Un “crime contre l’humanité”. Une “décision malheureuse”. Un “geste irrationnel”. Mercredi, les critiques ont fusé de partout à travers le monde pour dénoncer la décision de Donald Trump de suspendre la contribution financière des États-Unis à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et ce, en pleine guerre internationale contre la pandémie de COVID-19.
CORONAVIRUS – Cette stratégie du bouc émissaire risque d’ailleurs, selon plusieurs experts en santé publique, de fragiliser davantage les pays déjà à risque face à cette crise sanitaire sans précédent.
“Le monde a plus que jamais besoin de l’OMS, résume à l’autre bout du fil Pierre Gosselin, professeur à l’Université Laval, qui préside le groupe technique d’un consortium de l’organisation internationale chargé entre autres de la modélisation de la pandémie. Je ne suis pas certain du rationnel de Donald Trump. C’est une décision qui est profondément malheureuse.”
“Ce n’est pas le moment de faire ce genre de politique alors que nous sommes en situation d’urgence, ajoute Pierre Gosselin qui a dirigé pendant 22 ans le centre collaborateur de l’OMS en matière de santé et d’environnement du Centre hospitalier universitaire de Québec. L’OMS est un acteur crucial en matière de santé publique dans plusieurs pays. Elle indique la marche à suivre, fournit les procédures, donne des moyens aux pays les plus pauvres qui vont être les premiers touchés par ce geste.”
Mardi, Donald Trump a officiellement annoncé qu’il allait retenir la contribution américaine au fonctionnement de l’OMS après plusieurs jours passés à rendre l’organisation internationale responsable de la pandémie qui frappe durement les États-Unis où plus de 30 000 personnes ont perdu la vie à ce jour. Selon lui, la lenteur de réaction de l’OMS, couplée à une complaisance envers la Chine, point de départ de la contamination, a amplifié la crise mondiale et expliquerait la situation critique dans son pays.
Rappelons que la Maison-Blanche aurait été alertée dès novembre du “cataclysme” à venir par un rapport militaire du National Center for Medical Intelligence (NCMI), a rapporté il y a quelques jours le réseau ABC.
Pis, en janvier, un mémo adressé au président américain par son conseiller économique, Peter Navarro, indiquait que le coronavirus risquait de causer la mort de centaines de milliers d’Américains en plus d’affecter l’économie du pays.
À cette époque, Donald Trump minimisait toujours en conférence de presse la portée de la contamination aux États-Unis, accusant même les démocrates d’utiliser le virus pour faire peur à la population.
Les États-Unis contribuent à hauteur de 15 % au budget de l’OMS pour l’exercice fiscal 2020-2021, ce qui représente environ 700 millions de dollars. Cette soustraction a été qualifiée de “crime contre l’humanité” par le rédacteur en chef de la revue scientifique The Lancet, Richard Horton. “Chaque scientifique, chaque travailleur de la santé, chaque citoyen doit résister et se rebeller contre cette effroyable trahison de la solidarité mondiale”, a-t-il ajouté sur le réseau Twitter.
“Demander des comptes à l’OMS, ça va venir, dit Joanne Liu, ancienne présidente de Médecins sans frontière (MSF), mais pas pendant que l’on est en train d’essayer de sauver des vies humaines. La décision américaine est déplorable en plus d’être totalement irresponsable.”
Fait rare, la chambre de commerce des États-Unis, alliée inconditionnelle des républicains et de Donald Trump, a dénoncé vertement cette coupe qui ne va pas dans “l’intérêt des États-Unis, étant donné le rôle essentiel de l’organisation dans l’aide apportée à d’autres pays, en particulier dans le monde en développement”, a dit le vice-président du groupe de pression, Myron Brilliant, mercredi.
Pour l’Association médicale américaine, il s’agit d’un “pas dangereux dans la mauvaise direction, qui va rendre la lutte contre la COVID-19 plus difficile.”
Combler le vide
Lors de sa conférence de presse quotidienne mercredi, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a indiqué qu’il allait évaluer l’effet de la décision américaine sur le fonctionnement de l’organisation et a assuré qu’il travaillait avec ses partenaires “pour combler le manque et s’assurer qu’il n’y ait pas d’interruption de programmes”.
“L’OMS ne combat pas seulement la COVID-19, a-t-il dit. Nous luttons aussi contre la polio, la rougeole, le paludisme, le virus Ebola, le VIH, la tuberculose, la malnutrition, le cancer, le diabète, les problèmes de santé mentale et de nombreuses autres maladies infectieuses.”
Par ce coup d’éclat, en pleine crise du coronavirus, Donald Trump vient une fois de plus chercher un coupable facile pour éviter d’assumer ses responsabilités dans la gestion erratique de l’urgence sanitaire, estime Vincent Raynault, spécialiste de la communication politique au Emerson College de Boston.
“Il fait face à des critiques de plus en plus vives et sa cote de popularité est désormais en baisse après avoir monté de manière marquée au début de la crise, dit-il. La suppression des fonds à l’OMS lui permet donc de changer temporairement le sujet de prédilection des médias d’information, mais également de mobiliser sa base électorale autour de son idée d’être plus indépendant sur le plan international, de se distancer de l’autorité des organisations internationales telles que l’ONU, l’OMC, ainsi que l’OMS.”
L’organisation internationale s’ajoute à une longue liste de boucs émissaires comprenant les gouverneurs des États qui, selon Trump, ont manqué de leadership et les démocrates qui, après avoir alimenté le “canular” de la pandémie, selon lui, bloquent désormais sa capacité à répondre à la crise financière. “Sur un plan strictement médiatique, la stratégie lui permet d’esquiver certaines critiques, dit M. Raynault. Mais elle ne lui permet certainement pas de régler la crise.”
Maderpost / Le Devoir / Fabien DEGLISE