Malgré de remarquables avancées démocratiques (multipartisme intégral en 1981 et adoption du code électoral consensuel en 1992), la gouvernance politique du président Abdou Diouf fut marquée par une dérive, consubstantielle au présidentialisme hérité de Senghor. Elu à la tête du pays, deux années après le retrait de Senghor dont il continua la présidence, Abdou Diouf inaugura son cycle électoral par « la désenghorisation » dans la gestion du parti et de l’Etat. Sous le pilotage de Jean Collin, il donna libre cours à un « régime présidentiel déconcentré » mais avec des pouvoirs plus étendus pour le président. Entre 1996 et 2000, c’est le temps des réformes presqu’unilatérales, initiées par le PS, dont la longévité au pouvoir a réduit la lucidité et donné l’illusion d’une invincibilité dont il ne va pas tarder à revenir. Abdou Diouf ne s’était pas converti à l’autocratie, mais l’usure du pouvoir l’avait éloigné de certaines réalités et affaibli son jugement politique. Et survint la première alternance à la tête de l’Etat sénégalais.
TRIBUNE – “Sénégalaises, Sénégalais, Une fois de plus, me voici devant vous, en ce soir du 31 décembre 1980, pour vous présenter mes vœux. Auparavant, je voudrais, comme président de la République du Sénégal, vous faire mes adieux. C’est par ces mots que Senghor entama son dernier discours à la Nation sénégalaise.
Auparavant, il avait propulsé au pouvoir, son premier ministre, Abdou Diouf, en modifiant, au profit de celui-ci, au grand dam des barons du Parti socialiste de l’époque, un article d’une Constitution jusqu’alors sacrée. Une révision qui établissait une règle successorale de transfert du pouvoir du Président au Premier ministre, en cas de démission ou d’empêchement, en cours de mandat.
Le deuxième Président de la République du Sénégal demeure, à ce jour, à bien y réfléchir, le seul acteur politique socialiste à ne s’être jamais défini ou positionné comme héritier de Senghor, contrairement à Moustapha Niasse ou à Djibo Kâ, en leur temps. « Je suis fidèle à Senghor […]. Mais je sais que le monde évolue. Les problèmes sont complexes, difficiles, changent tout le temps et il faut changer avec son temps. Par ailleurs, je n’ai pas le tempérament de Senghor. Je n’ai pas suivi le même cursus que lui. Il est d’une certaine formation. Je suis d’une autre formation. ». Ce à quoi Samba Diouldé Thiam, un des leaders de l’opposition de tradition marxiste, avait répondu : « Vous avez enterré Senghor politiquement, affectivement et psychologiquement et pourtant, il fut votre bienfaiteur, votre maître à penser ».
Une telle posture relève, à bien des égards, du paradoxe. Ce qui est frappant est qu’Abdou Diouf, soutenu par ses partisans, s’est attelé à gommer le triptyque : négritude- socialisme africain – francophonie, a dirigé après sa défaite à l’élection présidentielle de 2000, l’Organisation Internationale de la Francophonie dont Senghor fut un des initiateurs.
Le second paradoxe réside dans le fait que Diouf a introduit de remarquables avancées démocratiques telles que le multipartisme intégral en 1981, l’adoption du code électoral consensuel en 1992 et une grande élégance devant la défaite en 2000, alors que dans le même temps, son parcours est marqué par une dérive quasi monarchique, consubstantielle au présidentialisme hérité de Senghor.
Au début de l’année 1980, l’annonce du départ de Senghor avait été savamment distillée dans la presse étrangère d’abord, confirmée par la presse officielle sénégalaise ensuite. Mais dans ses Mémoires, Abdou Diouf, révèle qu’il avait été pressenti dès 1964 comme le successeur de Senghor : « J’étais encore Directeur de Cabinet et en janvier 1964, il y avait une réception au Palais. Le Président Senghor avait longuement discuté avec mon épouse et je m’étais d’ailleurs posé des questions sur le sujet de cette discussion. Après la réception, une fois à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, elle me révéla ce que le Président lui avait textuellement dit : « Madame Diouf, je vous demande de soutenir votre époux. Il a toutes les qualités. C’est d’ailleurs à lui que je pense pour ma succession ».
