ENTRETIEN – Après six années à la tête du Conseil économique, social et environnemental, Aminata Tall a quitté l’institution, escortée par les sirènes de la discorde. Dans cet entretien exclusif accordé à «L’Obs», l’ex-présidente du Cese jauge sa gestion, analyse son compagnonnage avec le Président Sall, pèse sa base politique de Diourbel, se confie sur les comités électoraux parallèles de Benno bokk yaakaar et son vœu de ne plus être maire de Diourbel. Mais, sororité oblige, la «marquise de Ndiarème» rétablit la peine de mort contre la flambée des meurtres et autres violences faites à ses paires.
Entretien !
Après six ans à la tête du Conseil économique, social et environnemental (Cese), quel bilan tirez-vous de votre gestion ?
Je pense que le bilan est suffisamment clair, tel qu’exprimé à la remise du rapport des travaux quinquennaux, à la fin de la mandature, de même qu’à la cérémonie de remerciement aux conseillers et à l’administration. Plus de quarante rapports ont été remis au président de la République, contenant des réformes de plusieurs ordres dans tous les domaines de la vie économique, sociale et environnementale du Sénégal, avec des recommandations suivies pour certaines années, à 87%, pour d’autres, à 69 ou 75%. Outre des sessions règlementaires sur les cinq ans, nous avons fait plus de deux-cent auditions, visité huit-cent structures techniques. Au plan national, on a eu trois saisines du président de la République sur des questions majeures, dont le gaz, le Code des marchés publics, sur lesquelles, nous lui avons donné des recommandations avisées d’experts, après plusieurs consultations sur le gaz, par exemple, qui ont abouti à un cadre référentiel qui, aujourd’hui, a servi au Cos Pétro-Gaz. Nous avons eu également à recommander, sur les réformes administratives, plus de célérité dans le traitement des dossiers, d’accessibilité aux usagers et de considération pour les administrés. Pour ce faire, il avait été proposé la dématérialisation des procédures pour gagner sur le papier et sur le traitement des dossiers, comme au sein du Cese, dont les membres travaillent sur tablettes pour disposer de tous les éléments de traitement, qu’ils soient alphabétisés ou pas.
Quelles sessions vous ont le plus marquées ?
Toutes ont été marquantes, pour la bonne et simple raison que les sujets qui y sont traités sont des questions prospectives et concernent les générations à venir, c’est-à-dire au delà de toutes contingences politiques en matière de mandat et de gouvernance. Donc, toutes les sessions ont été d’actualité et de pertinence. Si la session sur les ressources naturelles, est importante, celles sur la vie actuelle ne peuvent pas ne pas l’être.
Quelles grandes innovations avez-vous apportées à l’institution ?
Nous avons innové par la mise en place d’une administration forte. Quand on venait au Conseil renforcé par le volet environnemental, la structure comprenait le président, le secrétaire général et l’Acp affecté par le ministère de l’Economie et des finances. Il n’y avait pas cet engouement dans la réflexion et ce soutien à la préparation de recherche. Nous avons instauré le principe de recherches, avec la création de cinq (5) directions : une direction des études de la planification et de la recherche, une direction de l’administration et des finances, une direction de la coopération internationale et du partenariat, une direction du protocole. En plus, nous avons mis en place un observatoire composé d’une cellule scientifique d’experts puisés à partir d’une liste d’experts nationaux et internationaux qui travaillent à la recherche de sujets pertinents dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques. Ils avaient à charge d’élaborer des termes de référence, une fois que la proposition a été nettoyée, proposée au bureau, acceptée et amendée par les commissions. Ce qui est inédit dans l’histoire du Cese.
Comment avez-vous appris la fin de votre mission à la tête du Cese ?
Ce sont les décrets qui régissent la vision de l’institution sur les décisions prises par le président de la République. C’est par décret que j’ai appris que je devais partir. J’ai été informée par le président de la République.
Cela a été une surprise ?
