La crise climatique frappe l’Afrique avec une sévérité implacable. Alors que l’Europe et l’Amérique du Nord commencent à peine à constater ses impacts, nous, Africains, subissons depuis des années les vagues de sécheresse, les inondations et la désertification. TRIBUNE – Mais une opportunité de s’y attaquer pourrait émerger d’une autre crise mondiale : celle du Covid-19. À l’heure où l’Afrique se remet des ravages de la pandémie, placer l’action en faveur du changement climatique au cœur de nos plans de relance est en effet le moyen le plus sûr de créer une prospérité durable. En tant que dirigeants d’organisations basées au Nigeria et au Kenya, nous avons l’habitude d’entendre les gens faire des hypothèses sur ce qui est le mieux pour nos pays. Cette fois, écoutez-nous : la relance de l’Afrique doit être axée sur l’action climatique. La crise du Covid-19 a été catastrophique pour les économies africaines. Elle a interrompu une longue période de croissance économique régulière : les économies africaines voyaient leur PIB augmenter d’environ 3 % en moyenne avant la pandémie. Mais celle-ci a déjà entraîné une récession de 2,1 % l’an dernier, selon la Banque africaine de développement (BAD), et creusé les déficits publics. Une récession en Afrique n’est pas la même chose qu’une récession en Europe : les filets sociaux y sont faibles, et les dispositifs de soutien rares voire inexistants. Environ 30 millions d’Africains sont tombés dans l’extrême pauvreté en 2020 à cause de la crise sanitaire et 39 millions d’autres risquent de subir le même sort en 2021. Un avenir plus sûr et résilient Dans ce contexte, la seule chose pire qu’une pandémie est une pandémie couplée au changement climatique. Avant le Covid-19, de nombreuses régions d’Afrique étaient déjà en première ligne. Ouragans, inondations, sécheresses, invasions de criquets, mauvaises récoltes, sans parler des migrations forcées dues à ces catastrophes : ces phénomènes étaient à l’origine de grandes souffrances humaines et freinaient le développement. Aujourd’hui, les pertes économiques liées au Covid-19 réduisent drastiquement la capacité budgétaire de nombreux pays africains pour s’adapter au changement climatique et amortir ses impacts. Mais ces crises jumelles offrent également une opportunité : en intégrant des mesures de lutte contre le changement climatique dans leurs plans de relance économique post-Covid-19, les pays africains peuvent s’assurer un avenir plus sûr, neutre en carbone et résilient. Il existe un risque réel que des mesures de relance à l’ancienne – soutenir les énergies fossiles, distribuer de l’argent aux industries polluantes – ne provoquent une forme de fuite en avant dans l’économie carbonée. L’Afrique se retrouverait alors avec des « actifs échoués » : des infrastructures coûteuses mais obsolètes, dans un monde en transition vers les énergies propres. Une situation qui affaiblirait encore sa capacité à investir et à attirer l’investissement privé. Pour les économies dépendantes du pétrole, comme le Nigeria, la perspective d’une baisse des investissements dans le secteur des énergies fossiles pourrait avoir des conséquences sociales et économiques considérables. Et les régimes réglementaires tels que le « Green Deal » européen vont confronter les pays qui commercent fortement avec l’Europe, comme le Maroc et la Tunisie, à de nouvelles barrières commerciales si ces derniers ne musclent pas leur jeu en matière de climat. Des plans de relance verte On le voit bien : négliger l’action climatique, ce serait rendre nos économies toujours plus vulnérables aux chocs. Au contraire, des investissements dans ce domaine, dans le cadre des plans de relance, peuvent assurer notre rétablissement. Les recherches montrent que les efforts de relance qui intègrent l’action pour le climat et des objectifs plus larges de durabilité sont plus susceptibles de générer une reprise résiliente à long terme. Alors que l’économie mondiale réoriente – certes encore trop lentement – les capitaux vers des investissements respectueux du climat, nous pouvons exploiter le volume croissant des financements climat pour accélérer nos investissements dans les énergies propres, les infrastructures vertes et l’innovation technologique. Les pays africains commencent déjà à planifier des plans de relance verte. Ainsi, celui du Nigeria vise à installer des systèmes solaires domestiques et des mini-réseaux pour 5 millions de foyers qui ne sont pas connectés au réseau national. S’il est couronné de succès, le projet permettra de créer 250 000 emplois supplémentaires, ce qui contribuera à atténuer le taux de chômage sans précédent résultant de la crise du Covid-19. Mais pour y parvenir et financer ces investissements, nous aurons besoin de la solidarité du Nord. Il est donc essentiel que les pays développés consentent à de vrais efforts pour alléger le fardeau des dettes souveraines et commerciales. Nous appelons à la mise en œuvre rapide d’une facilité de crédit pour soutenir les pays africains confrontés aux impacts économiques de la pandémie. Mais les investisseurs publics et privés du Nord devront eux aussi faire des efforts concertés pour réorienter leurs investissements vers des investissements durables. Un potentiel largement inexploité Seule une telle mobilisation peut permettre à l’Afrique de réaliser son potentiel, gigantesque mais encore largement inexploité, en matière d’économie verte et notamment d’énergies renouvelables. Le continent africain possède des ressources naturelles parmi les plus abondantes de la planète : un soleil puissant, des vents forts, des océans agités. En raison de l’héritage du colonialisme et de la pauvreté qu’il a engendrée, notre stock d’infrastructures est encore limité – nous ne sommes donc pas prisonniers de modes de vie à forte intensité en carbone. Nous, Africains, comprenons le changement climatique parce que nous le vivons déjà. Nous sommes prêts à nous retrousser les manches afin de tirer le meilleur parti des investissements massifs nécessaires à la relance de nos économies après la pandémie. Le Covid-19 a provoqué une onde de choc tragique dans toute l’Afrique. La plupart d’entre nous s’en souviendront à jamais. Mais la sortie de crise pourrait être le point de départ d’un nouvel avenir, équitable, vert et durable – si nous tournons le dos aux énergies fossiles pour investir résolument dans les technologies et les infrastructures du futur. Mohamed Adow est directeur du groupe de réflexion sur le climat et l’énergie Power Shift Africa au Kenya ; Chukumwerije Okereke est président de la Society for Planet and Prosperity (SPP) au Nigeria.]]>
à la une
- Pour une véritable rupture
- La citoyenneté, socle de la rupture systémique (tribune)
- La moyenne d’âge des députés est de 47 ans (Vie-publique.sn)
- Le Sénégal out du top 10 des meilleurs systèmes judiciaires africains
- Faux comptes et Réseaux sociaux, le gouvernement alerte et menace
- Banques, désengagement français et nouveau paysage
- Reprise de Société Générale, qui de l’Etat ou du secteur privé
- Transformer le temps en opportunité (tribune)