Tous les moyens semblent être bons pour venir à bout de la pandémie du coronavirus, notamment au Sénégal où elle commence à faire de sérieux dégâts (377 cas déclarés en 50 jours, pour 5 décès et 242 guéris.) Et, dans ce florilège de dispositifs anti covid-19, le système de traçage mobile est souvent évoqué pour guetter, traquer et dépister le virus.
CORONAVIRUS – Si le tracking est depuis longtemps utilisé dans plusieurs pays, dans le cadre sécuritaire (Lutte anti-terroriste, enquêtes policières etc…) il a aussi était testé par bon nombre de pays infectés (Chine, Corée du Sud, Singapour, Pologne, Israël, Allemagne) pour renforcer leur dispositif sanitaire.
Face à la menace grandissante, le Sénégal ne devrait-il pas explorer la piste numérique ?
Mais, dans pareil cas de figure, l’État sénégalais disposera-t-il des ressources financières suffisantes pour le déploiement d’une telle mesure ? Et, des moyens techniques ainsi que de la ressource humaine nécessaire ? Quid du contrôle de flux quasi incontrôlable des populations ? Le cadre juridique existant est-il favorable à cette “intrusion” dans la vie privée ? Autant de questions qui restent entières…
Tout d’abord revenons-en au concept de traçage téléphonique ou mobile tracking qui est une technique de géolocalisation permettant de repérer et de positionner une personne ou un objet sur un plan ou une carte à l’aide de ses coordonnées personnelles.
De 1960, période de balbutiement du Global System positionning (GPS), aux années 1990 qui ont vu l’avènement des réseaux de téléphonie mobile qui permettaient une géolocalisation par GSM de toute personne munie d’un portable et présente dans les zones couvertes par le réseau, il y a eu de sacrés progrès. En l’espèce, il s’agira de recourir au système d’appairage Bluetooth pour activer le système de traçage de proximité qui se veut simple et fiable tout en préservant les données personnelles recueillies et traitées en temps réel.
Dans le contexte actuel, ces systèmes qui étaient quelque peu l’apanage des forces armées, voire des services de renseignements secrets, qui ont fini d’en faire une redoutable arme silencieuse, sont en passe d’être programmés pour traquer le covid-19. Comme annoncé ci-dessus, à l’instar de la France qui étudie sérieusement cette possibilité de prévention et de riposte (Le traçage mobile ou Backtracking), le Sénégal (377 cas positifs, 5 décès) serait bien inspiré de se pencher pendant qu’il est temps, sur la pertinence ou pas dudit système. Après tout, aucune piste ne devrait être écartée sans une étude minutieuse et approfondie.
En effet, fortement touché par la pandémie (152.8940 cas positifs pour plus de 20.000 morts à la date du 20 avril) le pays de Marianne, a lancé son application dénommée “StopCovid” Une plateforme numérique qui, grâce à la fonctionnalité Bluetooth intégrée dans les téléphones portables permettrait de suivre à la trace les personnes infectées et fichées.
Les cas d’école : La Chine, la Corée du Sud, l’Allemagne et Cie ont fait du traçage téléphonique leur “Traitement numérique’
Il y a des pays qui ont très tôt senti la piste numérique pour l’intégrer dans leur dispositif de riposte anti-covid19. Parmi eux figurent en bonne place beaucoup de pays du continent asiatique dont, la Chine d’où est partie l’épidémie, la Corée du Sud, Singapour, Taiwan, l’Allemagne, Israël, la Pologne…
Les pays asiatiques ont prouvé que le traçage numérique de la population, via la géolocalisation des téléphones mobiles, permet de diminuer voire d’endiguer la propagation du virus et de réduire, par voie de conséquence, le nombre de morts.
En France, comme en Allemagne ou aux États-Unis d’ailleurs, on se concentre sur le développement d’une application semblable à “Trace Together “, utilisée à Singapour.
Selon, le site futura-sciences.com parcouru par dakaractu, c’est le Bluetooth qui est au cœur du système d’identification des malades et des contaminés potentiels. On le sait, la portée du Bluetooth est de quelques mètres, et lorsqu’il est activé sur les téléphones, il permet de “voir” les autres téléphones, ou tout autre appareil connecté, autour de soi.
À Singapour, cette application permet ainsi à une personne de savoir si elle a croisé une personne contaminée, le tout de manière anonyme. C’est même rétroactif : si une personne est testée positive a posteriori, les gens qui l’avaient croisée il y a quelques jours sont prévenus, et invités à rester chez eux ou à effectuer un test. Les données sont ensuite effacées au bout de 21 jours, précise la même source.