Non, si je considère que du point de vue du principe, nous avions renoncé à nos ambitions et lui (Macky Sall) avons accordé ce pouvoir de décider des postes ou positions que nous devions occuper.
D’aucuns disent que vous avez piqué une colère noire contre votre remplaçante, Aminata Touré, et que pour cela, vous refusez de vous plier aux exigences républicaines la passation de service. Qu’en est-il ?
Au Sénégal, les gens parlent beaucoup sans réelle maîtrise des sujets. D’autres se font écho de fausses informations. Je n’ai pas piqué de colère contre mon successeur (Aminata Touré). Je n’ai pas une raison de piquer une colère. Si je devais piquer une colère, ce serait peut-être contre le décideur (Macky Sall). Mais, si je reconnais que je fais partie de ceux qui l’ont élu, donc qui lui ont donné ce pouvoir, pourquoi piquer une colère ? Ça c’est un. De deux, la passation de service, les gens en parlent sans savoir ce que c’est. C’est la raison pour laquelle, j’ai attendu la dernière minute, après toutes ces supputations, pour sortir un communiqué et dire qu’il n’y a pas de passation entre institution. C’est un décret de 1978-031 signé du président de la République, Léopold Sédar Senghor, qui organise les passations de services et les institutions sont exclues de toutes les structures citées par ce décret. Vous n’avez encore jamais vu à l’Assemblée nationale une passation de service. N’est-elle pas une institution ? C’est une institution parlementaire. Vous n’avez jamais vu une passation entre présidents de la République. Ce sont des visites de courtoisie. Vous n’avez pas encore vu des passations de service dans l’histoire du Conseil économique, social et environnemental (Cese) du Sénégal, quelles que soient les appellations que cette institution a portées. Alors, je pense que c’est par ignorance que les gens ont parlé. Et, les ignorants, il faut les laisser parler jusqu’au bout du tunnel et leur donner l’explication argumentée. Moi, je suis une régalienne. Je ne me refuse jamais à des principes régaliens ou à des pratiques régaliennes. J’ai été ministre au moins neuf (9) fois et chaque fois, j’ai fait des passations des services. Je ne me suis jamais soustraite à un devoir ou une obligation régalienne. Mais quand l’administration a ses règles définies par la loi et les décrets, je n’accepte pas qu’on l’enfreigne. Ceux qui parlaient n’avaient rien compris, il fallait attendre la dernière minute pour leur jeter à la figure ce qui doit se faire. Les inspecteurs généraux sont des sentinelles du respect de la règlementation. Eux savent qu’une passation de service de ce genre ne peut pas se faire. Parce que le président, lui-même et le conseil sont installés par le président de la République. Les gens l’oublient, mais nous avons été installés et réinstallés (Rires) quand il a renouvelé le mandat au Palais de la République, la première fois dans un hôtel de la place. Mais cette fois-ci, il y a comme un problème de jurisprudence. J’ai considéré que les gens ont parlé par ignorance des textes et me suis fait le devoir de rappeler les dispositions du texte, sans donner les références et d’attendre le jour de l’organisation d’au-revoir des personnes avec qui nous avons tissé des relations de fraternité, avec qui nous avons le même objectif de travailler dans l’intérêt du Sénégal et que nous continuerons de mener hors cadre du Cese. Aussi ai-je attendu ce jour (vendredi 31 mai 2019) pour leur brandir le décret. Puisque l’administration, je pense que je la connais. Je la pratique depuis 1981.
Aminata Tall va-t-elle poursuivre son compagnonnage avec le Président Macky Sall ?
Je n’ai pas encore de raisons de ne pas poursuivre mon compagnonnage avec le Président Macky Sall. Le jour où j’en aurai, je tirerai les conséquences. Il a toujours développé un sentiment de respect, de considération et d’ amitié pour moi et pour ma famille. Le jour où ça cessera, je prendrai mes responsabilités.
Etes-vous candidate à la mairie de Diourbel pour les prochaines élections locales ?