De celui qui fut le plus jeune gouverneur, Secrétaire de la présidence à 27 ans, ministre à 32, Premier ministre à 34 et président de la République à 45 ans, l’histoire retiendra que son arrivée à la tête de l’Etat a eu pour conséquence une redistribution du pouvoir.
De son premier poste à celui de Président de la République, voilà celui qui a été au pouvoir le plus longtemps depuis l’indépendance ! En évinçant petit à petit les chefs historiques (les barons), comme s’il avait choisi leur faire avaler une cuillère de fiel à l’aigre mixture, il promeut une nouvelle catégorie de « leaders », dont la plupart n’ont ni base politique, ni réseaux clientélistes. En revanche, la nouvelle classe politique, formée dans les arcanes administratifs et dotée d’une légitimité technocratique, est largement dépendante de lui. Les fonctions gouvernementales conditionnent la distribution des positions dans le parti. Elles facilitent les « parachutages » dans les sections de base. Affaire de méthode et de tempérament.
En prêtant serment le 1er janvier 1981, Abdou Diouf disposait de deux années pour terminer le mandat de son prédécesseur, marquer son empreinte et asseoir son autorité. Mais, son influence, du fait de son statut d’héritier désigné était limitée par la nécessité de maintenir une politique dans la continuité de son prédécesseur. Or le pays était dans une conjoncture sociale, politique et économique en dégradation continue.
Le parti socialiste purgé de ses « barons », il n’y avait plus de boucs émissaires qualifiés « d’adversaires de l’ouverture démocratique », de « responsables des fraudes électorales », « des incohérences et insuffisances du système politique dénoncés par l’opposition ». Une nouvelle tendance se fait jour, dans la gestion du parti et de l’Etat. C’est ce que l’on a appelé « la désenghorisation » : au plan politique, la Négritude est mise sous le boisseau et substituée par une théorie aux contours flous : « le sursaut national ». Des ingénieurs, gestionnaires et administrateurs civils, forts d’un capital universitaire, mais ne disposant pas de base politique, répondent à l’appel. Un homme avisé, connaissant parfaitement le personnel politique du pays et à qui on a octroyé des ressources matérielles et financières exceptionnelles est à la manœuvre : Jean Collin.
Le contexte à l’arrivée au pouvoir de Diouf, est celui de la grève générale des enseignants du Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants du Sénégal (Sudes). Largement suivie, cette grève ouvre une période de conflits avec l’Etat qui sanctionne à tout-va : mutations, licenciements, rétention de salaires. C’est ainsi que furent lancés les Etats Généraux de l’Education et de la Formation en janvier 1981.
Dans ses conclusions, le rapport insistait sur une réforme de l’organigramme du système éducatif, l’introduction des langues nationales, la réorientation de l’enseignement supérieur vers la demande de l’économie et de la société, la formation en alternance.
Mais les recommandations n’ont pu être appliquées pour cause essentiellement, de stagnation du budget de l’éducation qui ne laissait aucune marge de manœuvre pour le financement d’innovations majeures. A quoi il faut ajouter un prêt de la Banque mondiale au bénéfice du programme d’ajustement structurel qui imposait des limites aux dépenses d’éducation, notamment un quota très restreint de recrutement de nouveaux enseignants. Aux perturbations du système d’enseignement, s’ajoutent les manifestations des formations politiques clandestines, mais surtout les exigences économiques et sociales liées aux effets de ce que l’on a appelé les « plans de stabilisation »
S’il faut se prononcer sur la valeur ajoutée qu’en termes démocratiques les réformes ont apporté, la palme serait sans doute attribuée à la révision du 6 mai 1981, qui, sur deux points importants, innove. D’une part, elle fait sauter le verrou de la limitation du nombre de partis d’une part, et consacre d’autre part, une liberté, celle de créer des formations politiques, que d’aucuns, aujourd’hui estiment l’usage abusif.