Un contrôle quasi impossible du flux des populations au Sénégal… Un risque élevé de non adhésion sociale…
Toutefois, il est évident que les contextes diffèrent d’un pays à un autre voire d’un continent à un autre. Par ailleurs, la propagation de la pandémie et la virulence même du covid-19 varient selon les régions géographiques.
Tout cela pour dire que l’application d’un système de traçage de proximité au Sénégal notamment dans les zones à risque telles que la banlieue dakaroise (Médina, Pikine, Guédiawaye, Ouakam, Keur Massar, Yeumbeul) ou au niveau des autres localités touchées (Touba, Louga, Goudiry, Ziguinchor) risque de se heurter à plusieurs barrières.
D’abord sur le plan social, réussir à sensibiliser et impliquer les populations sur les potentiels avantages de ce mobile tracking, relèverait d’un miracle.
À cela s’ajoute un flux des populations difficilement contrôlable. Il n’est pas rare de voir un ou plusieurs individus se rendre dans plusieurs localités (parfois à risque), dans une même journée. Le tout sans forcément respecter les gestes barrières. Dans ce cas, en quoi est-ce que le traçage de proximité serait-il un bon moyen de prévention ?
Ne faudrait-il pas revenir aux fondamentaux et à plus de responsabilité individuelle puis collective ?
L’on est même tenté de préconiser les tests massifs ciblés à la place.
En réalité, cette mesure telle que souhaitée par bon nombre de nos virologues et autres spécialistes Sénégalais, permettrait de retenir entre les mailles du filets les cas communautaires qui hantent notre sommeil (Déjà 42 cas communautaires sur les 377 cas déclarés depuis le 2 mars.)
Si l’on sait que l’application et le respect des mesures sanitaires de base (Les gestes barrières, le respect du couvre-feu, la distanciation sociale, le port du masque) laissent encore à désirer. Une mesure supplémentaire quand bien-même d’ordre numérique, risque d’être freinée par un manque d’adhésion sociale. Et, d’autre part par la fracture numérique, tout le monde ne dispose pas forcément d’un Smartphone. Au-delà de Dakar, il existe un Sénégal des profondeurs qui est aussi vulnérable face à la pandémie…
La commission de protection des données personnelles (CDP), dirigée par Awa Ndiaye, est interpellée. Dans l’éventualité où l’État du Sénégal aurait besoin d’accéder librement ou sur « autorisation », aux données des sénégalais, le cadre légal le permettrait-il ? Ce qui est effectif, c’est que depuis le 15 janvier 2008, une loi a été adoptée par le Sénat, portant sur la protection des données à caractère personnel.
Mieux, l’article 1 de ladite loi stipule : “(…) Elle garantit que tout traitement sous quelque forme que ce soit, respecte les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques ; elle prend également en compte les prérogatives de l’Etat. » L’article 2 va plus loin et précise :« Toute collecte, tout traitement, toute transmission, tout stockage et toute utilisation des données à caractère personnel par une personne physique, par l’Etat, les collectivités locales…”
Autrement dit, il existe bel bien un cadre qui encadre le domaine en question. Et, protège jalousement les données privées. Reste à savoir si des mesures exceptionnelles pourraient être déclinées dans cette situation d’état d’urgence prolongée jusqu’au 4 mai. Dans ce cas, quel sera la réaction populaire ? Si l’on sait que la loi d’habilitation récemment votée à l’assemblée nationale, pour donner trois mois de pleins pouvoirs au président Sall, ne fait pas l’unanimité…
En outre combien coûterait l’application en question ? Qui se chargera de son pilotage et du suivi à temps réel ? Les fonds force covid-19 seront-ils suffisants ? Autant d’interrogations qui nous pousse à revoir la pertinence d’une telle solution en ce moment où le Sénègal est au bord du confinement total.
Une potentielle source de stigmatisation des personnes « sous surveillance » ?
Enfin, la perception même de la maladie à covid-19 par les Sénégalais, poserait un sérieux problème. Lors de son message face à la nation, le 3 avril dernier, à la veille des 60 ans d’indépendance du Sénégal, le président Macky Sall avait insisté sur le fait que le coronavirus n’était pas du tout une maladie de la honte.
Autrement dit, la plupart des Sénégalais associent quasi systématiquement la maladie à une sorte d’infamie qui ferait de toute personne testée positive, un pestiféré ! Ainsi, le fait de rendre public certaines zones à risque ou de donner des indices sur les cas positifs et ou les contacts suivis, risqueraient de les exposer aux préjugés et à la stigmatisation…
Maderpost / Dakaractu