’élargissement des bases de connaissance du journalisme dont il supportait sur ses larges épaules les avatars d’émergence.
De 1986 à la création de la station radio SUD FM en 1994, il ne pliait ni ne renonçait au labeur, convaincu que le travail fondamental d’une entreprise de cette envergure nécessitait des jours sans sommeil, plus de sueurs que de lueurs, plus d’effort que de confort et davantage de patience que d’exubérance. Le temps était à la construction qui ne s’accommodait pas, loin s’en faut, de relâchement. Son combat pour une presse libre et responsable venait de franchir une étape décisive avec l’inauguration inoubliable de la radio, sa radio au boulevard Djiliy Mbaye dans un somptueux édifice qui pouvait incarner le renouveau de la presse. Trois chefs d’Etat étaient présents : le Malien Alpha Oumar Konare, le Mauritanien Maouia Sidi Ahmed Taya et bien évidemment le Président Abdou Diouf.
Par cette prouesse, il révélait son talent d’homme de pouvoir (dans le sens de quelqu’un qui influence). Babacar Touré incarnait le courage, la témérité, la lucidité, l’orgueil (également positif). Il flétrissait l’injustice et certains de ses éditoriaux l’ont aidé à circonscrire ce périmètre que tout le monde lui reconnaissait. Sa générosité se traduisait dans le partage. Dès qu’une opportunité se présentait, tout de suite trotte dans sa tête un profil à qui confier une mission, un reportage, une formation qualifiante ou la chance d’interviewer une personnalité influente.
Il étalait ces largesse avec souplesse et détachement et se permettait par moments de rappeler si les tâches confiées avaient étaient bien exécutées. La justice lui était chère. La franchise aussi. De même que la sincérité qu’il avait toujours en bandoulière. Par dessus tout, il ne supportait l’injustice, état d’esprit qu’il tenait à insuffler aux jeunes générations avec lesquelles il aimait mener des réflexions pratiques en les poussant à plus de volonté, à plus d’abnégation.
Il m’avait confié le Grand reportage sur les Enjeux fonciers de la Vallée. Une conversation a suffi pour tout de suite décider de me mettre sur la longue route du Fleuve Sénégal et les terres attenantes. Peu après la publication de l’enquête, la Banque mondiale, à son tour, décidait de l’appuyer pour organiser avec succès un atelier international à Dakar en 1989 réunissant les meilleurs experts des trois pays de l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS). Le conflit de la même année, opposant le Sénégal et la Mauritanie est parti d’une banale querelle de pasteurs et de paysans qui finit par embraser un fleuve jusque-là perçu comme un trait d’union. Babacar était un visionnaire.
Sa soif de découverte et son modèle de comportement imprègnent encore le Groupe qu’il a ciselé de ses mains avec d’autres camarades (aimait il à préciser). Il était un démocrate épris de débats féconds, ouverts au monde avec la saisissante contribution des Gens de l’hémisphère Sud. Sud était né. Pour lui le dialogue commence par le respect mutuel des hommes qui l’environnent. Un Homme-Monde a tiré sa révérence. Son souffle s’estompe. Mais ce qu’il a insufflé ne cessera d’inspirer le journalisme qui perd en lui l’un de ses plus flamboyants représentants. Son œuvre, immense, prévaudra.
A sa famille, à ses amis, au Groupe Sud et à tous journalistes, Maderpost présente ses sincères condoléances. Puisse Allah le recueillir auprès de lui.
Maderpost / Emedia