Concomitamment, la loi portant sur l’enrichissement illicite contribue à tenir en respect les barons et leurs alliés, aménageant ainsi un espace pour les nouveaux ralliés au régime. En 1983, après sa victoire il décide de supprimer le poste de Premier ministre
Mais, la nature du projet politique posait question. Cependant, il s’impose par petites touches, en s’appuyant sur la réputation de « technocrate compétent, poli et honnête » dont Diouf bénéficiait. Ce qui lui manquait pour asseoir son pouvoir c’était des ressources politiques, idéologiques et symboliques différentes de celles mise à l’œuvre et à l’épreuve par Senghor, pouvant être utilisées pour une consolidation. La tradition et le personnage du griot sont appelés à la rescousse en la personne de El Hadj Mansour Mbaye.
« Le gardien de la Constitution » (une appellation qu’avait donnée Lamine Guèye à Vincent Auriol, président socialiste de la France entre 1947 et 1954), « le président de tous les Sénégalais », « l’homme de Taïf », « le héros de Maïdiguri ». Des slogans qui participent à la construction et à la diffusion d’une idéologie pour contrer celle de l’opposition qui ne voyait en Diouf que « l’homme de Senghor ». Le récit consistait à lui trouver une marque qui écrit l’histoire et la mythologie du et au quotidien.
On effaçait ainsi des mémoires de son parti sur lesquelles Diouf n’avait jamais exercé aucune influence, lui, le Secrétaire général adjoint du parti au pouvoir de Senghor, pendant dix ans. En contenant le Parti socialiste débarrassé de ses barons et de potentiels rivaux à l’interne, Diouf favorise parallèlement la liberté de la presse mais surtout le multipartisme intégral. Tout en prenant la précaution juridique d’exclure toute possibilité de coalition électorale, il donne les gages d’un scrutin libre et sincère, avec la promulgation d’une nouvelle loi électorale en 1982.
Une loi qu’il qualifie de « meilleur code électoral du monde ». Cela n’a nullement empêché ses opposants de parler, au sujet des élections du 27 février 1983, de « coup d’État civil électoral ».
Tensions
Jean Collin et Habib Thiam s’attelent à l’administration de la continuité, en jouant sur plusieurs registres. Le nouveau président et ses partisans arrivent sans beaucoup de mal aux élections présidentielle et législatives de 1983. Le fait marquant est que Diouf a réussi à dissocier le parti des groupes de soutien nés dans le contexte de ces élections-là (les plus connus sont le Cosapad, le Gresen, le Conagrisapad). Ces groupes, hors ou à la limite du parti au pouvoir, étaient quasi inexistants, de même que la cooptation de non-membres du PS au gouvernement. Il inaugure une nouvelle forme de clientélisme, les comités de soutien participant à la légitimation de celui qui a accédé aux fonctions de chef de l’Etat sans élection, mais grâce à une réforme constitutionnelle introduite par son prédécesseur moins d’un an avant sa démission.
Après les élections de 1983, la liste des comités de soutien s’allonge dans la perspective de celles de 1988. Suggérée par Jean Collin, elle est complétée par la création d’associations de soutien à sa propre action, doublure des comités de soutien, mais cette fois-ci à l’intérieur du parti : Association des amis de Jean Collin pour le soutien au Président Abdou Diouf, Regroupement autonome des policiers retraités, amis de Jean Collin pour le soutien à l’action du Président Abdou Diouf, Regroupement autonome des amis de Jean Collin , Fondation Abdou Diouf Sport Vertu, Abdoo Ñu Dooy regroupant 1450 personnalités dont l’objectif est la réélection d’Abdou Diouf en février 1988, Comité national d’action et de soutien des enseignants pour la réélection du président Abdou Diouf.