J’ai renoncé volontairement à une candidature à la mairie de Diourbel depuis 2008 où j’ai signé le dernier contrat pour les serrures de Diourbel, avec l’Agence de développement municipal (Adm). J’avais dit : puisque les promesses du chef de l’Etat (Abdoulaye Wade à l’époque) en direction de Diourbel n’étaient pas tenues, je n’avais plus le cœur à briguer un suffrage pour rester maire de Diourbel. Je suis restée 7 ans à la mairie, parce qu’il y avait une prolongation de deux (2) ans. C’est moi qui ai renoncé volontairement à briguer la mairie. Donc, ce n’est pas maintenant que je vais retourner à la case-départ. Moi, j’ai des principes et je marche sur des principes. Je ne marche pas en reculant.
«A Diourbel, je n’avais plus rien à prouver»
Déplacer votre lieu de vote à Dakar a été déploré par nombre de Diourbellois. Cela n’a-t-il pas affaibli votre base politique ?
Ma base politique n’a jamais été affaiblie. Au contraire, elle s’est renforcée, élargie au niveau national et international. J’ai des militants un peu partout au Sénégal. En atteste lors du parrainage, les 58 307 signatures que j’ai remises au président de la République, compte non tenu de ce que j’ai retenu dans mes tiroirs. J’ai donné en deux temps. La première fois, c’était 46 000 signatures, la deuxième fois, 12 307 signatures. Un total largement au dessus de ce qui était demandé pour être candidat à l’élection présidentielle. Je pouvais le faire. Mais j’avais déjà renoncé à ce principe pour accompagner le Président Sall. C’est dire que ma base s’est élargie puisque dans les textes du parrainage, il était demandé un certain nombre, dont sept (7) régions. Il fallait une base locale, nationale et internationale. Donc, le transfert de mon lieu de vote à Dakar, c’est parce que j’y ai des militants. A Diourbel, je n’avais plus rien à prouver et il y a une génération que je voulais faire monter. Je n’aime pas la routine, il fallait laisser les autres, les mettre à l’aise pour qu’ils soient à égalité générationnelle, que la compétition soit saine, sans pour autant que j’intervienne. J’ai fait autant je pouvais pour réaliser une unité au bénéfice de l’Alliance pour la République (Apr). Ça n’a pas été possible.
« En 2024, le Président Sall ne sera pas candidat »
Vous parlez de dimension nationale et internationale, en 2014, peut-on s’attendre à ce que vous soyez candidate à la Présidentielle ?
En 2024, le président de la République, Macky Sall, ne sera pas candidat. Je le suppose. De ce que je sais, il ne briguera pas un troisième mandat. Maintenant, je ne peux lire dans sa tête, et savoir non plus, puisque 2024, ce n’est pas maintenant, de quoi demain sera fait. Qui il va désigner ou proposer ? Comment les réactions vont se faire ? Je ne sais pas pour l’instant. Donc, c’est l’avenir et laissons-le à Dieu.
A chaque scrutin, vous, alliés de Bby, allez en rangs dispersés, avec des commissions électorales parallèles. Qu’est-ce qui explique cela ?
Le Benno Bokk Yaakaar ici à Diourbel, je ne le considère pas aller en rangs dispersés, parce que la majorité de cette coalition sont qui travaillent avec moi. Ça, il faut avoir l’honnêteté de le dire. Nous avons tous les alliés pratiquement, à l’exception de deux qui travaillent avec nous. Nous avons des mouvements, des membres des autres coalitions qui se sont reconstitués et sont venus travailler avec moi. Mais comme je ne vais pas prendre une responsabilité locale, je suis dans mon rôle d’accompagnatrice. Si maintenant, certains responsables de l’Alliance pour la République (Apr) considèrent que mon intervention est une intervention partiale, pour ne pas les gêner, je me suis dit : j’accompagne comme je veux. Je leur tends la main, je participe en finance, les appelle et leur parle. S’ils n’ont pas compris que je ne suis qu’une facilitatrice et une accompagnatrice, je ne perds pas mon temps. Je crée une structure et je travaille. Les résultats de cette structure viennent s’ajouter à ce que les autres font pour donner la victoire au Président Macky Sall.
