L’article du quotidien Le Figaro soutenant que le TER est une propriété de la France contrairement à ce qu’aurait affirmé le gouvernement sénégalais, six mois après l’article « Le Sénégal, une vitrine démocratique en danger » publié par Le Monde sur son site le 5 août 2022, n’est certainement pas anodin, ce d’autant que la France en situation délicate en Afrique de l’Ouest, ne peut se permettre le luxe de courir le risque de déplaire aux Sénégalais, la société civile et certains opposants candidats à la présidentielle 2024 notamment Ousmane Sonko auquel la presse française fait les yeux doux.
POLITIQUE – Le ministre du Commerce, de la Consommation et des Petites et moyennes entreprises (PME), Abdou Karim Fofana et d’autres cadres du parti présidentiel ont vite fait de rétablir, si on puit dire, la vérité sénégalaise en répondant au titre français. Mais gageons que la diplomatie n’a manqué de s’y ajouter, si l’on juge par la célérité du communiqué conjoint de la SNCF et la SETER confirmant la signature du contrat d’exploitation et de maintenance entre la partie sénégalaise SENTER et la SETER, ainsi que l’entrée du Sénégal dans le capital de cette dernière à hauteur de 34%.
Le calumet de la paix
« Le 17 janvier dernier, l’État du Sénégal via la SENTER a confié à la SETER l’exploitation et la maintenance du TER de Dakar pour les trois prochaines années. Ce contrat de service entre la Société nationale sénégalaise SENTER, propriétaire de l’ensemble du patrimoine de TER de Dakar, et la SETER, filiale à 100% du Groupe SNCF, vient couronner l’excellence du travail réalisé en commun depuis 2018 entre la République du Sénégal et la SNCF au service des voyageurs de la région dakaroise et d’une mobilité durable respectueuse du climat », dit le communiqué, se félicitant que depuis sa mise en service, le 17 janvier 2022, soit une année plus tôt, plus de 17 millions de voyageurs soit l’équivalent de toute la population sénégalaise, ont utilisé le TER en prenant « un des 200 trains quotidiens qui transportent jusqu’à 90 000 voyageurs par jour, en toute sécurité et avec une ponctualité de 98% ».
Voilà pour la « vérité » rétablie par les parties sénégalaise et française et pour ce qui concerne la pub du TER, à travers un communiqué rendu public 24 heures avant le voyage en France du Président Macky Sall, dans la foulée de son homologue ivoirien Alassane Dramane Ouattara. Ce qui est devenu une habitude, ne manquant du reste de faire dire au Sénégal comme en Côte d’Ivoire, dans des articles de presse et sur les réseaux sociaux, que ces deux chefs d’État « prennent des instructions à Paris ».
Selon les services de communication de la présidence de la République du Sénégal, le Président Macky Sall a été l’hôte de son homologue français Emmanuel Macron, mardi 31 janvier 2023. Avec le Français, il a « passé en revue l’agenda bilatéral, dans le cadre du renforcement des liens d’amitié et de coopération entre le Sénégal et la France ». Les mêmes services soutiennent que la conjoncture internationale a été évoquée par les deux chefs d’État, de même que le « soutien réaffirmé de la France à la candidature africaine pour un siège de membre permanent au G20 ». Ce qui serait une fière chandelle faite à Macky Sall sur le départ de l’Union africaine les jours prochains, après avoir fait un an à la tête de l’Union africaine. Ce serait bien pour son bilan, voir sa carte de visite, si jamais il nourrissait une ambition aux Nations Unies.
Dakar et Abidjan pour sauver les meubles
Le déplacement du chef de l’État sénégalais en France, dans la foulée de l’Ivoirien, peu après l’article du Figaro, peut traduire cependant, pour Paris, un besoin pressant et vital de raffermir les liens avec Dakar et Abidjan, après Niamey qui accueille une bonne partie des militaires français venant du Mali et récemment du Burkina Faso, qui a “acté” son revirement au profit de Moscou.