Au plan syndical, la même stratégie est adoptée pour capturer la Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal (Cnts) qui finit par se scinder en deux tendances : celle « conservatrice » et celle du « renouveau syndical ».
A l’élection présidentielle de 1983, du fait d’un score écrasant, Abdou Diouf inaugure son cycle électoral de nouveau chef du parti-État et de l’Etat. Il entreprend de grandes réformes relatives au pouvoir d’Etat. C’est ainsi que la fonction de Premier ministre est supprimée (puis rétablie en 1991) et ses attributions confiées au Secrétariat de la présidence de la République, qui devient le centre du nouvel environnement politique, économique et social et l’« entrepôt de l’essentiel de l’économie de prébendes ». Ce faisant, consolide sa suprématie en imprimant à son action, un sceau plus personnel.
Les députés pouvaient introduire une motion de censure qui pourrait amener à présenter sa démission et celle de son gouvernement. Qualifié de « régime présidentiel déconcentré », on note une certaine analogie avec le régime français, sauf que le président sénégalais avait des pouvoirs plus étendus que son homologue français.
On note également un réaménagement du pouvoir judiciaire avec la réforme de 1992 qui introduit le Conseil constitutionnel et un Conseil d’Etat- il existe un certain nombre de réformes dont la portée, en termes institutionnels est moindre : réorganisation des conditions de travail du Parlement, précisions sur les conditions d’élection du président de la République…
La Casamance et les voisins
Pendant qu’il renforçait son pouvoir, en Casamance, les tensions montent autour du foncier, particulièrement à Ziguinchor. Bien qu’elle soit toujours restée partie intégrante de la vie administrative et économique du Sénégal, le malaise s’approfondit même au Parti socialiste où des luttes factionnelles se font en partie, au nom de l’autochtonie.
Les partis d’opposition, et en particulier le Parti démocratique sénégalais, alors influent à Ziguinchor, alimentent la contestation contre la mairie socialiste dénoncée à la fois comme « nordiste » et corrompue. Deux hommes en particulier concentrent et canalisent ces tendances variées au contenu politique très inégal : l’abbé Augustin Diamacoune Senghor en Casamance et Mamadou « Nkrumah » Sané à Paris. Ils formulent une revendication de type nationaliste, et exigent l’indépendance de la Casamance. Ils structurent la lutte, en reprenant à leur compte le sigle du MFDC.
La suite est connue : des arrestations « préventives » opérées par l’Etat, qui ne font pas échec à la manifestation du 26 décembre 1982. La nouvelle poussée de tension un an plus tard, autour du procès des personnes arrêtées, avec la mort violente de plusieurs gendarmes à Diabi, la marche, les armes à la main, organisée en décembre 1983, et la rude sanction qui s’abat sur les cercles séparatistes, pousse les militants réfugiés le long de la frontière bissau-guinéenne à s’organiser. A la fin des années 1980, Atika, la branche armée du mouvement se procure des armes. L’Etat sénégalais adopte la politique de la carotte et du bâton : répression et gestes d’ouverture qui aboutissent en 1991 à la signature du premier d’une longue série d’accords entre l’Etat et les séparatistes. Le contexte a également balisé le chemin qui a débouché sur des conflits d’intensités inégales avec la Gambie et la Guinée Bissau.
En 1981, Diouf inaugure sa politique étrangère avec la Gambie qui est à…l’intérieur du Sénégal. Le président gambien, Dawda K. Jawara présent à Londres pour assister au mariage du Prince Charles et de Lady Diana, est victime d’une tentative de coup d’Etat. Il appelle à la rescousse Abdou Diouf qui le rétablit dans son fauteuil présidentiel.