« Je ne suis pas invitée au dialogue, donc je ne peux y participer »
Quelle lecture faites-vous du dialogue national appelé par le président de la République ?
C’est une bonne chose. Je considère, comme j’avais dit, que le président a fait ce qu’il avait à faire. Il avait tendu la main à plusieurs reprises. Puisque c’est dans le dialogue qu’on peut s’entendre, renforcer la démocratie, trouver un consensus et assez aplanir les aspérités d’incompréhension. Donc, c’est un élément constant qu’on doit soigner dans le renforcement de la démocratie.
Quels axes stratégiques en préconiseriez-vous ?
Je n’ai pas participé à une cellule de réflexion qui définit les termes de référence. Il faut demander à notre président de la République ou à l’actuel président du dialogue, notre frère Famara Ibrahima Sagna.
Comptez-vous y participer ?
J’ai toujours participé au dialogue à ma manière. Mais là, je ne suis pas invitée, donc je ne peux pas y participer. Ce que je pense, je le garde pour moi (Rire).
Certains opposants, comme Ousmane Sonko, qualifient ce dialogue de cirque. Que pensez-vous d’une telle posture ?
C’est une position personnelle. Je ne veux pas apprécier la position des autres. Je respecte la position de chaque acteur.
Pour le Professeur Abdoulaye Bathily, ce dialogue est inutile, parce que ne pouvant égaler les Assises nationales et la Commission nationale de réforme des institutions. Etes-vous d’avis ?
Je n’apprécie pas, je ne peux pas juger des positions des uns et des autres. Donc, je ne réponds pas à cette question. C’est une position personnelle. Je respecte la position de chacun des citoyens. C’est ça aussi la démocratie.
« Je serai parfaitement pour un retour à la peine de mort »
Quelle lecture fait le ministre de la Famille que cous avez été, de la recrudescence des cas de meurtres et viols ?
Je suis désolée de dire que je suis très au regret de constater une recrudescence de la violence faite aux femmes, aux jeunes. Ces tueries tous azimuts depuis quelques années, sont des choses à régler définitivement. Les sanctions doivent être exemplaires, parce que la vie d’une personne est précieuse. J’ai été très choquée quand l’une de mes vice-présidentes a été égorgée par un de ses chauffeurs. C’est inouï, inacceptable. Deuxièmement, je vois également qu’il y a beaucoup de violences à travers les viols aux femmes. Ça aussi, il faut le rappeler, le dernier cas en atteste à Tamba, dans des conditions franchement incompréhensibles. Des personnes, proches des familles, habituées et qui jouent avec la vie d’autrui. Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités et donne des sanctions exemplaires. A ce sujet, je pense que la loi doit être revue en fonction du contexte pour dissuader les gens. J’en profite pour présenter mes condoléances à toutes ces familles concernées et appeler les populations à une mobilisation constante de solidarité contre de tels faits.
Pensez-vous dissuasif le retour de la peine de mort ?
Absolument, nous sommes des musulmans. A la Mecque, si vous tuez, on vous tue. Vous volez, on vous coupe la main une première fois. Vous récidivez, on vous coupe la deuxième main. Je pense qu’il faut qu’on en arrive là, parce que le Sénégal est une nation et notre culture ne nous autorise pas à laisser un certain banditisme et un vagabondage créer des situations de phobie permanente. Ce n’est pas normal. Je serai parfaitement pour un retour à des sanctions exemplaires et pourquoi pas à la peine de mort. Si quelqu’un tue, il mérite la mort. Dieu n’a pas créé les hommes et les femmes pour qu’ils décident la mort d’autrui.
PROPOS RECUEILLIS PAR SAËR SY/L’OBS