En situation délicate en Afrique de l’Ouest, l’administration Macron, sur qui tombe le réveil de l’Afrique francophone et particulièrement de ses jeunesses, essaie de ne se pas faire distancer par la Russie, qui s’installe dans ce qu’elle considérait jusqu’ici comme son pré-carré. Pour ne rien arranger, en plus du Russe Poutine, s’invitent dans danse, le Turc Erdogan, le Chinois Li Jinping, l’Allemand Olaf Scholz et l’Américain Joe Biden dont la Secrétaire d’Etat Janet Yellen était à Dakar dans le cadre d’une tournée africaine de plus de 10 jours, après celle du nouveau ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, dans cinq pays africains. La concurrence est rude. La France dont l’économie « fait de la résistance » selon l’économiste chez Allianz Trade Maxime Darmet, ne peut plus continuer à fonctionner avec des Africains aux ordres. Ces temps là sont révolus.
Paris a intérêt à courtiser la Côte d’Ivoire et le Sénégal, les deux premières économies de l’Union en plus du Niger et son uranium, en attendant de voir venir avec plus de confiance, mais aussi de générosité, de cohérence, de partage, de solidarité. Elle ne peut faire autrement. Sa survie en dépend.
Avec une consommation qui « se porte mal » et des importations qui « chutent », montrant que la demande intérieure est quand même « très faible » selon Darmet, l’économie française n’est pas au mieux, ce d’autant que l’industrie manufacturière “commence à sentir aussi les effets du ralentissement mondial”. Le Mali, le Burkina Faso en Afrique de l’Ouest et la Centrafrique s’équipent en armement chez les Russes, privant d’importantes devises l’industrie de l’armement français que l’on dit aussi en perte de vitesse.
Pour s’être surestimé, pour ne pas avoir vu venir, pour avoir voulu contrôler depuis Paris l’armement de ses partenaires africains, l’Élysée qui s’est lamentablement loupé en Lybie en éliminant Khaddafi paie au prix fort aussi bien la montée du djihadisme au Sahel que le réveil des jeunesses africaines.
La capitale française paie son retard à l’allumage ce d’autant que les Britanniques à travers la British International Investment tracent avec le port de Dakar une “voie plus forte pour le commerce africain avec le reste du monde”. Plus pragmatique que la maternaliste Paris, Londres a compris que l’expansion du port de Dakar sera un atout considérable pour le développement du Sénégal dans les prochaines décennies. Les investissements dans les infrastructures portuaires et ailleurs protégés par la blockchain résoudront les disparités régionales. Il est attendu du port de Ndayane qu’il desserve des parties du Sahel dépendant de cette porte d’entrée. Paris qui n’a pas vu venir n’apprécie peut-être pas. Mais Macky Sall qui « voit grand » ne peut attendre ce d’autant que l’idée de faire d’un supposé de briguer un troisième mandat passerait par l’achèvement, en 2023, de ses grands projets et la promesse de nouvelles infrastructures, routières, aéroportuaires notamment.
Quand Paris se veut neutre
Serait-ce d’ailleurs pour le freiner que Paris a décidé de se faire plus discrète dans la politique intérieure sénégalaise en vue de ne pas irriter la société civile et les opposants, dont un certain Ousmane Sonko leader de l’opposition sénégalaise ? L’intérêt soudain de la presse française (et d’autres médias occidentaux) et non des moindres – RFI et France 24 – pour le leader de PASTEF qui leur a accordé, récemment, des interviews laisse difficilement croire que les autorités françaises n’y sont pour rien. Paris voudrait faire le grand écart qu’il ne procèderait pas autrement. Hors de question pour elle d’être « mackyste ». Elle se donne toutes les chances et n’exclut donc personne. La voilà ainsi faire les yeux doux à Sonko et certainement aux autres opposants sans perdre de vue le président sortant qui n’a pas dit son dernier mot.
Le Sénégalais que l’on sait fin en politique ne devrait pas manquer d’échanger avec son homologue français sur la situation de l’heure au Sénégal, la tension politique, voire de son avenir politique ou international. La France étant un bon soutien dans le concert d’une Union européenne en difficulté économique, politique et sociale.
Qui aurait dit que le vent tournerait un jour et que Paris courrait derrière ses anciennes colonies pour ne perdre pied.
Maderpost / Charles FAYE