A la fin de la même année, nait la Confédération de la Sénégambie qui meurt en décembre 1989 suite à de nombreuses tensions. Pourtant durant cette période (1981-1989) des résultats notables sont enregistrés notamment dans les secteurs du transport et de la communication.
Son échec se trouve dans l’insuccès des tentatives d’accord sur les modalités d’une union économique, dû aux grandes différences des systèmes économiques des deux pays. Sur le plan de la défense, les Gambiens en ont été les plus grands bénéficiaires, le Sénégal supportant 80% des dépenses.
L’écroulement de la Confédération réside également dans le fait de l’absence de soutien, de confiance ou de consensus des populations et s’inscrit dans le cadre plus global des conflits régionaux notamment entre le Sénégal et la Mauritanie d’une part et avec la Guinée Bissau, d’autre part.
La mort de la Sénégambie en décembre 1989, est décrétée alors qu’éclate en avril de la même année, un conflit avec la Mauritanie, résultat de conjonctions de problèmes en suspens et leurs interférences tant au niveau de la frontière qu’à l’intérieur des deux Etats. Au Sénégal, la tension non gérée, encore vive entre le pouvoir et l’opposition du fait du contentieux électoral de 1988 et en Mauritanie, une opposition de plus en plus active des groupes de populations négro-africaines
Un conflit à Diawara (village près de Bakel) a mis le feu aux poudres, opposant des cultivateurs et des pasteurs. Une répression sanglante s’en suit avec prise d’otages par des forces mauritaniennes. La réponse ne s’est pas faite attendre au Sénégal, où l’explosion a eu lieu dans les villes. Aux pillages des échoppes mauritaniennes au Sénégal, la réaction en Mauritanie a été une chasse à l’homme selon le faciès, l’activité et l’origine ethnique. Dans un pays comme dans l’autre, se révèle un réservoir insoupçonné de haine. Le pont aérien mis en place, rapatrie plusieurs dizaines de milliers de ressortissants des deux pays, sans que l’on ne sache très bien leur nationalité, vu les critères d’exclusion mis en œuvre.
Abdou Diouf dut faire face à opposition qui lui reprochait son manque de fermeté et à la pression populaire pour organiser une expédition punitive. Tous les deux segments convaincus de la supériorité de l’armée du Sénégal. La sagesse l’a emporté et Diouf, sourd aux critiques, refuse l’escalade. C’était tant mieux, puisque plus tard, on a appris que Saddam Hussein avait livré à Ould Taya, le président mauritanien, des missiles capables de détruire non seulement Saint Louis, mais aussi Dakar. Peut-être est-ce la raison pour laquelle que Ould Taya, sur la question de l’Omvs et des Vallées Fossiles s’est montré intraitable. En tous les cas, dès son arrivée au pouvoir en 2000, Abdoulaye Wade déclara haut et fort : « Je vais en France pour acheter des armes… ».
Dans le même temps, le tracé des frontières avec la Guinée Bissau ressurgit, d’autant plus que le conflit en Casamance devenait plus prégnant mais surtout la découverte d’un gisement de pétrole dans la zone maritime a occasionné un débat concernant l’interprétation des textes écrits pendant les colonisations françaises pour le Sénégal et portugaise pour la Guinée Bissau. N’ayant pas trouvé de réponse, un arbitrage international est demandé, dont le verdict a été rejeté par la Guinée Bissau. Décision fut prise de se tourner vers le tribunal de la Haye qui donna raison au Sénégal. La Guinée Bissau, une fois encore, conteste le verdict.
