Avec ses plans de relance qui feraient passer la politique de l’Union Européenne pour une production fauchée, Joe Biden marche sur l’eau. De là à basculer dans l’apologie définitive du président américain ? Gardons la tête froide.
Par Alain Léauthier
ETATS-UNIS – Vous avez aimé la saga Obama, les médias mainstream en pâmoison, fleuris en toutes saisons, jamais en manque de superlatifs, de jugements flatteurs, de portraits avantageux, d’analyses élogieuses ?
Certes, de moins en moins au fil des deux mandats mais qu’importe : ce n’était rien. De la roupie de sansonnet. De la brosse à reluire à peine appuyée. Joe Biden, que notre mauvais esprit imaginait pantouflant en charentaises au coin du feu, est arrivé et si l’on en croit les Une des gazettes, il a chaussé les grandes bottes de Zorro.
« Le Nouveau Roosevelt », « Le Président des travailleurs », « La révolution Biden » Eh, oh consœurs, confrères, « camarades journalistes », gardez-en sous le coude, ça ne fait que commencer. Le meilleur est à venir : « Miracle à la Maison-Blanche », « Joe Tout-Puissant », « Qu’un milliard de fleurs s’épanouissent. » Pas cent, non, un milliard carrément.
C’est qu’avec Robinette Biden Jr, les compliments sont à l’image des plans de relance : plein de zéros qui donnent le tournis et des vapeurs à tous les keynésiens frustrés de la vieille Europe. Sortons les calculettes.
Annoncés peu après sa prise de fonction : 1900 milliards en urgence anti-Covid-19, une bouée de sauvetage pour soutenir de différentes manières les familles les plus modestes frappées par la pandémie, booster les tests, la production de vaccins et l’organisation même de la vaccination.
L’affaire a été adoptée par le Congrès au mois de mars et à une majorité d’une voix (221-220) contre des Républicains mauvais perdants puisqu’un an auparavant, le plan Trump, d’une portée et d’un montant assez similaires, avait bénéficié d’un vote bi-partisan.
“Build back better”
Jusque-là, néanmoins, Joe s’inscrivait dans la dynamique lancée par Donald, caution morale en bonus, puisqu’il est entendu que l’un est le Diable et l’autre le Bon Dieu. La suite est moins classique, inédite même, ont aussitôt expliqué une foule de commentateurs, depuis l’époque où Ronald Reagan vantait les bienfaits du moins d’État et du libre marché, sans d’ailleurs appliquer stricto sensu sa rhétorique « néolibérale » dans les faits.
On ressort donc la calculette : 2250 milliards de dollars pour le « Build Back Better ». Trois B, trois priorités : renouveler les infrastructures, doper l’industrie américaine avec un investissement marqué dans la transition énergétique et la recherche et enfin, un gros, très gros coup de pouce aux plus âgés comme aux plus vulnérables avec un programme de rénovation et de constructions dans le secteur des hôpitaux, des logements, des écoles.
Classe moyenne consolée
Pour moins que cela, il n’y a pas si longtemps, Fox News mais aussi les riches amis de Bill Clinton dans le Parti démocrate auraient brandi le spectre du socialisme rampant. Mais des quatre années écoulées et de la percée incontestable de Trump dans l’opinion américaine, Biden a retenu au moins une leçon : en 2021, la majorité des Américains, en particulier ceux de l’immense classe moyenne malmenée depuis des décennies par les crises financières et l’avènement du tout-digital, veulent plus de protection.
Et forcément un peu plus d’égalité. Dans le travail. L’éducation. La santé. La vie quotidienne. Résultat : un troisième plan à 1800 milliards de dollars visant les familles. Un mixte de dépenses et de crédits d’impôts, incluant notamment un programme fédéral de douze semaines de congé maladie et l’élargissement de l’accès aux maternelles pour tous. Des mesures qui parlent très concrètement à des millions d’Américains.
Total : à la louche 6000 milliards de dollars. Je retiens le rattrapage des dépenses sociales (que nombre de citoyens européens règlent via l’impôt), celui des infrastructures, (un poil moins déclinantes de ce côté-ci de l’Atlantique), et il reste tout de même un investissement sur l’avenir en comparaison duquel la relance façon UE semble avoir été conçue par les scénaristes d’une production fauchée.
La théorie du ruissellement, ça ne marche pas
D’autant que le bon Joe ne s’est pas contenté de sortir son chéquier géant mais aussi des mots magiques dont son prédécesseur, et en vérité nombre d’ex du Bureau ovale, n’imaginaient pas qu’ils puissent séduire autant. Des exemples ? 1) Le « Big Government »- l’État stratège et interventionniste, c’est bien. 2).
La théorie du ruissellement – en clair l’allègement fiscal des plus riches stimule l’économie et profite aux plus pauvres – ça n’a jamais fonctionné. 3) En conséquence de quoi, les premiers, 500 000 foyers concernés, devront participer à l’effort collectif et payer un peu plus d’impôts sur les revenus de leur capital. Le double : 39,6 %. au lieu de 20 %. 4).
Les sociétés, GAFA compris a priori, itou (28 % contre 21 %) signant ainsi la fin du « cadeau fiscal » offert par Trump et le retour à des niveaux d’imposition déjà en cours dans le passé.
Verdict : plutôt positif si l’on en croit la synthèse de divers sondages, y compris concernant certaines mesures aux yeux des électeurs républicains. En embuscade permanente, l’aile progressiste du Parti démocrate, en la personne d’ Alexandria Ocasio-Cortez, s’est dite agréablement surprise par les engagements du président.
Social réformisme
Rien n’est encore acquis. Seul le premier des trois plans a été validé par le Congrès. Les deux autres ont de bonnes chances de l’être puisqu’ils ne requièrent qu’une majorité simple, si toutefois aucune voix démocrate ne manque. Invoquant une projection de l’agence Moody’s Analytics, Biden a promis la création de 19 millions d’emplois. Grâce ses super plans ou en raison du rebond mécanique de l’économie ? Il y a débat.
Le débat c’est bien. Toujours préférable aux condamnations sans nuance ou aux apologies définitives. « Je me marre, confiait ces jours-ci un habitué des cercles de réflexion parisiens. Alors qu’il fait un social-réformisme plutôt tempéré, Biden passerait presque aux yeux de certains pour un héros de la classe ouvrière. Il faut peut-être un peu se calmer…»