L’enfant de Ndiaganiao, 43 ans, devient le cinquième Président de la République du Sénégal à l’issue d’un scrutin que les électeurs ont résumé en un tour, portés à ébullition qu’ils étaient par trois ans de troubles politiques.
TRIBUNE – Bien plus qu’une alternance…
Les déclarations des candidats reconnaissant la victoire de Bassirou Diomaye Faye au premier tour de l’élection présidentielle, ont donné le ton à l’acceptation du plébiscite électoral qui devrait s’accentuer tout au long de cette nuit du dimanche au lundi 25 mars. L’enfant de Ndiaganiao, 43 ans, devient le cinquième Président de la République du Sénégal à l’issue d’un scrutin que les électeurs ont résumé en un tour, portés à ébullition qu’ils étaient par trois ans de troubles politiques. Trois ans marqués par des dizaines de morts, des milliers de détentions préventives, un agenda électoral incertain jusqu’au bout, des polémiques sur le parrainage, des initiatives parlementaires pour remettre en cause le processus, jusqu’à user la corde qui relie les institutions, le Président de la République et le Conseil constitutionnel en particulier.
Un Président bien élu. La pression qui tenait le pays comme dans une étuve a commencé à baisser quand le Président Macky Sall a initié un Dialogue national à Diamniadio, alors que les futurs vainqueurs du scrutin étaient encore en détention au Cap Manuel. S’il a été boycotté par presque tous les candidats au scrutin, ce conclave n’en a pas moins servi de tribune au président sortant l’initiative d’une loi d’amnistie précédée, comme on l’a vu, par des libérations tous azimuts dont celles d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye. Le Sénégal a évité l’impair d’élire un Chef de l’Etat en détention.
UN VOTE REFERENDAIRE
Si sa volonté de « faire participer tout le monde au scrutin, y compris Ousmane Sonko et Karim Wade », comme il l’a révélé à la BBC il y a cinq jours, n’a pu être satisfaite, le Président Macky Sall n’en a pas moins obtenu un retour à la norme, une élection inclusive, la libre expression du suffrage universel avec une administration qui tient son rang. Dans les rangs des partisans d’Amadou Bâ, la parole étant maintenant libérée, on ne manquera pas de souligner les mauvais cadeaux faits par Macky Sall à leur candidat : une désignation sur le tard, une accusation infamante de corruption des juges du Conseil constitutionnel qu’il n’a pas dénoncée, le soutien à l’initiative parlementaire contre lui.
Bref, le sentiment que Macky Sall n’a soutenu Amadou Bâ que contraint, déjà entretenu par la vieille idée que la confiance mutuelle n’a jamais existé entre eux, a lesté le candidat. Amadou Bâ lui-même n’a pu se mettre dans la peau d’un présidentiable au cours de la campagne électorale qu’en se comparant avec Bassirou Diomaye Faye, en lui opposant son « expérience ».
On connaît la suite. L’éditorialiste français Alain Duhamel écrivait ceci : « Personne ne devient président de la République au suffrage universel direct par-hasard ou par distraction. À ce stade de responsabilités suprêmes, il y faut un appétit spécial, une conscience aiguë de ses propres capacités ». Pour ce vétéran du journalisme hexagonal « Au-delà des projets, des programmes, des plates-formes, des convictions, il y a là un investissement personnel hors du commun, une propension à s’identifier avec le pouvoir de la république, que tous ceux qui l’exercent possèdent peu ou prou ». Amadou Bâ n’a pas su s’inscrire dans ce moule.
Le « bilan », illustré par de nouvelles infrastructures (désenclavement) et des avancées certaines dans beaucoup de domaines (soutiens aux couches démunies, gratuité de certains soins, soutiens aux prix, hausse des salaires, recrutements dans la fonction publique, ville nouvelle de Diamniadio, élargissement de la carte universitaire) que la clameur électorale et l’usure du pouvoir ont noyées, n’aura pas pesé lourd ; certains soulignant plus, du reste, son aspect immatériel qu’autre chose ; l’image du pouvoir, la gestion des hommes, la confiance, l’espoir…
Un plébiscite donc pour le nouveau Président Bassirou Diomaye Faye qui a opéré une véritable razzia électorale. Des terroirs jusqu’ici grands électeurs des pouvoirs sortants (Sine-Saloum, Saint-Louis, Louga, Tambacounda) ont voté pour le principal candidat de l’opposition au premier tour d’un scrutin présidentiel. Et quand les régions de Dakar, Diourbel et Ziguinchor plus la Diaspora s’y mettent, ça donne un score sans appel.
Les électeurs ont dit « Oui » au changement radical proposé par le Pastef. Pourquoi les Sénégalais ont-ils eu hier un comportement presque référendaire en glissant leur bulletin dans l’urne ? Un engagement politique mûri, planifié et exécuté par des acteurs politiques déterminés –sans gants sur la manière- a rencontré un électorat chauffé à blanc, brûlant du désir de sanctionner, qui avait besoin de se relancer en visitant une perspective insoupçonnée, et se donner un nouveau bol d’air après douze ans avec Macky Sall.
XBET ET JAKARTAS
Le Ps, le Pds et maintenant « Benno », tous passent à l’échafaud après une décennie. D’autant que le contexte économico-social est oppressant. Surtout le coût de la vie. Des milliers de jeunes prennent les chemins de l’émigration clandestine, le chômage est endémique, et jusqu’à présent aucun pouvoir n’est parvenu, depuis l’indépendance, à réussir un programme de plein emploi, alors que la démographie galopante inhibe les résultats économiques. 909 milliards FCfa sont consacrés à l’Education et 271 milliards à la Santé dans le budget de l’Etat pour 2024, mais les Sénégalais préfèrent inscrire leurs enfants dans les écoles privées et se soigner dans les cliniques que recourir au service public.
Dans nos campagnes, l’agriculture est toujours dominée par celle pluviale, de sorte que les villes abritent un sous-prolétariat qui ne demande qu’à vivre et qui n’a toujours pas accès aux services sociaux de base. La débrouille quotidienne est le lot de milliers de pères de familles et de jeunes, s’ils ne misent pas leurs espoirs sur XBet pour s’acheter une moto Jakarta, alors que la perception globale est que « ceux d’en haut s’enrichissent », ce qui crée de lourdes fractures sociales s’exacerbant avec la fausse loupe des réseaux sociaux.
Tout un vocabulaire autour du pétrole et du gaz, de l’étranger qui capte nos ressources, l’ostentation des riches et la rumination des indigents, le sentiment d’impunité allégué comme toujours aux tenants du pouvoir, a servi de discours d’escorte au « Projet ». Nous y voilà ! Dix ans après sa création, Pastef arrive au bout de son projet. Plutôt au commencement, devrait-on dire, car ce n’est pas une simple alternance que vit en ces heures historiques le Sénégal.
Maderpost