Un autre épisode avec la Guinée Bissau se déroule en 1998. C’est l’opération Gabou qui avait deux objectifs. Le premier « officiel » était de « rétablir la légalité constitutionnelle » en venant en aide au président Nino Vieira en difficulté face à son ancien bras droit Ansoumane Mané soutenu par l’armée. Le second objectif, officieux celui-là était de faire tomber les bases arrière du MFDC qui longent la frontière. De cette intervention mal préparée, les Jambars furent aux prises avec des soldats rompus à la guérilla, disposant d’orgues de Staline et, soutenus par la population. L’aile combattante du MFDC, dirigée par Salif Sadio prend part aux combats aux côtés d’Ansoumane Mané et investit l’ambassade du Sénégal. Il aura fallu toute la diplomatie du Général Mamadou Niang, ambassadeur à l’époque qui parlementa avec les soldats bissau-guinéens pour éviter un massacre. Dans son livre-Mémoires, qui passe très vite sur ce drame Abdou Diouf se contente d’un : « Et j’ai renvoyé les troupes à la maison ».
Le temps des crises et de la pacification
Ces crises de grande envergure et d’acuité croissante informent des limites de toutes les stratégies mises en œuvre pour consolider le pouvoir de Diouf. En avril 1987, le pays n’a plus de police nationale. La condamnation de 7 policiers accusés d’avoir torturé à mort un jeune commerçant est à l’origine de protestations du corps. (Il y a eu un précédent en 1983, après une menace de grève pour des raisons liées à la condamnation de gardiens de la paix à des peines de prison pour coups et blessures ayant entrainer la mort d’un homme, au cours d’une enquête).
Des manifestations sont organisées à Dakar et à Thiès. L’Etat fait intervenir la Légion de gendarmerie d’intervention (Lgi) pour disperser la marche qui se hâtait vers le ministère de l’Intérieur. Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur et ses collaborateurs sont démis de leurs fonctions et 6265 personnels de police successivement suspendus et radiés : 94 commissaires de police, 14 officiers de paix supérieurs, 201 officiers de police, 42 officiers de paix, 383 inspecteurs de police, 101 sous-officiers, 5430 gardiens de paix). Les tâches de maintien de l’ordre sont confiées à la gendarmerie.
1988 est le temps des crises. La précampagne et la campagne électorale pour les élections présidentielle et législatives sont marquées par des manifestations folkloriques des comités de soutien et une vive polémique autour du code électoral. Des violences postélectorales obligent le président Diouf à décréter l’état d’urgence le 29 février 1988, après avoir fait arrêter les leaders de l’opposition. Abdoulaye Wade et ses co-inculpés, accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de violation de la loi anti-émeute sont jugés en avril et le procès remobilise les partis d’opposition.
Dans cette atmosphère plus que tendue de 1988, Abdou Diouf révèle dans ses Mémoires que « c’est d’ailleurs le moment que choisit le Général Tavarez pour essayer de faire un coup d’Etat ». D’après son récit, c’est l’épouse d’un des initiateurs qui avait parlé à son amie et cette dernière avait demandé une audience pour l’en informer. Selon elle, et d’après Diouf, Tavares, avait sollicité les colonels Gomis (chef des Paras), Gabar Diop, (chef des Blindés) Bampassi, (chef des commandos), et l’intendant Oumar Ndiaye. Le principal accusé, avait répliqué : « on ne tente pas un coup d’Etat, on le fait ». Il sera limogé et affecté en Allemagne en qualité d’ambassadeur. A son retour, un an plus tard, il est traduit en conseil d’enquête et jugé par celui qui l’avait remplacé : le général de corps d’armée aérien Mamadou Mansour Seck
Au parti socialiste, le « Congrès d’ouverture et de rénovation cède la place au « sursaut national » et à la bataille entre « les barons » et « les technocrates ». Les Rénovateurs jouent les uns contre les autres selon les difficultés du moment. Jean Collin quitte le gouvernement et certains « barons » reprennent du service en qualité de contrôleurs du Parti. Le souci de pacification du front social et politique, ainsi que la restauration d’un ordre institutionnel légitime inclineront Abdou Diouf à négocier avec les principaux leaders de l’opposition regroupés au sein de la CONACPO, ce qui préfigurait la logique de cooptation de l’opposition et l’entrée de Wade au gouvernement de « majorité présidentielle élargie » en avril 1991.
De l’intérieur, il négocie l’adoption d’un nouveau code électoral en vue des élections de février 1993. Il n’empêche. Ces élections ont été les plus contestées et contestables depuis l’indépendance. Les ordonnances utilisées à grande échelle par toutes les parties font s’éterniser le contentieux. L’Observatoire National des Elections (Onel) est incapable de trancher. C’est dans ce contexte que le Président du Conseil Constitutionnel Kéba Mbaye démissionne et le vice-président de la même institution assassiné. Abdou Diouf est réélu avec 58,40% des voix.
Commence une période d’affrontements avec les syndicats et les partis politiques à l’adoption du Plan Sakho-Loum, qui n’empêchera pas la dévaluation du F Cfa en 1994. Alors que les ajustements structurels suivent les années de sécheresse et envoient des milliers de chefs de famille au chômage une espèce de vigilance démocratique surgit. Entre 1996 et 2000, la démocratie sénégalaise prend un coup, alors qu’ailleurs, on découvre et cherche à perpétuer les délices de la démocratisation. C’est l’heure des réformes presqu’unilatérales, initiées par le PS, dont la longévité au pouvoir a réduit la lucidité et a donné l’illusion d’une invincibilité dont il ne va pas tarder à revenir.
1996 voit la restructuration du Parti socialiste et la mise en orbite de Ousmane Tanor Dieng, après le « Congrès sans débat » au « préjudice » de Djibo Ka et de Moustapha Niasse, qui entrent en dissidence et quittent le parti. Les élections de novembre dégradent encore plus l’image du parti socialiste. Des partis d’opposition, regroupés autour du PDS, demandent la mise sur pied d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI). D’âpres échanges verbaux entre des Socialistes regroupés autour de Tanor Dieng et le « groupe des 19 », furent tranchés par la création de l’Observatoire national chargé des élections (ONEL).
En 1998, L’Assemblée nationale vote la création d’un Sénat, présenté comme une mesure logique dans le cadre de la politique de régionalisation et visant à donner une plus grande autonomie aux collectivités locales. « Le Sénat doit être dans la ligne de cette décentralisation, veiller à ce que les intérêts des collectivités locales soient également représentées au niveau central ». Pour beaucoup, le Sénat avait été créé pour « caser » les députés ayant perdu leur siège lors des législatives. Sa création, la suppression du « quart bloquant », le retour au septennat, sont des initiatives regardées, au moins dans le pays, comme des reniements démocratiques.
La perspective de la présidentielle de 2000 avait fait naitre la rumeur qu’en cas de victoire, comme Senghor, Diouf ne terminerait pas son mandat et le transférerait à Ousmane Tanor Dieng. Face à la détermination de l’opposition qui s’organisait en un bloc, l’administration locale qui était devenue brusquement « neutre », il lui était demandé par quelques membres de son parti, comme par ceux de l’opposition, de « sacrifier » Ousmane Tanor Dieng. Diouf résista à cette demande et signait par là même sa perte et celle de son parti. Ajoutés à cela, la détermination de l’opposition qui se regroupait, la « neutralité » de l’administration locale qui a toujours été favorable au pouvoir, la critique quotidienne des tares du régime, le mutisme des confréries qui traditionnellement appelaient à voter pour la classe dirigeante, et enfin la « demande sociale ». Le soutien de Djibo Ka et l’appel de Serigne Cheikh Tidiane Sy, le plan de campagne de Séguéla, n’y firent rien. Abdou Diouf ne s’était pas converti à l’autocratie, mais l’usure du pouvoir l’avait éloigné de certaines réalités et affaibli son jugement politique.
C’est ainsi que le 19 mars 2000, les Sénégalais mirent un terme à son long bail avec le pouvoir et le Sénégal connut sa première alternance politique.
Maderpost / Sud quotidien